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Actualités of Tuesday, 1 August 2017

Source: camer.be

Obsèques de Mgr Bala: la ville de Bafia vit dans la peur

Ici à Bafia je ne peux pas parler, on ne sait pas qui est qui - Maurice, habitant de Bafia Ici à Bafia je ne peux pas parler, on ne sait pas qui est qui - Maurice, habitant de Bafia

A quelques jours de l’enterrement de l’évêque prévu ce 03 aout 2017, la ville où il exerçait son ministère est plongée dans une immense torpeur. Les plus courageux qui osent s’exprimer sur le sujet estiment que le prélat a été assassiné parce qu’il en savait un peu trop sur certaines pratiques qui ont cours à l’église.

Une bouteille, une de plus et peut être une autre encore… Maurice a pu s’extraire de la foule pour étancher sa soif dans un bar. Un soleil ardent brule le carrefour Ombessa ce samedi 29 juillet 2017. La petite localité située à une dizaine de Km de Bafia connait une tranquillité routinière. Maurice est un instituteur en service à Bafia. Il est « descendu au village » pour les obsèques de sa tante. Le lieu du deuil est bondé de monde et le prêtre s’apprêtait à faire son homélie quand ce bien curieux fidèle a pris ses jambes à son cou. « Quand il aura fini dans une ou deux heures je vais rentrer là-bas.

Avec tout ce qui se passe à l’église ces jours-ci, je n’ai pas trop la tête à écouter le prêtre, mais rassurez-vous, je suis chrétien catholique », susurre-t-il en passant une commande de viande grillée. Maurice nous invite à sa table. Il a des choses à nous dire et nous ne sommes pas là par hasard. Nous avons croisé le quarantenaire quelques heures plus tôt à Bafia. Il nous a donné rendez-vous à Ombessa pour nous faire ses confidences. « Ici à Bafia je ne peux pas parler, on ne sait pas qui est qui ; depuis le décès de Mgr Bala on soupçonne tout le monde. Dès que vous évoquez ce sujet, les gens prennent la fuite ou deviennent muet », a-t- il expliqué quand nous l’avons abordé. Son rendez-vous est donc une vraie aubaine. Les précédentes tentatives de mener la conversation autour du décès de Mgr Bala ont lamentablement échoué.

Ayant remarqué que nous n’épousions pas la couleur de la ville, un « Bendskineur » a spontanément proposé ses services pour dénicher les plus belles filles du coin, capables d’agrémenter un samedi à Bafia. Mais quand nous avons osé en placer une sur les obsèques de Mgr Bala, il a prétexté un coup de fil urgent venant de sa copine et a filé sans demander son reste. Un jeune homme croisé dans un snack de la place a semblé tout aussi avenant et sympathique mais a subitement avalé sa langue dès que nous avons prononcé le nom de Mgr Bala. « Vous savez, moi je suis musulman », a-t-il murmuré avant de prendre congé.

« On a tous peur, confirme Maurice. Même en vous parlant je prends des risques ». Peur ? Mais de quoi ? « Nous sommes convaincus que Mgr Bala a été assassiné et s’ils l’ont tué à plus forte raison nous autres », pousse-t-il en baissant la tête. « Il y a même plus grave, savez-vous que le pêcheur malien qui a dit avoir entendu comment on balançait quelque chose dans l’eau lors de cette fameuse nuit est aujourd’hui introuvable ? », glisse encore notre interlocuteur entre deux gorgées de bière. A la vérité, Ali le Malien a été aperçu tout récemment lors de a cérémonie de remise du don du chef de l’Etat aux acteurs de la découverte du corps de l’évêque.

Pédophilie, pédérastie, la rumeur court…

Rassuré de ce que l’entretien se déroule sous anonymat, Maurice nous livre alors une histoire qui fait tressaillir. Elle lui a été comptée par son collègue instituteur, un jeune de 28 ans qui exerce à Bafia depuis 3 ans. « Quelques semaines avant le décès de Mgr, mon collègue s’est rendu dans un snack de Bafia. Il y a reconnu un prêtre de l’église et ils se sont mis à boire. Vers 3h du matin, ils ont pris la même moto et l’homme d’église a insisté pour qu’ils fassent un tour à l’évêché et il a demandé à la moto d’attendre dehors. Une fois à l’évêché, ce dernier a d’abord essayé de l’amadouer et a commencé par des attouchements. Mon collègue s’est fermement opposé en disant qu’il ne faisait pas ces choses-là avec les hommes. L’homme d’église a alors essayé de le prendre par force et mon collègue s’est enfui après s’être violemment battu avec lui ». Poursuivant son récit, Maurice nous apprend que son collègue a même déposé une plainte le lendemain à la gendarmerie qui n’a jamais abouti. Plus grave, il se serait personnellement plaint auprès du défunt Mgr Bala qui n’a pas voulu le confronter avec son supposé bourreau et l’a simplement appelé au calme. Quel crédit accorder à un tel récit ? Nous avons contacté la supposée victime par l’intermédiaire de Maurice mais elle nous a dit craindre pour sa sécurité et sa vie. « Son salaire a même été coupé à un moment, je ne sais pas si c’est rétabli », a embrayé Maurice.

Sur ces faits, nous sommes rejoints par Jules, un de ses cousins qui travaille comme infirmier à l’hôpital d’Ombessa. Agé d’une trentaine d’année, ce licencié en mathématiques est lui aussi réticent à s’ouvrir. « Mon frère je suis formé à la fois comme instituteur et infirmier mais ça fait 10 ans que je cherche à être recruté, si je parle et on m’identifie je fais comment ?», nous lancet-il. « Non il ne vas pas donner ton nom », rassure Maurice.

Suffisant pour que Jules se libère à son tour.Il évoque d’abord le décès mystérieux, de l’abbé Armel Collins Ndjama, recteur du petit séminaire Saint André de Bafia,survenu dans la nuit du 9 au 10 mai 2017. « C’était son fils spirituel, c’est lui qui l’a envoyé se former en Europe. Quand il est mort, Mgr a pleuré à chaudes larmes. Je suis infirmier je suivais souvent le père Ndjama qui était du même village que moi. C’est vrai qu’il était épileptique bien avant d’aller en Europe. Mais je sais que ce n’est pas ça qui l’a tué ». Si Jules se montre si catégorique, c’est bien parce comme Maurice, il croit mordicus à la thèse d’un réseau de pédophilie et de pédérastie qui sévirait dans le diocèse de Bafia.

« On a peur d’envoyer nos enfants où on tue et viole »

Lui aussi a une histoire pour étayer sa posture. « J’ai mon cousin qui a eu une opportunité d’aller se former comme prêtre en Italie. A l’époque il était à Mvolyé à Yaoundé et avait besoin du soutien de l’église et de 500.000 FCFA pour le voyage. Il a pu réunir les 500.000 FCFA mais pour le soutenir un prêtre a demandé à coucher avec lui », relate-t-il.

L’histoire ne s’arrête pas là. Dégoûté, le jeune homme qui était alors âgé de 21 ans se serait replié à Bafia, son village natal, pour confier son chagrin à Mgr Bala. Une fois encore, ce dernier lui aurait conseillé le calme et la réserve. Apeuré, le jeune homme a abandonné sa vocation première pour une formation d’infirmier avant d’exercer dans une officine privée à Douala. Informé de ce que l’Eglise avait besoin de personnel médical à Bafia, il a rappliqué au village espérant un recrutement. « Ah c’est toi t’es revenu ? On va t’envoyer dans un village tout près d’ici », lui aurait-on dit. « Il a senti le piège et a disparu. Aujourd’hui, il est injoignable et utilise un faux compte Facebook pour communiquer », ajoute Jules en transpirant à grosses gouttes. Comme si de relater cette histoire avait provoqué une poussée d’adrénaline en lui.

« Je ne crois pas que Mgr Bala était complice mais je sais qu’il en savait un peu trop », coupe Maurice. Ces accusations lourdes portées contre l’Eglise font-elles sens ? « C’est bien de le dire mais où sont les preuves ? Personne n’a encore présenté la moindre preuve, ce sont juste des rumeurs », rétorque vivement Léon. Agé de 25 ans, ce futur prêtre poursuit son stage canonique à l’évêché de Bafia. Il occupe une des chambres contigüe à la grande église qui trône au milieu de la cour. Léon est formé pour dire son crédo. Vent debout contre ceux qui osent pourfendre l’institution à laquelle il se dévoue, il avance la foi comme paravent à d’éventuelles dérives. « Nous venons de familles différentes, nous avons des éducations différentes.

Il peut avoir des dérives mais je n’accepterai jamais qu’on les présente comme consubstantielles à l’Eglise », prêche-t-il. A-t-il fait de nouveaux adeptes avec cette posture qui frise le déni ? « En tant que chrétien je ne sais plus trop à quel Saint me vouer renchérit Maurice. On a peur d’envoyer nos enfants dans ces institutions où on tue et viole. C’est sûr qu’il y a une crise de vocation qui va naitre dans la région », souffle notre homme, le regard hagard. Avant de s’envoyer un verre, puis un autre, et un autre encore. « Moi au moins je reste un disciple du seigneur, il ne nous a pas interdit de boire, ceux qui ont tué Mgr ne peuvent pas en dire autant ».