Actualités of Monday, 6 October 2025

Source: www.camerounweb.com

Tchiroma à Douala : La présidence n'est pas un mi-temps -, un tacle frontal à Paul Biya et Ferdinand Ngoh Ngoh

Dans un discours sans précédent, l'ancien ministre Issa Tchiroma exige la fin des « hautes instructions » et pointe du doigt l'absentéisme présidentiel et l'omniprésence du Secrétaire général de la présidence


Rarement un proche du régime n'aura parlé aussi crûment. À Douala, devant un parterre de militants et de cadres, Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre de la Communication et figure historique du RDPC, a franchi une ligne rouge. S'adressant directement à Paul Biya, il a lâché cette phrase choc : « La fonction présidentielle n'est pas une fonction à mi-temps ou quart temps. C'est une fonction à plein temps. Sur hautes instructions du chef de l'État, c'est fini. On va terminer avec ça. »

Une sortie qui vise non seulement le président camerounais, critiqué pour ses longues absences du territoire national, mais aussi, et peut-être surtout, Ferdinand Ngoh Ngoh, le tout-puissant Secrétaire général de la présidence de la République, connu pour brandir régulièrement la formule magique des « hautes instructions » pour imposer ses décisions.

Le ton employé par Issa Tchiroma tranche radicalement avec la langue de bois habituelle des dignitaires du régime. En affirmant que « c'est fini », l'ancien ministre ne fait pas dans la demi-mesure. Il exige, il intime, il somme. Un vocabulaire d'ultimatum qui détonne dans le paysage politique camerounais, où la critique ouverte du président relève généralement du suicide politique.
« La fonction présidentielle n'est pas une fonction à mi-temps ou quart temps », martèle Tchiroma. Cette formule, choisie avec soin, renvoie directement aux longues périodes que Paul Biya passe en Suisse, loin du Cameroun. Depuis des années, les critiques fusent sur ces séjours prolongés à l'hôtel Intercontinental de Genève, alors que le pays fait face à de multiples crises : insécurité dans les régions anglophones, menace de Boko Haram dans l'Extrême-Nord, difficultés économiques, défaillances des services publics.

En parlant de « quart temps », Tchiroma enfonce le clou. Il ne s'agit plus de simples vacances présidentielles, mais d'un absentéisme structurel qui paralyse la prise de décision au sommet de l'État. Les Camerounais, depuis longtemps, se demandent qui gouverne réellement quand le président est absent plusieurs mois par an.

Mais le message de Tchiroma ne s'arrête pas là. En déclarant vouloir « terminer » avec les « hautes instructions du chef de l'État », l'ancien ministre vise une cible précise : Ferdinand Ngoh Ngoh, Secrétaire général de la présidence depuis 2018.

Cette formule – « sur hautes instructions du chef de l'État » – est devenue la marque de fabrique de Ngoh Ngoh. Elle apparaît dans d'innombrables circulaires, notes de service, communiqués officiels. Elle sert à justifier nominations, limogeages, réorientations budgétaires, décisions administratives. Elle confère à chaque directive une autorité incontestable, puisqu'elle émanerait directement du président.

Le problème, c'est que personne ne peut vérifier l'authenticité de ces « hautes instructions ». Émanent-elles réellement de Paul Biya ? Sont-elles reformulées, amplifiées, voire inventées par le Secrétaire général de la présidence ? Dans un système politique où le président communique peu directement, où les conseils des ministres sont espacés, où les apparitions publiques se raréfient, le doute s'est installé.

Ferdinand Ngoh Ngoh est devenu, aux yeux de nombreux observateurs, l'homme le plus puissant du Cameroun après Paul Biya. Certains vont plus loin : ils le considèrent comme le véritable décideur, celui qui oriente les politiques publiques, qui distribue les postes, qui récompense ou sanctionne. En brandissant systématiquement les « hautes instructions », il se protège derrière l'autorité présidentielle tout en exerçant un pouvoir considérable.

Ce que dénonce Tchiroma, au fond, c'est un système de gouvernance devenu dysfonctionnel. Comment un État peut-il fonctionner efficacement quand les ministres, les hauts fonctionnaires, les gouverneurs attendent en permanence des « hautes instructions » avant d'agir ? Comment peut-on impulser des réformes, prendre des décisions rapides en cas de crise, si tout doit systématiquement remonter – ou être censé remonter – jusqu'au sommet ?

Cette centralisation excessive crée des goulots d'étranglement administratifs. Des dossiers urgents traînent pendant des mois en attendant un feu vert présidentiel qui ne vient pas toujours. Des initiatives locales sont bloquées faute de validation par le Secrétariat général de la présidence. Des ministres se retrouvent impuissants, incapables d'exercer pleinement leurs prérogatives sans l'aval de Ferdinand Ngoh Ngoh.

Le « règne » des hautes instructions a également instauré une culture de la déresponsabilisation. Pourquoi un ministre prendrait-il une décision courageuse mais potentiellement controversée s'il peut toujours attendre des « hautes instructions » qui le couvriront ou, au contraire, le désavoueront ? Cette logique tue l'initiative, bride la créativité administrative, empêche l'émergence de leaders capables de porter des projets ambitieux.

Ce qui rend la sortie de Tchiroma particulièrement explosive, c'est son profil. Il ne s'agit pas d'un opposant de la première heure, d'un activiste de la diaspora ou d'un jeune rebelle en quête de notoriété. Issa Tchiroma Bakary est un pilier du régime, un homme qui a servi Paul Biya pendant des décennies, qui a occupé des postes stratégiques, qui connaît les rouages du pouvoir de l'intérieur.

Ministre de la Communication de 2011 à 2018, il a été le porte-parole officiel du gouvernement, celui qui défendait les choix présidentiels dans les médias, qui justifiait les politiques publiques, qui assurait la communication de crise. Sa légitimité au sein du RDPC, le parti au pouvoir, est incontestable. Il bénéficie d'une base militante fidèle, particulièrement dans la région du Nord, dont il est originaire.

Quand un homme de ce calibre, de cette expérience, de cette fidélité historique, se permet de critiquer aussi ouvertement le président et son Secrétaire général, c'est que quelque chose d'important se passe dans les coulisses du pouvoir. Soit Tchiroma exprime publiquement ce que beaucoup pensent tout bas au sein du régime, soit il se positionne stratégiquement dans la perspective de l'après-Biya.