Après une longue période d'absence et de silence numérique, Paul Biya, 92 ans et président du Cameroun depuis plus de 40 ans, opère un virage stratégique dans sa communication en investissant activement les réseaux sociaux comme X (ex-Twitter) et Facebook.
Longtemps critiqué pour son absence de communication, alimentant régulièrement les rumeurs sur sa santé ou même sa mort, le chef de l'État semble désormais vouloir reprendre la main sur son image publique.
La récente intensification de l'activité du président Paul Biya sur les réseaux sociaux, marquée par des publications régulières sur des plateformes telles que X et Facebook, marque un changement notable par rapport à son image publique traditionnellement réservée.
Cette évolution soulève des interrogations sur ses motivations, les objectifs visés et les effets sur la population, en particulier les jeunes, à l'approche de la présidentielle d'octobre 2025.
Traditionnellement discret sur les plateformes numériques, Paul Biya a intensifié sa présence en ligne ces dernières années. Le président camerounais utilise désormais ses comptes officiels pour diffuser des messages, notamment lors d'événements clés comme la Fête de la Jeunesse.
Par exemple, en février 2025, il a exhorté les jeunes à exercer leur droit de vote avec discernement et à ne pas céder aux provocations de certains acteurs politiques.
Cette approche marque un tournant dans sa communication, visant à s'adresser directement aux citoyens, en particulier à la jeunesse, via des canaux qu'elle fréquente assidûment.
Les réseaux sociaux permettent de contourner les médias classiques, souvent considérés comme lents ou filtrés.
À travers ses publications, le président peut s'adresser directement aux citoyens, mettre en avant ses activités officielles, et surtout imposer un récit officiel dans un contexte de défiance croissante envers le pouvoir.
Reprendre le contrôle de la communication politique
A coup de publications et de posts réguliers à travers les réseaux sociaux, le président camerounais Paul Biya adopte une stratégie de communication digitale plus affirmée. L'objectif visé est de gérer le discours politique à une époque où l'information se propage rapidement en ligne.En adoptant les outils de communication contemporains, le président tente de moderniser l'image de son gouvernement et de montrer qu'il est en phase avec les évolutions technologiques et sociétales.
Cette montée en puissance numérique s'inscrit dans une logique bien pensée : montrer qu'il reste aux commandes du pays, moderniser sa communication, désamorcer les spéculations sur sa succession et restaurer une légitimité fragilisée dans un contexte politique incertain.
Historiquement, l'administration Biya a eu recours à la répression et à l'engagement pour gérer la dissidence. L'activité accrue sur les réseaux sociaux sert d'outil pour contrôler le discours, diffuser les informations officielles et surveiller l'opinion publique.
Cette approche complète d'autres mesures, telles que la coupure d'Internet dans les régions agitées et la promotion d'une utilisation responsable des réseaux sociaux .
La présence accrue du président Biya sur les réseaux sociaux est une stratégie multiforme visant à renforcer son image de leader, à dialoguer avec une population jeune connectée et consolider son autorité.
« Il faut dire que dans le contexte camerounais, à l'approche de la présidentielle de 2025, la communication digitale attribuée à Paul Biya connaît une nette accélération, notamment sur X et Facebook. Cette évolution tranche avec ses habitudes passées, marquées par des interventions rares et très formelles via la CRTV ou des communiqués officiels. Aujourd'hui, la régularité et la modernisation des messages publiés témoignent d'une volonté de son équipe de communication d'occuper davantage l'espace digital, de répondre aux attentes d'une population de plus en plus connectée, et de contrer les spéculations sur sa santé et sa capacité à gouverner », analyse Dr Hervé TIWA, Consultant en transformation digitale et Enseignant-Chercheur en Sciences de l'information et de la communication (SIC).
Contrer les spéculations sur la santé du chef de l'Etat
Ce changement semble être une réponse stratégique aux défis croissants liés à sa santé, à la stabilité politique et à l'évolution du paysage médiatique au Cameroun.A 92 ans, les absences prolongées du président Biya lors d'événements publics et médiatiques ont souvent suscité des rumeurs sur son état de santé, son décès a même été annoncé à plusieurs reprises.
En octobre 2024, le gouvernement camerounais a pris la décision sans précédent d'interdire aux médias de discuter de la santé du président, qualifiant cela de question de sécurité nationale. Cette mesure visait à freiner la propagation de fausses informations et à maintenir l'ordre public.
En augmentant sa visibilité sur les réseaux sociaux, l'administration Biya cherche à contrer directement ces rumeurs, en fournissant des informations en temps réel et en réaffirmant son leadership actif.
Une présence affirmée sur les réseaux permet donc de montrer qu'il est toujours vivant et en fonction, sans passer par des conférences de presse.
La présidentielle de 2025 en ligne de mire
Alors que se profile à l'horizon l'élection présidentielle prévue en octobre 2025, cette stratégie pourrait viser à rassurer les élites politiques et militaires, réaffirmer son autorité et dissuader les troubles politiques et les éventuels débats sur la succession.En maintenant une présence digitale régulière, le président Biya séduire l'électorat jeune, qui représente une part significative de la population.
Avec plus de 60 % de la population camerounaise âgée de moins de 25 ans, l'usage des réseaux sociaux devient incontournable pour toucher cette jeunesse.
Le régime mise sur ces plateformes pour restaurer une image plus moderne et dynamique du chef de l'État, malgré son grand âge.
En s'adressant directement à eux via les réseaux sociaux et en abordant des thématiques qui les concernent, Paul Biya cherche à renforcer leur engagement et à obtenir leur soutien.
Président du Cameroun depuis 1982, Paul Biya n'a pas indiqué s'il comptait se présenter à sa réélection lors du scrutin d' octobre 2025, bien que des voix s'élèvent au sein du parti au pouvoir et de la mouvance présidentielle pour l'inciter à briguer un huitième mandat à la tête du pays.
Atouts et faiblesses d'une stratégie
Cette stratégie a des répercussions notables, en ce sens qu'elle permet de mobiliser et d'engager des jeunes politiquement. Les réseaux sociaux sont devenus des vecteurs importants pour sensibiliser et mobiliser la jeunesse camerounaise autour des enjeux électoraux.« Les médias sociaux sont désormais une tribune essentielle pour toute communication moderne. Cette communication digitale permet de moderniser l'image de Paul Biya, de toucher un public jeune et connecté, de répondre rapidement aux rumeurs, et de montrer un président actif à l'approche de la présidentielle. Elle offre aussi une visibilité directe et s'aligne sur les pratiques modernes des grands dirigeants» explique Dr Hervé Tiwa.
La présence en ligne du président permet un échange plus direct avec la population, renforçant ainsi la transparence et la réactivité du pouvoir.
« Cette stratégie digitale vise aussi à renforcer la visibilité du président auprès des jeunes électeurs, à façonner le récit autour de sa candidature, et à s'adapter aux nouvelles dynamiques de l'opinion publique camerounaise, très active et critique sur les réseaux sociaux. On observe donc un changement notable, qui cherche à moderniser l'image du chef de l'État à un moment névralgique de la vie politique nationale et de montrer que Paul Biya est encore actif , vivace et engagé, dissipant ainsi les doutes sur sa capacité à gouverner durant le prochain mandat. Elle vise aussi à aligner Paul Biya sur les pratiques des dirigeants de grandes puissances comme les USA qui utilisent les réseaux sociaux pour communiquer directement avec leurs citoyens. », observe le spécialiste en Sciences de l'information et de la communication.
Cependant, cette démarche suscite également des critiques.
Certains y voient une manœuvre politique visant à contrôler le discours en ligne et à limiter les critiques envers le régime. D'autres s'interrogent sur l'authenticité du contenu.
« Le principal inconvénient reste l'inauthenticité perçue : la plupart des internautes savent que ce n'est pas Paul Biya lui-même qui s'exprime, mais son équipe, ce qui crée une distance et limite la confiance. De plus, cette communication reste très descendante, sans véritable interaction avec les citoyens : commentaires ignorés ou supprimés, absence de réponses personnalisées…Cela donne l'impression d'une stratégie purement cosmétique, plus axée sur le contrôle de l'image que sur un vrai dialogue avec la société. » décrypte Dr Hervé TIWA, Fondateur et directeur exécutif de l'association Med.IA Lab.
La communication actuelle du président Paul Biya reflète une tendance mondiale : l'utilisation intensive des médias sociaux comme outil de communication politique.
En période électorale, ces plateformes deviennent des lieux de narration, où chaque visuel contribue à façonner le récit présidentiel.
Au final, cette stratégie de communication numérique ne laisse personne indifférent. Elle suscite l'intérêt, l'attente et le scepticisme.
Elle témoigne surtout d'une volonté de s'adapter aux nouvelles dynamiques médiatiques, même si leur impact réel est encore incertain dans un paysage politique où l'avenir reste flou.