Opinions of Monday, 8 May 2023
Auteur: Jean-Paul Pougala
Si j'étais chrétien ou musulman, à la mort de notre cadet Ateba Eyene, je prendrais deux jours de congé pour aller rencontrer dieu et lui demander des comptes et je suis certain que je finirais par appliquer à dieu deux belles paires de gifles et plusieurs fois pour incompétence ou distraction dans le choix des personnes à rappeler vers lui ou à stopper.
Voilà un jeune qui décide de lui donner un coup de main pour mettre un peu d'ordre dans toute la confusion que créent tous ces gens des sectes qui parlent et agissent à son nom. Et plutôt que de le remercier avec une promotion, il l'envoie à la retraite forcée.
Alors, appelez ça comme vous voulez, moi je dis qu'il y a eu tromperie dans la marchandise ou erreur de casting ou dans tous les cas, dieu est un très médiocre juge, un incapable. Mais comme je ne suis pas chrétien ni musulman je préfère mettre cette douleur qui me parcourt le corps au chapitre du hasard et des probabilités.
J'ai rencontré pour la première fois notre (désormais ancêtre) Ateba Eyene en pleine période de la guerre d'agression de l'Occident contre la Libye, dans les studios de l'émission de Thierry Ngongang : Carte sur Table. En coulisse, la discussion avait commencé même avant le début de l'émission dont le titre était:
"Quel doit être le rôle d'un intellectuel dans l'accompagnement de la mutation de la société africaine en grande turbulence ?".
En bon inconnu (pour les autres panélistes) que j'étais, je restais tout silencieux dans mon coin.
En revanche, pour les autres trois qui se connaissent déjà, la tension était déjà dans l'air entre Ateba Eyene, notre sœur Susanne Kala Lobe et un jeune cinéaste camerounais qui devait venir de l'étranger.
Durant l’émission, j'étais comme un spectateur de l'émission, parce que je n'arrivais presque pas à placer un mot, tellement le débat était houleux.
A la fin de l'émission, en sortant du plateau (studio), alors que j'avais hâtivement conclu mon jugement sur lui comme un hautain, c'est lui qui vient vers moi me serrer la main, et nous resterons quelques instants à cette heure tardive de la nuit (après minuit) pour bavarder devant l'immeuble qui abrite la STV, sur le trottoir du Boulevard de la Liberté.
C'est au moment de nous dire aurevoir, que je lui dis: "qu'on soit d'accord ou pas avec ce que tu dis et la manière dont tu le dis, ce n'est pas l'essentiel, ce qui compte et que j'ai aimé en toi ce soir durant l'émission, c'est que tu le dis et le fais avec une plus profonde passion, avec sincérité et une envie bien enfouie en toi de faire bouger les lignes dans un environnement (politique) où habituellement, il vaut mieux se taire, pour se contenter de grignoter les miettes qui nous tombent dessus bord.
Et comme cela que nous nous retrouvons avec une absence totale de Penseurs, c'est-à-dire de personnes altruistes, capables de secouer le cocotier pour faire tomber les fruits déjà morts. Tu es jeune, continue à secouer le cocotier et dans 10 ans tu verras que tu auras contribué à changer quelque chose dans notre société". Et lorsque j'ai vu qu'il m'a cité dans son dernier ouvrage sur les sectes et les déserteurs spirituels, j'ai compris qu'il s'était souvenu de mes mots.
On était en 2011, il n'a même pas eu 3 ans pour secouer le cocotier, qu'il est devenu une référence pour une bonne partie de notre jeunesse à qui il aura eu le mérite d'indiquer un chemin et de dire que nous avons le choix de vivre comme des moutons, à genoux, enchaînés parce que, gangrené par l'individualisme et terrorisés par la peur ou comme des lions, debout.
Peu importe quand nous allons mourir, puisque nous savons que la mort est certaine. Ce qui est important est de savoir si elle nous trouvera à genoux ou debout.
Le jeune Ateba est mort trop jeune, mais pour le moins, il est mort debout. Il est mort au combat, la plume à la main. Il est désormais une divinité, notre ancêtre qui veille sur nous, sur la continuité de son propre combat par tous ces jeunes que sa pensée a contribué à forger. Et donc les plumes nous feront tout simplement comprendre qu'un penseur ne meurt jamais.
Jean-Paul Pougala