Sur PRC TV, le ministre fait le procès d'Anicet Ekane cinq jours après sa mort en détention
Cinq jours seulement après le décès en détention d'Anicet Ekane, le régime camerounais a choisi l'offensive médiatique plutôt que l'apaisement. Paul Atanga Nji, ministre de l'Administration territoriale et secrétaire permanent du Conseil national de sécurité, s'est exprimé le 5 décembre sur PRC TV, la chaîne officielle de la présidence de la République, pour délivrer un message aussi brutal qu'inédit : le militant décédé aurait commis l'erreur de s'engager en politique malgré sa fragilité physique.
Selon les révélations de Jeune Afrique, Paul Atanga Nji a choisi le média le plus symbolique du pouvoir pour s'exprimer : PRC TV, la chaîne de télévision de la présidence du Cameroun. Un choix stratégique qui confère à ses propos un caractère quasi officiel, comme s'il s'agissait d'une position assumée au plus haut niveau de l'État.
Cette prise de parole sur une plateforme directement contrôlée par la présidence n'a rien d'anodin. Elle signifie que le message délivré par le ministre bénéficie de l'aval, au moins tacite, du palais d'Etoudi. En d'autres termes, c'est le régime dans son ensemble qui assume cette stratégie de contre-offensive médiatique face à l'émotion suscitée par la mort d'Ekane.
Jeune Afrique rapporte que Paul Atanga Nji a entériné "l'hypothèse d'un accident de santé indépendant des conditions de détention d'Anicet Ekane". Une formulation qui écarte d'emblée toute responsabilité du pouvoir dans ce décès survenu après trente-sept jours passés dans les locaux du secrétariat d'État à la Défense à Yaoundé.
Mais le ministre va plus loin dans sa charge posthume. Selon Jeune Afrique, il "laisse entendre que l'intéressé, conscient de sa fragilité physique, avait eu tort de s'engager dans une bataille contre le pouvoir". Une accusation qui revient à faire porter au défunt la responsabilité de sa propre mort : s'il était fragile, pourquoi s'est-il engagé en politique ? Une logique aussi implacable que révoltante pour les proches du militant.
La reconnaissance de Tchiroma Bakary, un "péché" politique
Jeune Afrique révèle un autre aspect troublant de l'intervention du ministre : celui-ci "a même regretté que l'opposant se soit empressé de reconnaître la victoire d'Issa Tchiroma Bakary à la présidentielle du 12 octobre, de surcroît avant la proclamation des résultats".
Cette critique dévoile en réalité ce que le régime reproche véritablement à Anicet Ekane : non pas d'être fragile physiquement, mais d'avoir osé contester la légitimité de l'élection présidentielle en reconnaissant prématurément la victoire du candidat de l'opposition. Un "crime" politique que Paul Atanga Nji continue de lui reprocher même après sa mort.
Le message est limpide : ceux qui, comme Ekane, choisissent de défier le pouvoir en soutenant des contestations électorales en assument seuls les conséquences, y compris fatales.
Jeune Afrique souligne que le ministre s'est insurgé "contre la tentation de conférer au défunt le statut de 'martyr' ou de 'héros'". Cette préoccupation révèle la véritable angoisse du régime : que la mort d'Anicet Ekane ne devienne un symbole de la répression, un catalyseur de mobilisation pour l'opposition.
En s'exprimant publiquement pour délégitimer le défunt, Paul Atanga Nji tente de tuer dans l'œuf toute héroïsation posthume. Il s'agit d'imposer le récit officiel : Ekane n'est pas une victime du régime, mais un imprudent qui a payé le prix de ses choix malgré sa santé précaire.
Cette stratégie de contrôle du narratif, orchestrée via la télévision présidentielle, témoigne de l'importance accordée par le pouvoir à la bataille de l'opinion publique, même – et surtout – après la disparition de l'opposant.
Les révélations de Jeune Afrique sur cette intervention télévisée permettent de comprendre l'ampleur de l'indignation qu'elle a suscitée. Haman Mana, directeur de publication du quotidien Le Jour, estime que "le bourreau avoue le crime, s'en vante et s'en félicite". Une accusation frontale qui transforme Paul Atanga Nji en symbole de l'arrogance du pouvoir.
Henriette Ekwe, journaliste proche d'Anicet Ekane, confie à Jeune Afrique : "Je suis choquée et en colère". Son témoignage reflète le sentiment de nombreux Camerounais pour qui les propos du ministre constituent une insulte à la mémoire du défunt et à la douleur de ses proches.
Jeune Afrique rappelle que plusieurs titres de la presse indépendante ont immédiatement réagi à l'annonce du décès. ActuCameroun titrait "Ils l'ont tué", Forum libre évoquait un "Martyr de la cause politique", et Émergence interrogeait : "Quelle faute a-t-il commise ?"
Cette unanimité dans la contestation du récit officiel explique pourquoi le régime a jugé nécessaire de riposter via sa propre chaîne de télévision. Face à une presse indépendante qui refuse de relayer la version officielle, le pouvoir utilise ses propres médias pour imposer son narratif.
Jeune Afrique révèle que même au sein de la sphère du pouvoir, les propos de Paul Atanga Nji embarrassent. Des "proches du pouvoir", qui "réclament toutefois l'anonymat", tentent de défendre le ministre en affirmant que ce qui est perçu comme "un manque de délicatesse en période de deuil ne serait que le signe que le ministre est un homme entier, qui assume ses convictions".
Cette défense, formulée sous couvert d'anonymat, trahit le malaise. Si Paul Atanga Nji était vraiment dans son droit, pourquoi ses soutiens n'assument-ils pas publiquement leur défense de ses propos ? Cette prudence suggère que même dans le camp présidentiel, certains jugent que le ministre est allé trop loin.
L'utilisation de PRC TV pour cette intervention pose des questions plus larges sur le rôle des médias d'État au Cameroun. Jeune Afrique en faisant état de cette diffusion sur "la chaîne officielle de la présidence de la République", rappelle que le régime dispose d'outils médiatiques puissants pour façonner l'opinion.
Dans un contexte de contestation électorale et de répression de l'opposition, ces médias officiels deviennent des armes de propagande, relayant sans filtre le discours du pouvoir et participant activement à la criminalisation des opposants, même décédés.
En acceptant que son ministre s'exprime ainsi sur PRC TV, le régime de Paul Biya établit un précédent inquiétant : celui d'un pouvoir qui non seulement emprisonne ses opposants, mais continue de les poursuivre médiatiquement après leur mort.
Cette stratégie risque de se retourner contre le régime. Comme le note Jeune Afrique, de nombreux observateurs qualifient déjà le décès d'Anicet Ekane de "crime d'État". Les propos de Paul Atanga Nji, loin de calmer ces accusations, ne font que les renforcer en montrant un pouvoir incapable de compassion, même face à la mort.
L'intervention de Paul Atanga Nji sur PRC TV, révélée par Jeune Afrique, illustre les contradictions du régime camerounais. D'un côté, il affirme qu'Ekane est mort de causes naturelles liées à sa santé fragile. De l'autre, il le critique pour s'être engagé en politique et avoir reconnu la victoire de Tchiroma Bakary.
Si Ekane est réellement mort de maladie, pourquoi cette charge posthume ? Si le pouvoir n'a rien à se reprocher, pourquoi cette nécessité de salir la mémoire du défunt ? Ces questions, que soulève implicitement le reportage de Jeune Afrique, mettent en lumière l'incohérence du discours officiel.
La mort d'Anicet Ekane et les propos de Paul Atanga Nji sur PRC TV marquent un tournant dans la gestion de la contestation au Cameroun. Le régime ne se contente plus de réprimer : il assume désormais publiquement, via ses médias officiels, sa volonté de détruire jusqu'à la mémoire de ceux qui le défient.









