Actualités of Tuesday, 11 November 2025

Source: www.camerounweb.com

Limites d'âge et critères académiques : Une réforme électorale qui soulève des questions démocratiques

Au lendemain de sa prestation de serment, le président Paul Biya propose des modifications substantielles au code électoral camerounais. Ces changements, contenus dans la Version VI de la proposition d'amendement de la loi N° 2012/001, introduisent des restrictions d'âge et de qualification académique sans précédent dans l'histoire électorale du pays.





Selon l'Article 117 du document, les candidats à la présidence devront désormais avoir entre 35 et 65 ans au plus à la date de l'élection. Cette limite d'âge maximum représente un changement radical dans les critères d'éligibilité présidentielle. Le texte exige également que les candidats soient citoyens camerounais d'origine et qu'ils justifient d'une résidence continue dans le territoire national d'au moins douze mois consécutifs avant le scrutin.



L'Article 156 propose que les candidats aux élections législatives soient âgés de 23 ans au moins et 60 ans au plus, avec un niveau minimum de baccalauréat, GCE Advanced level ou titre équivalent. Cette exigence académique constitue une nouveauté majeure qui transforme radicalement le profil des futurs parlementaires camerounais. Les candidats devront également justifier d'une expérience politique d'une durée minimale de cinq années au sein d'une formation politique légalement constituée.




L'Article 175 stipule que les candidats aux élections municipales devront avoir au moins un diplôme du brevet d'études du premier cycle (BEPC), GCE Ordinary level ou équivalent. Cette disposition, bien que moins contraignante que celle des députés, introduit néanmoins un filtre éducatif qui n'existait pas auparavant dans l'accès aux responsabilités municipales. Les candidats doivent également justifier d'une expérience politique minimale de trois années au sein d'une formation politique légalement constituée.




Ce qui frappe immédiatement dans ces propositions, c'est leur nature profondément paradoxale. Le président actuel, âgé de plus de 90 ans selon diverses sources, propose une limite d'âge qui l'aurait lui-même exclu de toute candidature future. Cette situation créée une interrogation fondamentale sur la cohérence de cette réforme. Comment comprendre qu'un chef d'État qui a exercé le pouvoir pendant plusieurs décennies au-delà de la limite d'âge qu'il propose aujourd'hui puisse estimer que 65 ans constitue l'âge maximum pour diriger le pays.
Cette apparente contradiction soulève plusieurs hypothèses. Il pourrait s'agir d'une reconnaissance implicite de la nécessité d'un renouvellement générationnel, même si cette reconnaissance arrive tardivement. On peut également y voir une stratégie visant à contrôler le profil des futurs candidats en limitant drastiquement le nombre de personnes éligibles. L'introduction de ces limites maintenant, après plusieurs décennies au pouvoir, suggère peut-être une volonté de préparer une transition tout en s'assurant que seuls certains profils puissent prétendre à la succession.


Le principe démocratique fondamental veut que tout citoyen jouissant de ses droits civiques puisse se présenter aux élections. En imposant des critères d'âge maximum et de qualification académique, ces propositions créent une hiérarchisation des citoyens qui entre en tension avec ce principe d'égalité. Désormais, trois catégories de citoyens émergeraient clairement. D'abord, les citoyens répondant à tous les critères, qui formeraient une élite politique restreinte. Ensuite, les personnes de plus de 65 ans pour la présidentielle et de plus de 60 ans pour les législatives, qui se verraient totalement exclues du processus électoral malgré leur expérience et leur sagesse potentielle. Enfin, les citoyens sans BEPC pour les municipales et sans BAC pour les législatives, qui ne pourraient représenter leurs communautés malgré leurs compétences pratiques et leur ancrage local.




Dans un pays où le taux d'alphabétisation et d'accès à l'éducation secondaire varie considérablement selon les régions et les milieux sociaux, ces critères académiques risquent de créer une élite politique déconnectée de certaines réalités populaires. De nombreuses zones rurales du Cameroun ont historiquement souffert d'un accès limité à l'éducation formelle. Les leaders communautaires de ces régions, qui ont souvent acquis leur légitimité par leur sagesse, leur engagement et leur connaissance du terrain plutôt que par des diplômes académiques, se retrouveraient exclus du processus politique formel.
Cette exclusion pourrait avoir des conséquences graves sur la qualité de la représentation démocratique. Comment garantir que les préoccupations des populations les moins éduquées seront prises en compte si aucun élu ne partage leur parcours et leur expérience vécue. Le risque est réel de voir émerger une classe politique homogène, issue principalement des centres urbains et des milieux favorisés, incapable de comprendre et de représenter la diversité sociologique du pays.




Au-delà des restrictions académiques et d'âge, les Articles 183, 124 et 166 introduisent des cautionnements non remboursables particulièrement élevés qui constituent une barrière financière supplémentaire à l'entrée en politique. Pour les élections municipales, le retrait de la fiche de candidature coûte 10 000 francs CFA, somme à laquelle s'ajoute un cautionnement fixe de 100 000 francs CFA. Pour les élections législatives, le candidat doit verser 500 000 francs CFA pour le retrait de sa fiche de candidature, tandis que le candidat titulaire et son suppléant doivent conjointement verser un cautionnement de 5 millions de FCFA. Quant à la présidentielle, les montants atteignent des sommets vertigineux avec 5 millions de francs CFA pour le retrait de la fiche de candidature.
Ces montants, ajoutés aux critères académiques et d'âge, créent un système à multiples filtres qui favorise manifestement les candidats fortunés et bien établis au détriment d'éventuels outsiders politiques. Dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti est relativement modeste, ces sommes représentent plusieurs années de revenus pour un citoyen moyen. Un jeune diplômé brillant mais sans fortune personnelle, un leader communautaire respecté mais aux moyens limités, ou un activiste de la société civile dévoué mais dépendant de revenus modestes se trouveraient dans l'impossibilité pratique de se présenter aux élections, quels que soient leurs mérites et leur potentiel.




Cette réforme soulève plusieurs questions essentielles pour l'avenir démocratique du Cameroun qui nécessitent un débat national approfondi. Comment garantir que l'expérience et la sagesse des aînés, qui constituent dans de nombreuses cultures camerounaises une valeur cardinale, restent valorisées dans la gouvernance si les personnes âgées sont systématiquement exclues des fonctions électives. Comment assurer que les citoyens moins éduqués mais compétents, dotés d'une intelligence pratique et d'un ancrage communautaire fort, puissent continuer à participer activement à la vie politique de leur pays.
Plus fondamentalement, ces mesures contribuent-elles vraiment à améliorer la qualité de la gouvernance ou créent-elles simplement de nouvelles exclusions qui risquent d'affaiblir la légitimité démocratique du système politique. L'histoire politique mondiale regorge d'exemples de dirigeants brillants qui n'avaient pas nécessairement les diplômes les plus prestigieux mais qui ont transformé leurs pays par leur vision, leur engagement et leur compréhension profonde des aspirations populaires. À l'inverse, la possession de diplômes académiques n'a jamais constitué une garantie contre la corruption, l'incompétence ou l'autoritarisme.



Ces propositions de réforme du code électoral camerounais représentent un tournant significatif dans l'histoire politique du pays. Si elles visent ostensiblement à professionnaliser la classe politique et à favoriser un renouvellement générationnel, elles soulèvent néanmoins de sérieuses questions sur l'accessibilité de la fonction publique et sur le caractère véritablement inclusif du processus démocratique camerounais. Le débat qui s'ouvre sur ces modifications devra nécessairement aborder la tension entre la volonté de moderniser les critères de sélection des dirigeants et le respect des principes fondamentaux d'égalité des citoyens devant le suffrage.



L'enjeu dépasse largement la question technique des critères d'éligibilité. Il touche au cœur même de la conception que le Cameroun se fait de sa démocratie. Veut-on une démocratie élitiste réservée aux diplômés et aux jeunes, ou une démocratie véritablement inclusive qui valorise la diversité des parcours et des expériences. La réponse à cette question déterminera non seulement le visage de la classe politique camerounaise pour les décennies à venir, mais aussi la confiance que les citoyens accorderont à leurs institutions démocratiques.