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Infos Business of Tuesday, 24 November 2015

Source: carmer.be

Une monnaie unique est impossible - Bernard Ouandji

Bernard Ouandji Bernard Ouandji

L’expert financier et auteur de la restructuration bancaire en 1991 au Cameroun apporte des éclaircissements sur le régime du Franc Cfa (Fcfa) et la problématique de la création d’une monnaie commune.

Plus de 40 ans après, quel avenir pour le Fcfa ?
C’est depuis 43 ans que je suis dans le débat du francs Cfa. Dans les années 1973, nous avons organisé un débat à Yaoundé, à la suite des accords intervenus en novembre 1972, encore appelés les Accords de Brazzaville. Ce débat très suivi opposait M. Edouard Koula, directeur du Budget d’alors et par ailleurs un des négociateurs des Accords de Brazzaville au professeur Joseph Tchuindjang Pouemi. 43 ans pratiquement, nous sommes toujours sous le régime de ces accords. Il est tout de même à regretter qu’aujourd’hui des gens s’affublent de titres dans les médias pour réclamer telle ou telle révision du régime du Fcfa, alors que sur le plan pratique, on ne voit pas leurs contributions intellectuelles et académiques pour nourrir ce débat.

Qu’est-ce qui justifie la domiciliation du compte d’opérations de la zone Franc à Paris ?
Il s’agit là d’une question technique. Prenons l’exemple de la Chine, ce pays dispose à lui seul 28 comptes d’opérations à travers le monde. Ce pays a ouvert au mois de juillet dernier un compte d’opérations en Afrique du Sud. Mais, dès qu’on parle du compte d’opérations du Fcfa, cela excite des foules, pour dire que notre argent est gardé à Paris. C’est pour pouvoir solder les transactions export-import que les deux pays ont signé une convention de comptes d’opérations. Avant cette convention, les deux pays étaient obligés de passer par Londres ou par New York pour régler leurs transactions. Demander la suppression du compte d’opérations du franc est un non-sens. Car, du moment où un pays est appelé à faire des transactions au niveau international, il doit avoir un compte d’opérations ou ce qu’on appelle dans le système bancaire une banque correspondante à l’étranger. En d’autres termes, dès que vous avez des achats et règlements internationaux, vous devrez avoir une banque correspondante à l’étranger. Dans le cadre du Fcfa, c’était le compte d’opérations au Trésor français. Si on supprime ce compte du Trésor français, on sera contraint d’ouvrir un autre compte à Bruxelles, à Frankfort où à Londres.

Voulez-vous donc signifier que cela n’impacte pas l’économie des pays de cette zone ?
Le mieux est dans cet espace d’avoir un seul compte. Et pendant longtemps, il y a eu un seul compte à travers lequel toutes les opérations étaient centralisées et toutes les réserves. Au fil du temps et suivant les exigences des uns et des autres, il a été décidé que 50% peuvent être domiciliés à Paris et 50% dans d’autres pays ou devises. C’est dire que les 50% non domiciliés dans le compte de Paris sont dans d’autres comptes d’opérations ou banques correspondantes. En supprimant le compte de Paris, on aura toujours besoin d’un autre compte d’opérations.

Pensez-vous que les pays de la zone franc peuvent se développer avec une devise contrôlée à partir de l’extérieur ?
Déjà, il faut que les ministres des Finances des pays de la zone Franc prennent leurs responsabilités. Quand ils viennent au conseil d’administration de la Beac (Banque des États de l’Afrique centrale, Ndlr), nos ministres des Finances qui sont des hommes politiques sont face aux représentants de la France qui siègent à la Beac, sont des banquiers ayant fait des études de Finances et monnaie ne peuvent pas formuler une proposition cohérente. Nos ministres des Finances et de l’Économie sont qui ingénieurs vétérinaires, qui hommes politiques... Certains sont administrateurs civils, lorsque vous avez la chance. Et ce sont ces derniers qui sont envoyés débattre ou discuter avec les experts des questions financières et monétaires  français ayant fait 20 ans dans la pratique des questions financières. Alors, soyons d’abord sérieux en ce qui concerne notre gouvernance économique et le choix des hommes généralement envoyés négocier avec la France.

Êtes-vous pour la création d’une monnaie unique africaine ?
Nous avons déjà une monnaie pour 14 pays. En 1993, nous avons travaillé sur le problème de la surévaluation du Fcfa. Et dans cette étude, nous avons démontré que les entreprises agricoles d’État (Cdc, Sodecoton…) du Cameroun exportatrices étaient déficitaires parce que le Fcfa était surévalué. Il fallait ainsi le dévaluer. Il s’est trouvé qu’au moment de la publication du rapport que le taux de dévaluation du Cameroun était de 70%, pour restaurer son économie. Mais, du fait que le Cameroun est associé à d’autres pays, tels que le Togo, le Bénin, la Centrafrique…, n’ayant pas connu la même détérioration des termes de l’échange à l’instar de notre pays, politiquement on a ainsi adopté un taux de dévaluation de 50%. Notre étude avait été publiée le 14 décembre 1993. Nous avons ainsi fait une moyenne entre les pays à forte inflation comme les pays pétroliers tels que le Cameroun et le Gabon, qui avaient besoin d’une dévaluation de 70% (pour restaurer leur économie) et les États comme le Bénin, le Burkina… qui avaient besoin d’une dévaluation de 30%.

C’est pour signifier que faire une monnaie avec 14 pays africains, ce n’est pas chose facile. Parce que les niveaux de développement sont disparates. Donc, le taux de change optimal pour le Mali par exemple n’est pas le même pour le Cameroun ou la Côte d’Ivoire. Cependant, nous exigeons à faire avancer la barque ensemble. Si on prend par exemple le Sénégal, le Nigeria, la Centrafrique et Liberia pour en faire une seule monnaie, on se trouvera en face de quatre situations de développement différentes. Les uns sont ravagés par la guerre et les conflits et d’autres jouissent d’une stabilité économique et démocratique. Il est donc impossible à ces quatre pays d’avoir le même taux de change.

Une monnaie correspondant à un taux de change, un taux d’intérêt intérieur et un taux d’inflation, visiblement ceux qui parlent de la création d’une monnaie unique pour l’Afrique ne savent pas de quoi il est question. Économiquement, c’est un non-sens que de faire une monnaie unique pour 10, 20 ou 30 pays qui ont des taux de change, d’intérêt intérieur et d’inflation différents. Pour mettre une monnaie commune, il faut bien que les pays africains relèvent leur seuil de pauvreté et atteignent un niveau de vie à peu près égalisé. Il n’y a qu’à voir comment les pays européens adhèrent à la zone euro. C’est après un processus de plusieurs années, afin que le pays candidat puisse avoir une convergence sur ses taux de croissance, d’inflation et de déficit budgétaire. Bref, on ne peut pas avoir une monnaie unique avec des États africains qui répondent aux critères de performance divergents.

Et votre avis pour une monnaie nationale ?
Oui, c’est bien beau de créer une monnaie pour chaque pays, frappée des effigies des héros nationaux. Mais, il faut déjà commencer à mettre leurs noms sur les rues et les bibliothèques.

Qu’est-ce qui fait un bon taux de change ?
Il faut déjà relever que le but de la monnaie c’est d’avoir la facilité des transactions intérieures comme extérieures via le taux de change. Et maintenant, il y a des périodes où l’on a besoin d’un taux de change faible pour être compétitif. C’est l’exemple du Japon aujourd’hui avec 120 yens pour un dollar contre 400 yens pour un dollar en 1948. Pour conquérir les marchés extérieurs, avec des voitures et autres appareils électroniques moins chers, les Japonais ont considérablement dévalué et déprécié le yen. Lorsqu’un pays vise une croissance rapide, un développement rapide, il faut un taux de change faible afin d’être compétitif. Et dans une phase où le pays a son plein-emploi, des ressources humaines et son potentiel de production, la stabilité monétaire est importante (avec un taux de change fort, Ndlr).

Ne voyez-vous pas que les clauses économiques entre la France et la zone franc sont dépassées ?
À ce sujet, j’ai fait plusieurs publications, à travers lesquelles je fais des propositions, malheureusement qui n’ont pas été suivies par les dirigeants. En 1998, j’ai suggéré de ne pas rattacher le Fcfa à l’euro à un taux fixe. J’ai proposé le maintien du compte d’opérations et que le Fcfa ait une garantie de convertibilité par rapport à l’euro, pour avoir la liberté de taux d’intérêt et celle de taux de change. Parce qu’on ne doit pas avoir la même politique de taux d’intérêt et de change avec la zone euro. Les pays exportateurs de pétrole par exemple comme le Cameroun et le Gabon, ont besoin d’une flexibilité du taux de change et d’une liberté de fixation du taux d’intérêt à l’intérieur de la zone franc. Maintenant, il y a aussi des arrangements institutionnels que j’ai formulés, pour élargir le spectre des partenaires.