Actualités of Monday, 13 October 2025

Source: L'Indépendant n°972 du 13 octobre

Vote au Cameroun : le récit d'une journée chargée d'intrigues

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Le 12 octobre dernier, huit (08) millions d'électeurs selon les chiffres d’Elecam, l'organe en charge de l'organisation du scrutin, étaient appelés aux urnes pour désigner leur nouveau président dans 31 000 bureaux de vote pour une élection à un seul tour. Entre alternance et continuité, aux suffrages valablement exprimés d’en décider.

Après 43 ans à la tête du Cameroun, Paul Biya, 92 ans, brigue un nouveau septennat qui pourrait le mener jusqu'à ses 99 ans au pouvoir. Candidat à un huitième mandat, le Président de la République peut compter sur la capacité de mobilisation de son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), présent sur l'ensemble du territoire. Officiellement, ils sont douze en lice pour cette élection présidentielle, mais deux se sont désistés. Durant les deux semaines de campagne officielle, le Président sortant a tenu un seul meeting, à Maroua, dans l'Extrême-Nord, une des trois régions du septentrion.

Hier, dimanche 12 octobre 2025, le Président de la République, Paul Biya, accompagné de la Première Dame, Chantal Biya, a accompli son devoir citoyen à l’École publique bilingue de Bastos A, à Yaoundé. Le couple présidentiel s’est présenté en fin de matinée dans ce centre de vote emblématique, sous haute sécurité, comme à chaque élection. Le Président candidat et son épouse ont été accueillis par le ministre de l'Éducation de base, par ailleurs président de la Commission départementale de campagne du RDPC, Laurent Serge Etoundi Ngoa, le gouverneur de la région du Centre, Naseri Paul Béa, le préfet du Mfoundi, Emmanuel Mariel Njikdent, le président du Conseil régional Gilbert Tsimi Evouna, le maire de la ville, Luc Messi Atangana, le maire de Yaoundé 1er, Jean Marie Abouna.

Sourire maîtrisé, marchant sur ses pieds, Paul Biya a glissé son bulletin dans l’urne, en toute discrétion. Candidat à sa propre succession sous la bannière du RDPC, Paul Biya a ainsi marqué ce moment électoral d’un geste fort, symbole de son attachement aux institutions républicaines et à la souveraineté populaire. Ce passage a attiré une attention particulière des médias, des observateurs internationaux et des militants du RDPC venus nombreux saluer leur leader. À sa sortie des urnes, le candidat du RDPCs’est exprimé brièvement devant la presse nationale. Interrogé par le directeur général de la CRTV, Charles Ndongo, il a déclaré souhaiter un bon déroulement du scrutin et le respect de la volonté des électeurs.

« Je ne peux pas faire de projet sans être sûr d’être élu », a-t-il ajouté sur ses intentions en cas de victoire. Une phrase qui traduit la confiance et la prudence du chef de l’État dans le déroulement du scrutin, tout en soulignant son attachement au processus démocratique. Ce moment symbolique illustre la participation des plus hautes autorités de l’État à un scrutin décisif pour l’avenir du Cameroun. Le président national du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC), Issa Tchiroma Bakary, a quant à lui accompli son droit civique, au bureau de vote de l'École maternelle Foulbéré Garoua.

Entouré de ses partisans, de son épouse et de plusieurs membres de sa coalition politique, Issa Tchiroma a glissé son bulletin dans l’urne, dans une ambiance calme mais chargée de symboles. Par ce geste, il comptait sans doute réaffirmer son attachement au processus démocratique et à la légitimité des institutions électorales. Candidat de rupture pour certains, homme d’expérience pour d’autres, le candidat du FSNC entend incarner une alternative crédible pour sortir le Cameroun de la stagnation politique, sociale et économique.

Il a invité ses sympathisants à voter massivement et dans le calme, tout en appelant à la vigilance pour garantir la transparence et la régularité du scrutin. Après les impressions prudentes du Président sortant Paul Biya à Bastos, l’opposant Issa Tchiroma a quant lui au sortir du vote, fait une déclaration empreinte de sous-entendus : « Je voudrais d’abord dire que ce jour est un jour fatidique pour moi, dès lors qu’il consacre ma volonté à dédier toute mon existence pour la protection et la promotion de notre nation en général, et de son peuple en particulier. S’agissant du peuple Camerounais, je m’engage également à réveiller en chaque Camerounais, la valeur de l’honneur, de dignité, de service. Que chaque Camerounais du tréfond de son âme, sente la nécessité de se mettre au service de cette très grande et belle nation pour qu’elle redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Je voudrai également dire une chose, le Cameroun c’est un usufruit, c’est-à-dire quelque chose qui appartient à tout le monde, mais n’appartient à personne, ni à quelqu’un, ni à un groupe de gens. Nous sommes tous des actionnaires à part égale, c’est-à-dire dans le Cameroun, quel que soit votre être, vous avez le même que n’importe qui, y compris le Président de la République ».

À l’école publique de Bonamatoumbe, dans l’arrondissement de Bonabéri (Douala IV), Serge Espoir Matomba, candidat du Peuple uni pour la rénovation sociale (Purs), y a accompli son devoir de citoyen. Souriant et détendu, le candidat est arrivé au bureau de vote B dans la matinée, accueilli par les électeurs et les membres de la Commission locale. Après avoir suivi le processus d’identification, il a glissé son bulletin dans l’urne, sous les regards des observateurs électoraux, des forces de l’ordre et des représentants de partis politiques. Cette étape marque un moment clé dans la participation des candidats, alors que la journée électorale se poursuivait sur l’ensemble du pays.

Challengers

Les deux principaux challengers de Paul Biya pour cette élection étaient encore, il y a quelques mois, membres du gouvernement. Notamment, Issa Tchiroma Bakary du FSNC, qui a marqué les esprits en attirant les foules à ses meetings, et de Bello Bouba Maïgari, qui peut s'appuyer sur son parti, l'Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP). Également dans la course, on retrouve Cabral Libii du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), qui a créé la surprise en 2018, en occupant la troisième place lors de la dernière présidentielle. Joshua Osih, l'héritier de l'opposant historique feu Ni John Fru Ndi, porte les couleurs du Front social démocrate (SDF), tandis que Patricia Hermine Tomaïno Ndam Njoya, présidente de l'Union démocratique du Cameroun (UDC) et maire de Foumban, est la seule femme présente sur les bulletins de vote.

Dans le secret de l'isoloir, les électeurs avaient à choisir entre Serge Espoir Matomba, du Peuple uni pour la rénovation sociale (PURS), Pierre Kwemo, de l'Union des mouvements socialistes (UMS), l'économiste Jacques Bougha-Hagbe, du Mouvement citoyen national camerounais (MCNC), ou encore Samuel Iyodi Hiram, du Front des démocrates camerounais (FDC), le plus jeune des candidats.

Pour le RDPC et son candidat Paul Biya, l'enjeu du scrutin est de prolonger un pouvoir presque cinquantenaire. Dans cette perspective, le parti présidentiel s'est donc employé, pendant les deux semaines de campagne, à tourner à son avantage l'âge du président présenté comme un homme d'expérience, un gage de stabilité, préalable indispensable à toute aspiration au développement. « Pour l'opposition en revanche, l'objectif est de mettre un coup d'arrêt à un pouvoir qui n'a que trop duré pour déconstruire son mode de gouvernance et ouvrir une nouvelle page dans l'histoire du Cameroun. Seul problème : dans le cadre d'une élection à un seul tour, celle-ci se présente en ordre dispersé, n'ayant pas été capable de s'accorder sur le nom d'un candidat consensuel », rapporte le correspondant à Yaoundé de RFI, Polycarpe Essomba.

Des observateurs avisés soutiennent que dans ce contexte, le taux de participation risque donc de jouer un rôle déterminant, qui plus est en raison de l'engouement observé pendant les meetings de certains candidats. L'opposition va-t-elle ainsi parvenir à séduire les nombreux abstentionnistes de 2018 et à convaincre les presque 2 millions de nouveaux inscrits sur les listes électorales ? Quant à l'axe Nord-Sud qui a en partie permis à Paul Biya d'assurer sa longévité au pouvoir, peut-il survivre aux candidatures de deux personnalités du Nord, en l'occurrence Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maïgari, deux anciens alliés du chef de l'État passés dans l'opposition ? Sur le plan socio-économique, la communauté internationale s’est interrogée sur le poids de la situation économique et social difficile dans laquelle se déroule le scrutin. Selon la Banque mondiale en effet, plus de 10 millions des 28 millions de Camerounais vivent sous le seuil de pauvreté alors que le pays est par ailleurs confronté aux attaques de groupes issus de Boko Haram dans l'Extrême-Nord mais aussi à une crise qui dure depuis huit ans dans les deux régions anglophones du pays. Afin de pouvoir apporter des réponses à toutes ces questions, Elecam, l'organe en charge des élections, s'est engagé à organiser un scrutin apaisé, crédible, impartial et inclusif, alors que la campagne a été marquée par de nombreux appels à surveiller le vote.

« Je peux le dire avec autorité et certitude : Elecam est totalement prêt depuis quelques jours. Une élection ne se prépare pas la veille du scrutin mais bien avant. On a convoqué le corps électoral qui nous a donné 90 jours pour être prêts. Et nous nous sommes donc préparés. Les urnes, les isoloirs, l'encre indélébile, les bulletins... Tout est prêt », affirme ainsi le directeur général de la structure, Erick Essousse, qui se veut rassurant.