Actualités of Friday, 19 December 2025

Source: www.camerounweb.com

REVELATION GRAVE: 22 millions FCFA du Port de Douala pour l'intronisation d'un dignitaire du RDPC

Un document administratif obtenu par notre rédaction révèle une utilisation controversée des fonds publics au Port Autonome de Douala (PAD). Le directeur général Cyrus Ngo'o a autorisé, le 12 novembre 2024, le déblocage de 21.465.000 FCFA pour financer la cérémonie d'intronisation traditionnelle d'un membre influent du comité central du RDPC, le parti au pouvoir.


Selon la décision n°2687-24/DCRP/DG/PAD du 12 novembre 2024, cette somme substantielle a été allouée "relative à l'accompagnement du PAD pour l'organisation de la double cérémonie d'installation et d'intronisation traditionnelle du Chef Supérieur de la Chefferie de 2ème degré de l'Arrondissement de Nitoukou, dans le Département du Mbam et Inoubou, Région du Centre".


Le bénéficiaire de cette générosité : Pierre Célestin Ndembi Yembe, figure influente du comité central du RDPC, décrit par certains comme un "faiseur de roi" au sein du parti présidentiel. Le 1er février 2025, il sera officiellement installé comme premier chef supérieur de 2ème degré du canton Ekondj.
Le Port de Douala, mécène des cérémonies traditionnelles ?
La question qui se pose est simple : pourquoi une entreprise publique stratégique comme le Port Autonome de Douala finance-t-elle l'intronisation traditionnelle d'un dignitaire partisan ?


Le document administratif mentionne que la dépense sera "supportée par le budget du PAD exercice 2024 et imputée à la tâche 8271000 (Publicité/Publications/Insertion)" et au compte "3112005 - Sponsoring/Parrainage/Mécénat (RSE)". L'argent provient des "fonds généraux payés par virement à l'ordre de CHEFFERIE DE 2ème DEGRÉ D'EKONDJ", domicilié à la BICEC Yaoundé.

Cette classification comptable sous la rubrique "Responsabilité Sociétale des Entreprises" (RSE) soulève des interrogations. La RSE vise normalement à financer des projets d'intérêt général : éducation, santé, environnement, développement local. Peut-on raisonnablement considérer l'intronisation d'un cadre du parti au pouvoir comme relevant de la responsabilité sociale d'une entreprise publique ?
Un contraste accablant
L'ironie de cette dépense apparaît d'autant plus cruelle quand on sait que Cyrus Ngo'o, le directeur général du PAD qui a signé cette autorisation, est lui-même originaire de la région de l'Est. Or, cette région compte des centaines de villages sans accès à l'eau potable.

Pendant que plus de 21 millions FCFA sont mobilisés pour une cérémonie traditionnelle d'un dignitaire du parti, des populations entières de l'Est-Cameroun continuent de parcourir des kilomètres pour accéder à des points d'eau souvent insalubres. Le contraste est saisissant et pose une question morale évidente sur les priorités de l'utilisation des fonds publics.


Cette affaire n'est pas isolée. Le Port Autonome de Douala, première entreprise publique du Cameroun en termes de revenus, est régulièrement pointé du doigt pour des dépenses somptuaires et des détournements de sa mission première.
Créé pour gérer et développer les infrastructures portuaires stratégiques du pays, le PAD semble devenir progressivement un guichet de financement des activités politiques et sociales du régime. Entre les "sponsorings", les "parrainages" et autres "accompagnements", les lignes budgétaires de cette entreprise publique servent souvent à financer des événements sans lien direct avec sa mission économique.

Le bénéficiaire de cette manne mérite qu'on s'y attarde. Pierre Célestin Ndembi Yembe n'est pas un inconnu dans les cercles du pouvoir. Membre influent du comité central du RDPC, il est décrit par nos sources comme un "faiseur de roi", un de ces barons discrets mais puissants qui façonnent les équilibres internes du parti présidentiel.

Son intronisation comme chef supérieur de 2ème degré n'est pas qu'une simple reconnaissance traditionnelle. C'est aussi un positionnement politique dans une région stratégique, le Mbam et Inoubou, territoire où les enjeux fonciers et l'influence politique s'entrecroisent.

Que cette cérémonie nécessite un financement public de plus de 21 millions FCFA pose évidemment question. Une intronisation traditionnelle, aussi prestigieuse soit-elle, justifie-t-elle une telle dépense d'argent public ?

L'argument culturel et traditionnel est souvent avancé pour justifier ce type de dépenses. Le respect des chefferies traditionnelles fait effectivement partie du paysage institutionnel camerounais. Mais faut-il pour autant que les entreprises publiques financent sur leurs budgets les cérémonies d'intronisation, surtout quand les bénéficiaires sont des cadres influents du parti au pouvoir ?
Cette instrumentalisation de la tradition à des fins de redistribution politique des ressources publiques constitue l'une des faces cachées du système de gouvernance camerounais. Sous couvert de respect des us et coutumes, c'est en réalité un système clientéliste qui se perpétue.

Cette affaire du PAD illustre parfaitement le fonctionnement du système économique camerounais : les entreprises publiques, censées servir l'intérêt général et le développement économique, sont en réalité transformées en caisses de résonance du pouvoir politique.


Le contribuable camerounais, qui subit les hausses de tarifs portuaires et les inefficacités de gestion du PAD, finance indirectement les cérémonies festives des dignitaires du régime. Pendant ce temps, les besoins essentiels des populations - eau potable, électricité, routes, écoles, centres de santé - restent criants.


La décision signée par Cyrus Ngo'o mentionne que "le Directeur du Contrôle de Gestion et le Directeur des Finances et de la Comptabilité sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution de la présente décision".
Ces organes de contrôle interne ont-ils validé la pertinence de cette dépense ? Ont-ils vérifié sa conformité avec la mission du PAD ? Ont-ils questionné l'opportunité de financer une cérémonie traditionnelle d'un cadre du parti au pouvoir sur les deniers publics ?


Le silence assourdissant des mécanismes de contrôle témoigne d'une réalité : dans le système actuel, ces garde-fous sont neutralisés. Personne n'ose s'opposer à une dépense validée par le directeur général, surtout quand elle bénéficie à un poids lourd du parti présidentiel.

Si le PAD peut décaisser 21 millions FCFA pour l'intronisation d'un dignitaire du RDPC, qu'est-ce qui empêchera demain d'autres entreprises publiques de faire de même ? Combien d'autres cérémonies, baptêmes, mariages, funérailles de cadres du régime sont financés sur les budgets des sociétés publiques sous couvert de "sponsoring" ou de "RSE" ?

Cette normalisation de la prédation des ressources publiques au profit du système partisan constitue l'une des causes profondes du sous-développement camerounais. L'argent qui devrait servir au développement économique et social est détourné vers des dépenses somptuaires et clientélistes.


Pendant que Pierre Célestin Ndembi Yembe sera intronisé dans le faste financé par l'argent public, des villages entiers de l'Est-Cameroun - région d'origine du directeur du PAD qui a signé le chèque - continueront de manquer d'eau potable. Ce contraste résume à lui seul les dysfonctionnements du système de gouvernance camerounais.


La tradition et la culture sont respectables. Mais elles ne doivent pas servir d'alibi à la dilapidation des ressources publiques et à l'enrichissement d'un système clientéliste qui maintient le pays dans le sous-développement.