Dans un communiqué de presse officiel daté du 14 octobre, le ministère de l'Administration territoriale durcit le ton contre Issa Tchiroma Bakary, l'accusant de "démarche conspirationniste et anti-républicaine" et de vouloir "mettre le Cameroun à feu et à sang". Le document, signé par Paul Atanga Nji, annonce que seul le Conseil constitutionnel proclamera les résultats.
YAOUNDÉ - L'escalade verbale atteint son paroxysme. Cinq jours après le scrutin présidentiel, le ministère de l'Administration territoriale (MINAT) a publié mardi un communiqué de presse au ton exceptionnellement dur, ciblant directement Issa Tchiroma Bakary et ses revendications de victoire.
"Le Ministre de l'Administration Territoriale, Agent du Gouvernement dans le processus électoral, porte à la connaissance de l'opinion nationale et internationale les faits d'une extrême gravité posés par Monsieur Issa Tchiroma Bakary, candidat à l'élection présidentielle du 12 octobre 2025", débute le communiqué.
Le document accuse formellement l'opposant d'avoir, "le lundi 13 octobre 2025, en violation de tous les textes juridiques qui encadrent le processus électoral, diffusé un message enregistré à partir de son domicile dans lequel il s'est auto-proclamé vainqueur du scrutin présidentiel".
Le ministère ne mâche pas ses mots : "Le Ministre de l'Administration Territoriale dénonce et condamne avec la plus grande fermeté cette imposture et le comportement irresponsable de ce candidat aux abois, qui a été incapable de se faire représenter dans la moitié des bureaux de vote sur l'étendue du territoire national."
Cette dernière affirmation, qui conteste la capacité organisationnelle du camp Tchiroma, vise à délégitimer ses revendications de victoire en suggérant qu'il n'aurait pas eu de représentants dans suffisamment de bureaux pour compiler des résultats fiables.
Le communiqué franchit un nouveau palier en évoquant une "démarche conspirationniste et anti-républicaine". Selon le MINAT, "le candidat Issa Tchiroma Bakary cherche à perturber le processus électoral qui se déroule normalement. Ce candidat véreux tente de mettre en exécution un plan diabolique savamment planifié avec ses réseaux occultes au pays et à l'étranger visant à mettre le Cameroun à feu et à sang."
Cette formulation extrêmement grave suggère que l'opposition ne se contenterait pas de contester les résultats, mais chercherait activement à déstabiliser le pays, voire à provoquer une guerre civile. L'évocation de "réseaux occultes" au Cameroun et à l'étranger laisse entendre l'existence d'un complot organisé.
Le communiqué cite une déclaration du président Paul Biya : "En tant qu'ancien membre du Gouvernement, le candidat Issa Tchiroma doit se rappeler cette déclaration emblématique du Chef de l'État, S.E Paul BIYA, je cite : 'Il ne faut pas jouer avec le Cameroun.'"
Cette citation, lourde de menaces implicites, rappelle à l'opposant son statut d'ancien ministre et suggère qu'il devrait mieux connaître les limites à ne pas franchir. Elle constitue également un avertissement solennel sur les conséquences possibles de ses actions.
Le MINAT fait allusion aux précédentes contestations post-électorales : "Ce candidat véreux devrait se rappeler qu'avant lui, certains candidats avaient posé des actes similaires lors des scrutins de 1992 et 2018 sans parvenir à leurs fins. Sa tentative de créer le désordre dans notre cher et beau pays est vouée à l'échec total."
Cette comparaison implicite avec Maurice Kamto, qui avait contesté sans succès l'élection de 2018, vise à suggérer que Tchiroma Bakary connaîtra le même sort.
Le communiqué révèle que "le Ministre de l'Administration Territoriale a accrédité 5.575 (cinq mille cinq cent soixante-quinze) observateurs internationaux et nationaux, déployés dans les dix Régions le jour du scrutin."
Selon le MINAT, "de l'avis de ces observateurs, le scrutin présidentiel s'est déroulé sans incident majeur sur l'ensemble du territoire national. Certains ont relevé, dans leurs rapports transmis à nos services, que les quelques irrégularités constatées çà et là ne sont pas susceptibles de modifier les résultats du vote, encore moins la sincérité du scrutin du 12 octobre 2025."
Le document fait une révélation potentiellement explosive : "Le vendredi 10 octobre 2025, sur la base d'informations concordantes fournies par les autorités administratives, le Ministre de l'Administration avait tenu un point de presse au cours duquel il informait l'opinion publique qu'un candidat au scrutin présidentiel avait l'intention de terminer la campagne électorale dans sa région natale avec un agenda caché à savoir, s'auto-proclamer vainqueur du scrutin présidentiel au lendemain de la fermeture des bureaux de vote."
Cette affirmation suggère que le pouvoir avait anticipé la stratégie de Tchiroma Bakary et cherché à la discréditer par avance. Elle soulève également des questions sur les sources de renseignement du ministère.
Le MINAT affirme que "ce candidat, en complicité avec des officines occultes locales et étrangères, avait mis en place un réseau de plateformes pour soi-disant recenser les résultats du scrutin et les proclamer au mépris des instances compétentes."
Cette accusation vise directement la stratégie numérique de l'opposition, qui a effectivement utilisé WhatsApp et d'autres applications pour compiler et diffuser des procès-verbaux de bureaux de vote.
Le communiqué se veut rassurant pour les partisans du régime : "L'ordre public sera assuré, maintenu et renforcé sur l'étendue du territoire national afin que le processus électoral soit conduit sereinement à son terme."
Cette formulation, qui fait écho au déploiement militaire massif à Garoua, suggère que le pouvoir est prêt à user de la force pour maintenir le contrôle de la situation.
Le document précise que "la composition de la Commission Nationale de Recensement Général des Votes va constituer incessamment. Elle se mettra aussitôt au travail. À l'issue de ses travaux, la Commission transmettra son rapport au Conseil Constitutionnel, seul habilité à arrêter et proclamer les résultats du scrutin présidentiel du 12 octobre 2025."
Cette annonce, après cinq jours de silence, ne donne toutefois aucun calendrier précis, prolongeant l'attente et les tensions.
La conclusion du communiqué est claire : "L'attitude irresponsable et arrogante du candidat Issa Tchiroma Bakary sera traitée le moment venu avec rigueur et fermeté."
Cette menace à peine voilée suggère que des poursuites judiciaires, voire des mesures plus coercitives, pourraient être prises contre l'opposant. La formule "le moment venu" laisse planer le doute sur le timing et la nature exacte des mesures envisagées.
Ce communiqué officiel, loin d'apaiser la situation, ne fait qu'aggraver les tensions. En utilisant un vocabulaire exceptionnellement dur ("candidat véreux", "plan diabolique", "réseaux occultes", "démarche conspirationniste"), le pouvoir diabolise son principal adversaire et justifie par avance toute action répressive à son encontre.
L'opposition, de son côté, y verra la confirmation de ses accusations : un régime aux abois, prêt à tout pour se maintenir au pouvoir, y compris à criminaliser la contestation démocratique.
Le Cameroun s'enfonce chaque jour davantage dans une crise dont l'issue reste incertaine. Entre un pouvoir qui brandit la menace et une opposition qui refuse de reculer, la confrontation semble désormais inévitable.