Actualités of Friday, 5 December 2025

Source: www.camerounweb.com

Paul Biya dans la tourmete/Eneo racheté avec une décote colossale de 40% : les dessous d'un accord controversé

L'État récupère l'énergéticien pour 119 millions d'euros, alors qu'Actis l'avait acquis pour 202 millions de dollars

La renationalisation d'Eneo cache une opération financière pour le moins avantageuse pour le Cameroun. Des révélations de Jeune Afrique dévoilent l'ampleur de la décote consentie par le fonds britannique Actis et les circonstances qui ont conduit à cet accord inédit.

Jeune Afrique révèle les chiffres précis de l'opération : alors qu'Actis avait racheté la Sonel (ancien nom d'Eneo) au capital investisseur américain Aes Corp moyennant 202 millions de dollars en 2014, le fonds britannique a consenti à se défaire de l'énergéticien au profit de l'État camerounais contre seulement 78 milliards de francs CFA (environ 119 millions d'euros).

Selon le magazine panafricain, cette décote dépasse les 40%, un chiffre qualifié de "colossal" par les observateurs du secteur. Même en tenant compte de la scission intervenue entre-temps, avec la reprise par Globeleq de deux actifs importants que sont les centrales thermiques de la Dibamba (88 MW) et de Kribi (216 MW), la différence reste spectaculaire.

Jeune Afrique indique que le prix de rachat a été établi sur la base d'une évaluation réalisée par KPMG France. Une expertise qui a manifestement joué en faveur de l'État camerounais, permettant à Yaoundé de récupérer son énergéticien national à un prix nettement inférieur à sa valeur d'acquisition.
Cette évaluation favorable intervient dans un contexte où Actis était sous pression, confronté à des arriérés de paiement colossaux de la part de l'État camerounais et en pleine phase de restructuration suite à son rachat par le fonds américain General Atlantic en janvier 2024.

Selon les informations de Jeune Afrique, la décision d'Actis de céder ses parts en novembre 2023 est apparue comme "l'expression d'un ras-le-bol lié à l'accumulation des arriérés de paiement". En avril 2023, l'actionnaire de référence avait adressé une lettre de mise en demeure au Premier ministre Joseph Dion Ngute, exigeant le règlement d'une ardoise du secteur public de près de 186 milliards de francs CFA (environ 283,5 millions d'euros).
Une sommation suivie deux mois plus tard d'une demande de conciliation entre les parties à propos de cette dette. Le magazine panafricain révèle qu'Actis menaçait alors d'engager une action en arbitrage international si le débiteur ne réglait pas ses arriérés.

Jeune Afrique dévoile que Paul Biya en personne a mis sur pied un comité interministériel pour négocier la renationalisation de l'opérateur. Sous les auspices de Louis Paul Motaze, le ministre des Finances, ce comité a mené une "négociation fleuve" qui s'est étalée sur deux ans.

L'étape décisive a été franchie le 22 mai 2025, lorsque Cameroon Power Holdings (CPH), le véhicule piloté par Actis pour porter ses actions chez Eneo, a accepté les 119 millions d'euros proposés par la partie camerounaise. La signature définitive du contrat d'achat d'actions est intervenue le 19 novembre dernier.

Jeune Afrique annonce que le 12 décembre prochain, les administrateurs d'Actis siègeront pour la dernière fois au conseil d'administration d'Eneo. Ce dernier conseil doit acter la fin du contrôle du fonds britannique sur l'énergéticien camerounais, après 11 ans de présence marquée par des tensions récurrentes avec l'État.

Pour financer cette opération, le magazine panafricain révèle que le budget d'investissement public du Cameroun pour 2026 a été augmenté de 178,1 milliards de francs CFA (+9,6%), pour le porter à 2031,2 milliards de francs CFA.
Louis Paul Motaze a précisé devant la commission des finances de l'Assemblée nationale le 27 novembre que cette augmentation était "soutenue essentiellement par l'augmentation des dépenses sur ressources internes (132,8 milliards), justifiée par le relèvement substantiel du poste de dépenses relatif aux prises de participations en vue du rachat des actifs d'Actis à Eneo (78 milliards)".
Selon Jeune Afrique, Yaoundé devra régler la facture avant le 18 janvier 2026, date butoir fixée dans le contrat d'achat.

Pour Actis, cette sortie à perte permet de mettre fin à un bourbier financier et de récupérer au moins une partie de son investissement, tout en évitant un arbitrage international qui aurait pu être long et coûteux.
Pour le Cameroun, les révélations de Jeune Afrique montrent une opération avantageuse : l'État récupère le contrôle total (95%) de son énergéticien national pour un prix défiant toute concurrence, tout en effaçant de facto une partie de sa dette envers l'investisseur britannique.

Reste maintenant à savoir si cette renationalisation permettra de redresser un secteur énergétique camerounais en grande difficulté financière.