L'écrivain Camerounais mondialement connu EUGENE EBODE rend sa Médaille obtenue en 2016 a l'Etat du Cameroun. Il regrette que la situation actuelle dans son pays prépare la voie aux chocs des appartenances primaires ou émergeront des Milices se réclamant de la tribu ou d'un régionalisme de façade.
Sa sortie sur sa page.
Un État qui ruse avec ses propres principes est un État moribond. Un État qui emprisonne pour museler sa population et qui piétine le Droit est un État condamné à disparaître, car privé de valeurs. C’est précisément pour ces raisons que je renvoie à cet État la médaille de Chevalier dans l’Ordre de la Valeur qui m’a été décernée en 2016. Il faut savoir tourner le dos au désastre et rendre une médaille indigne. Depuis la crise dite « anglophone » – qui est en réalité le symptôme éclatant de la défaite de l’État central et de son obsolescence programmée par la cupidité – la question de la justice a surgi avec force dans le débat public camerounais. Or elle n’a trouvé ni mode de régulation approprié ni réponse acceptable, parce que l’État s’est réduit à une clique que la dévoration du bien public a rendue incapable de gouverner, mais uniquement apte à rapiner.
La dernière élection présidentielle a montré l’état des ravages causés à l’État de droit et les irresponsabilités qui ont rendu irrecevables, car proprement ubuesques, les résultats proclamés. Ce
détournement de la fonction publique au profit d’intérêts privés a rendu caduque toute démarche assimilable à la protection des personnes, à la gestion du bien commun, à la sauve sa juste représentation, l’application scrupuleuse du Droit et son observation permanente garde des institutions et au respect de la souveraineté. Ce sont pourtant ces mécanismes-là qui, dans tout État digne de ce nom, fondent l’exercice légitime du pouvoir. Les Founding Fathers des États-Unis l’avaient compris.
Une République ne tient debout que si la justice est son axe cardinal. La Déclaration d’indépendance et la Constitution, dans leur architecture même, affirment que l’autorité politique doit être continuellement accointable (c’est-à-dire responsable de ses actes devant le peuple et tenue de rendre des comptes) devant le peuple, et que tout abus de pouvoir constitue une rupture du pacte national de confiance. Abraham Lincoln, à la veille de la guerre de Sécession, rappelait avec une remarquable force morale que l’Union ne pourrait être sauvée qu’en restant fidèle au principe de justice qui fait de tous les citoyens des égaux en droit. Pour lui, comme pour les pères fondateurs, la justice n’était pas un simple ornement institutionnel : elle était l’essence même de la nation. Or, au Cameroun, la justice n’est plus ni la boussole politique ni l’instrument par le quel une nation renouvelle chaque jour son adhésion à son gouvernement. Dès lors, le dérèglement politique
accélère la dégradation de la paix sociale. Le pire est alors à redouter : le règne de la tribu lorsque l’effacement de la nation s’est installé et que l’État s’est écroulé.
Cette situation conduira fatalement au choc des appartenances primaires. Ce que nous voyons déjà à l’œuvre est dramatique et lourd de menaces. La disparition de l’État, de son autorité légitime et de sa fonction arbitrale, feront surgir des milices se ré clamant de la tribu ou d’un régionalisme de façade. Ce chaos annoncé est une calamité qui avance un peu plus chaque jour. C’est contre cette dérive systémique que je m’élève. Je restitue donc à l’État défaillant et moribond une distinction honorifique qui a perdu sa signification, car elle n’est plus en adéquation avec les exigences de cohésion, de juste valorisation, d’intégrité institutionnelle et d’idéal de justice qui devraient être les piliers de tout État honorable. Je formule pour le Cameroun le vœu d’un redressement profond. Le pays est durement éprouvé. Peut-il encore être « pansé », pensé et
reconstruit ? Oui, à condition de rétablir la Justice dans
sa centralité : c’est-à-dire de restaurer intégralement le Droit partout où il a été altéré.
Par Eugène Ebodé, écrivain









