Actualités of Monday, 8 December 2025

Source: www.camerounweb.com

Le mensonge de trop: L'autopsie d'Anicet Ekane, une version officielle qui n'a convaincu personne

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La population rejette massivement les conclusions des médecins légistes tandis que le pouvoir contre-attaque sur sa propre chaîne TV

La mort en détention d'Anicet Ekane, survenue le 1er décembre 2025 après trente-sept jours passés dans les locaux du secrétariat d'État à la Défense à Yaoundé, a ouvert une bataille de narratifs entre le régime et l'opposition. Au cœur de cette confrontation : une autopsie dont les conclusions officielles se heurtent à une "incrédulité palpable" de la population camerounaise, selon les termes de Jeune Afrique.

Jeune Afrique révèle qu'avant même l'intervention controversée du ministre Paul Atanga Nji sur PRC TV le 5 décembre, "le débat avait porté sur l'intégrité des médecins légistes chargés de l'autopsie de l'opposant". Une mise en cause qui témoigne de la défiance généralisée envers les institutions judiciaires et médicales lorsqu'elles traitent de cas politiquement sensibles.
Cette contestation préventive de l'autopsie n'est pas anodine. Elle révèle que, dans l'esprit d'une large partie de l'opinion publique camerounaise, les conclusions d'un examen médico-légal ordonné par le pouvoir sont biaisées par avance. Un préjugé alimenté par des décennies de manipulations présumées dans des affaires impliquant des opposants ou des personnalités gênantes pour le régime.


Selon Jeune Afrique, Paul Atanga Nji a entériné lors de son passage télévisé "l'hypothèse d'un accident de santé indépendant des conditions de détention d'Anicet Ekane". Cette version, issue des conclusions de l'autopsie, voudrait faire croire que le militant de 74 ans est décédé de mort naturelle, sans lien avec ses trente-sept jours d'emprisonnement dans les locaux d'un service de renseignement.


Mais Jeune Afrique constate que cette version officielle suscite "une incrédulité palpable au sein de la population". Comment expliquer qu'un homme, certes âgé mais apparemment en capacité de mener des activités politiques intenses, meure subitement après un peu plus d'un mois de détention ? Cette coïncidence temporelle alimente naturellement les soupçons.
Le magazine panafricain note que de nombreux observateurs qualifient le décès d'"crime d'État", une expression qui reflète le rejet massif de la thèse officielle. Loin de convaincre, les conclusions de l'autopsie ont au contraire renforcé la conviction que les autorités cherchent à dissimuler leur responsabilité.


Jeune Afrique précise les circonstances de la détention : Anicet Ekane "avait passé trente-sept jours dans les locaux du secrétariat d'État à la Défense, à Yaoundé". Un détail crucial qui explique en partie le scepticisme ambiant face aux conclusions de l'autopsie.
Le secrétariat d'État à la Défense n'est pas une prison ordinaire. C'est un centre de détention des services de renseignement, connu pour ses conditions d'incarcération souvent déplorables et son opacité totale. Que s'est-il réellement passé pendant ces trente-sept jours ? Dans quelles conditions Ekane était-il détenu ? Avait-il accès à des soins médicaux ? Autant de questions auxquelles l'autopsie est censée répondre, mais auxquelles personne ne croit qu'elle réponde honnêtement.


La stratégie du régime, révélée par Jeune Afrique, consiste à utiliser l'âge et la fragilité supposée d'Anicet Ekane pour expliquer son décès. Paul Atanga Nji a ainsi laissé entendre que le militant, "conscient de sa fragilité physique, avait eu tort de s'engager dans une bataille contre le pouvoir".
Cet argument revient à faire porter à la victime la responsabilité de sa propre mort. Si Ekane était physiquement fragile, pourquoi les autorités l'ont-elles maintenu en détention dans les locaux d'un service de renseignement plutôt que dans une structure adaptée à son état de santé ? Pourquoi ne pas l'avoir placé en résidence surveillée s'il représentait un risque médical ?
Ces questions, que pose implicitement le reportage de Jeune Afrique, soulignent les failles de la version officielle. L'âge et la santé d'Ekane ne peuvent servir d'excuse que si les conditions de sa détention étaient appropriées, ce dont personne n'est convaincu.

Jeune Afrique documente la réaction immédiate de la presse indépendante camerounaise au lendemain de l'annonce du décès. ActuCameroun titrait sans ambages : "Ils l'ont tué". Forum libre qualifiait Ekane de "Martyr de la cause politique". Émergence interrogeait : "Quelle faute a-t-il commise ?"
Cette unanimité des titres de la presse indépendante dans le rejet de la version officielle est révélatrice. Ces médias, qui disposent généralement de sources au sein de l'appareil d'État et connaissent les pratiques des services de renseignement, ne croient manifestement pas à la thèse de l'accident de santé naturel.


Leur couverture transforme immédiatement Anicet Ekane en symbole de la répression, précisément ce que le régime voulait éviter. D'où la nécessité pour Paul Atanga Nji de contre-attaquer via PRC TV, comme le rapporte Jeune Afrique.

Selon Jeune Afrique, c'est cinq jours après le décès que Paul Atanga Nji choisit de s'exprimer sur PRC TV pour défendre la version officielle. Un délai qui suggère que le régime a d'abord tenté de laisser passer l'émotion avant de réaliser que celle-ci ne retombait pas, mais au contraire s'amplifiait.
Cette contre-offensive tardive, loin de calmer le jeu, a produit l'effet inverse. En tentant de salir la mémoire du défunt et en insistant sur sa prétendue responsabilité dans sa propre mort, le ministre a choqué une partie de l'opinion, y compris, selon Jeune Afrique, certains proches du pouvoir.

Jeune Afrique recueille la réaction d'Henriette Ekwe, journaliste proche d'Anicet Ekane, qui confie : "Je suis choquée et en colère". Ce témoignage personnel donne un visage humain à l'indignation collective. Henriette Ekwe connaissait le défunt, elle peut témoigner de son état de santé réel et des conditions de sa détention.

Sa colère, relayée par Jeune Afrique, illustre le fossé qui sépare la version officielle de ce que savent ou croient savoir ceux qui ont côtoyé Anicet Ekane. Pour eux, l'autopsie n'est qu'un document de propagande destiné à blanchir le régime, pas un examen médical objectif.

Haman Mana, directeur de publication du quotidien Le Jour, cité par Jeune Afrique, estime que "le bourreau avoue le crime, s'en vante et s'en félicite". Cette formulation radicale traduit la perception que beaucoup ont de l'intervention de Paul Atanga Nji : non pas une clarification, mais un aveu déguisé.

En critiquant Ekane pour s'être engagé en politique malgré sa fragilité, le ministre reconnaîtrait implicitement que les conditions de détention étaient dangereuses pour une personne fragile. En d'autres termes, le régime savait qu'emprisonner Ekane mettait sa vie en danger, mais l'a fait quand même. D'où l'accusation de "crime d'État" formulée par de nombreux observateurs, comme le rapporte Jeune Afrique.

L'affaire révélée par Jeune Afrique illustre comment l'autopsie, censé être un acte médical objectif, devient au Cameroun un instrument politique. Les médecins légistes, qu'ils le veuillent ou non, sont placés dans une position impossible : produire des conclusions qui, si elles sont favorables au pouvoir, seront automatiquement suspectes, et si elles sont défavorables, risquent de ne jamais voir le jour.
Cette politisation de la médecine légale mine la confiance du public dans toutes les institutions, y compris celles qui devraient être les plus neutres. Comment croire à la justice ou à la vérité scientifique quand on suspecte que les experts sont sous pression politique ?
Le contexte de contestation électorale
Jeune Afrique rappelle qu'Anicet Ekane avait été arrêté "dans un contexte de contestation électorale" avec "d'autres cadres de son parti, le Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem)". Ce contexte est essentiel pour comprendre pourquoi personne ne croit à la version officielle.
Le militant historique de 74 ans a été arrêté pour avoir contesté les résultats de la présidentielle du 12 octobre 2025, en reconnaissant notamment la victoire revendiquée par Issa Tchiroma Bakary. Il meurt trente-sept jours plus tard en détention. Pour l'opinion publique, la corrélation entre son acte politique et sa mort est trop évidente pour être ignorée.

Jeune Afrique révèle un détail révélateur : des "proches du pouvoir", qui "réclament toutefois l'anonymat", tentent de défendre Paul Atanga Nji en affirmant qu'il "est un homme entier, qui assume ses convictions". Cette défense sous couvert d'anonymat est particulièrement significative.
Si les propos du ministre étaient vraiment défendables, pourquoi ses soutiens n'assument-ils pas publiquement leur défense ? Cette prudence suggère que même au sein du régime, beaucoup jugent que les déclarations du ministre étaient maladroites, voire contre-productives. L'autopsie était censée clore le débat ; elle ne fait que l'intensifier.

L'affaire Ekane et le traitement médical et médiatique de sa mort, tels que documentés par Jeune Afrique, établissent un précédent inquiétant pour tous les opposants camerounais. Le message est clair : même si vous mourez en détention, le régime utilisera sa machine de propagande pour vous accuser d'être responsable de votre propre mort.

Cette stratégie vise à décourager l'engagement politique en envoyant un signal d'impunité totale du pouvoir. Non seulement le régime peut vous emprisonner, mais si vous y mourez, il trouvera encore le moyen de vous accuser d'imprudence.
Une bataille de narratifs perdue d'avance ?

En définitive, les révélations de Jeune Afrique sur cette affaire montrent un régime engagé dans une bataille de narratifs qu'il semble avoir perdue avant même de la livrer. Malgré l'autopsie officielle, malgré l'intervention du ministre sur PRC TV, malgré la mobilisation de la machine de propagande, l'opinion publique reste convaincue qu'Anicet Ekane est mort des conséquences de sa détention.

Cette défaite médiatique du pouvoir est d'autant plus remarquable qu'elle se produit malgré son contrôle quasi total des institutions. Quand même une autopsie officielle ne suffit plus à convaincre, c'est que la crédibilité du régime est définitivement entamée.

La mort d'Anicet Ekane et la controverse autour de son autopsie, révélées par Jeune Afrique, marquent peut-être un tournant : celui où les instruments traditionnels de contrôle du narratif officiel – expertises médicales, déclarations ministérielles sur les médias d'État – ne fonctionnent plus. Une situation qui ne peut qu'inquiéter un pouvoir habitué à imposer sa vérité par la seule force de l'appareil d'État.