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Actualités of Lundi, 14 Mars 2016

Source: camer.be

Affaire Monique : Quand Ivaha Diboua aboit et crache la vérité

Le gouverneur de la région du littoral, Samuel Dieudonné Ivaha Diboua Le gouverneur de la région du littoral, Samuel Dieudonné Ivaha Diboua

Le Cameroun serait­ il un pays à scandales ? A cette question non­avenue pour le gouvernement, et relevant d’une volonté de déstabilisation, les faits sont pourtant là pour nous éclairer sur les nombreuses fissures et failles d’un système dont ‘ossature souffre du poids du temps et qui ne résiste plus qu’en renouvelant la pierre fondatrice du mensonge, qu’on soulève avec précaution, en faisant recours aux artisans, aux experts du langage taillé sur mesure, lorsque s’annonce le vent de la contestation.

Mais le mensonge n’a pas de longues jambes. On ne trompe pas longtemps le peuple. Et lorsque l’on se sent dans l’impossibilité de faire fonctionner la machine du mensonge d’Etat parce qu’avec le temps, elle s’est rouillée, grippée, on tente un coup de force, on tempête, on intimide, mais sans le vouloir on dit des vérités.

Parmi les scandales, l’insoutenable image de cette opération clandestine mais humanitaire de sauvetage dans l’enceinte d’un hôpital public au Cameroun, à Douala, Laquintinie. Une dame qui fort de la solidarité féminine, de son instinct maternel, et de l’humanité qu’elle partage avec sa congénère dont les fœtus dans le ventre mort, rappellent la vie, a décidé de braver la peur, les normes, pour les sauver là où ceux qui ont la responsabilité professionnelle de cet acte n’ont manifesté que dédain, froideur et distance. Comme plus rien ne se cache, dans notre monde où l’information désormais précède les faits, en un clic, l’affaire était sur la toile.

Indignation, colère…, le peuple plus que jamais a vécu le frisson de la révolte. Certains ont pris à la minute, rendez­vous sur les lieux du crime afin de manifester leur mécontentement contre un système dans lequel les frasques se multiplient. Mécontent de constater que la « version officielle », la vérité n’est plus l’apanage de l’Etat seul, comme un secret bien gardé qui n’appartiendrait qu’à Dieu lui­même et qui peut la délivrer à son temps, à la suite d’enquêtes dont on connait l’issue tant elles conduisent toujours vers une impasse, parce qu’improductives, le gouverneur de la région du littoral Samuel Dieudonné Ivaha Diboua est sorti de ses gonds.

Le ton se voulait paisible, mais il cachait mal sa colère quand revenant à sa nature de bras séculier de la dictature régnante, il a avoué presqu’en le criant deux vérités. On a assisté tout au long de ces quelques minutes de point de presse, à un message mi­paisible mi colérique, mais le sujet abordé en disait long sur l’état psychologique du principal orateur. De même que de l’autre côté le ministre de la santé bégayait, hésitait, cherchait les mots justes pour conclure l’enquête que le gouverneur disait ouverte.

Image de la défunte et image du Cameroun

La sortie médiatique portait d’une part sur la problématique de l’image. C’est en comparant l’image de la défunte et celle du Cameroun, que le gouverneur a avoué que seul ce qui compte c’est l’image de marque du Cameroun aux yeux du monde. Cette obsession administrative et gouvernementale, à vouloir polir à tout prix l’image du Cameroun, révèle du besoin politique constant de vouloir maquiller à tout prix la vérité.

Au cours du point de presse qu’il a donné, le gouverneur a affirmé, « Nous nous retrouvons ici à l’hôpital Laquintinie en fin de journée, en fin de matinée, pardon, pour ensemble voir qu’est­ce qui s’est passé pour que le corps de Madame Koumakaté (par le gouverneur lui­même) Monique, soit ainsi répandu sur les réseaux sociaux.

Vous êtes tous témoins de ce que ces images ont fait le tour du monde et nous ne pouvions pas rester indifférents face au décès de cette compatriote ». On a donc à faire ici à deux images, et le souci non pas de centraliser le débat comme il l’a souligné, mais de centraliser l’information, par l’affirmation implicite de l’autorité unique du discours officiel.

En posant clairement le problème de la fuite d’information, « qu’est­ce qui s’est passé », le gouverneur n’ignore pas que c’est des citoyens qu’elle est venue.

Mais son problème n’est pas seulement de vouloir souligner que le citoyen n’a pas le droit de diffuser des informations d’une certaine importance sur la place publique, mais une redéfinition même des limites de cette place publique. Il trace les frontières qui font de l’information dans le temps et dans l’espace, la propriété exclusive de l’Etat.

« Les réseaux sociaux » ouvrent les frontières nationales à l’étranger en faisant découvrir la face cachée, ignominieuse d’un pays dont l’autorité se targue au gré des sorties internationales à peindre comme un pays de droits de l’homme, de liberté, de justice et d’équité sociale, chose qui contredit le discours officiel et porte atteinte à « l’image de marque du pays » qui est en fait l’image de son chef que défend ici le gouverneur dans sa plus haute fonction administrative.

Ce qu’il a voulu dire à la presse, et à travers la presse, au peuple, c’est qu’on peut se tuer, on peut tuer, on peut vous tuer dans ce pays, mais vous n’avez pas le droit de crier, de le faire savoir au monde. « Vous êtes tous témoins de ce que ces images ont fait le tour du monde », ce qui est extrêmement choquant pour occasionner un point de presse de la part du gouverneur. Pour le gouverneur, il était plus que nécessaire d’accorder la primauté de l’information à l’Etat du Cameroun.

Lui seul à la responsabilité, l’exclusivité du droit à l’image. Lui seul peut savoir quoi diffuser, où et à quel moment. En somme, il a simplement voulu dire qu’il n’y a pas de choix citoyen à faire entre l’image de la défunte et l’image du Cameroun. L’image du Cameroun aux yeux du monde vaut mieux que celle d’une dame qui meurt faute de soins dans le même Cameroun. Au Cameroun du gouverneur, on peut jeter l’enfant, l’enterrer, mais mieux vaut garder l’eau du bain.

L’indifférence et la banalisation de la mort de Koumaté

« Ce n’est pas le premier décès au Cameroun, que ce soit dans l’administration il y en a qui meurt par AVC dans leur bureau. On peut mourir par accouchement, par accident, etc. ». A travers cette déclaration, le gouverneur a voulu simplement faire de la mort de dame Koumaté un fait divers, une simple distraction face à des problèmes de plus haute importance. Sa mort n’en vaut pas plus qu’une autre, peut­être même vautelle moins qu’une autre.

Voilà pourquoi, il a tenu à utiliser comme élément de comparaison, face à une simple citoyenne, une femme, une ménagère sans doute, un membre de « l’administration (…) qui meurt par AVC dans son bureau ». Que vaut cette dame, face à un commis de l’Etat, qui contrairement à elle, meurt dans son « bureau », c’est­à­dire, n’a pas cette chance d’arriver comme elle à l’hôpital ? Pourquoi faire de ce qui n’est qu’une catastrophe naturelle, la mort, une affaire d’Etat ?

A cette banalisation, le gouverneur a ajouté une indifférence pire que celle du personnel hospitalier. L’indifférence des grands, des puissants, face aux personnes vulnérables, faibles, aux personnes sans noms ou titres. Cette indifférence on l’a constaté à chaque fois qu’il a voulu prononcer le nom de la défunte.

Deux fois durant, il a été obligé de regarder sur son bloc­note, le nom de dame Koumaté qu’il a à chaque fois écorché en le prononçant « Koumakaté ». Comme quoi, on ne se sent même pas obligé de savoir qui c’est. De même, le gouverneur ne s’est senti proche de la victime qu’en tant qu’elle partageait le même pays avec elle et non en tant qu’être humain qui se sent indigné, outré, par la mort d’un autre que lui, « cette compatriote ». On crée une distance entre soi et l’autre par le processus de monstration au loin.

Incohérences du Ministre de la Santé

Si le gouverneur a tenu au cours de son point de presse, à intimider implicitement les uns et les autres, sur la liberté d’expression et de manifestation, il a ajouté cependant, dans une réserve complète que, les enquêtes autour du drame de Laquintinie étaient ouvertes et en cours. Un droit de réserve auquel le Ministre de la santé publique n’a pas voulu s’astreindre faute d’avoir à s’exprimer simplement pour manifester sa démission. Mais, puisque la vérité est plus facile à exprimer que le mensonge, on a vu un ministre hésitant sur chaque mot, jusqu’au moment où il a fallu qu’il lise le bilan des constatations faites par le personnel de santé de Laquintinie pour déclarer la mort de dame Koumaté.

« Ils ont constaté que les pupilles étaient déjà amydriases, arréactives. Ils ont constaté qu’il n’y avait plus de pouls carotidien ni de bruits du cœur maternel et fœtaux. Et ils dont dit à la famille qu’elle était déjà décédée. ».

En prononçant ces mots, le débit était plus rapide et le ton plus assuré, non pour signifier que ce diagnostic a été véritablement fait ou même la déclaration qui s’en est suivi, mais parce que ce sont un ensemble de termes scientifiques usuels qui contrairement aux autres mots qu’il était obligé de fabriquer, existent déjà ou préexistent à la mort. Mais, pour l’avoir suivi, on ne peut au­delà de ses nombreuses hésitations dans le choix des mots, manquer de constater un ensemble d’incongruités logiques et pratiques.

Lors de sa déclaration, le ministre a affirmé que la famille baladait un corps sans vie depuis des heures. Avant même son arrivée à l’hôpital de Nylon, « la famille sait bien qu’elle est déjà décédée ». Il est question de dédouaner Nylon, qui est aussi un hôpital public, de peur que Nylon ne rejette officiellement la responsabilité sur Laquintinie. Mais nous sommes là dans des supputations et non dans les faits. Sauf que le ministre a clairement affirmé que la famille arrive à Nylon vers 8h et à Laquintinie à 10h.

Il y a deux heures de temps qui s’écoulent entre les deux périodes et les deux lieux. Que faisait donc la famille pendant ce temps ? Entre Nylon et Laquintinie, le seul lieu de bouchon, c’est Saint­Michel. Logiquement il est impossible de faire le trajet en deux heures. Soit la femme n’était pas morte à l’arrivée à Nylon, et seule la gravité du cas, l’urgence à justifier l’instruction qu’il « valait mieux se référer à un hôpital de niveau supérieur », après avoir perdu un certain temps à faire un diagnostic, soit en voulant cacher la vérité on tombe sous le coup du temps.

Comment expliquer même sans être médecin ou du corps qu’une opération post mortem, pour sortir des fœtus morts eux aussi comme l’indique le ministre, soit une opération peu « usuel(le » au point de nécessiter un « niveau supérieur » de la médecine? En affirmant en outre que le décès datait de « plus de quatre heures » selon Laquintinie, on peut supposer que la femme est décédée à 6h du matin. Que faisait donc la famille ? Pourquoi ont­ils ramené un corps dans deux hôpitaux ayant constaté le décès ?

Comment réussissait­elle à faire entrer et sortir ce corps à la malle du véhicule sans constater qu’il ne bougeait plus, qu’il était froid et rigide ? Comment a­t­elle fait pour redresser le corps et procéder à l’opération ? En fin, la femme n’ayant pas fait d’échographie ni avant ni après son décès, le ministre affirme que « dans les traditions de cette famille, une maman ne doit pas partir avec des fœtus ».

Comment la famille était­elle donc au courant que c’était des jumeaux avant de l’avoir éviscéré comme ça été le cas ? Ce lapsus réapparait avec les propos de la sage­femme « pour ce que vous demandez maintenant de sortir les fœtus… ». Lesquels ?

La famille avait fait autour de la victime, pendant que cette inconnue selon les dires du ministre, « un cordon » de quoi ? De sécurité ? Ombilical ? Cette grossièreté tente encore de disculper les hôpitaux, le personnel et les questions de sécurité dans ces institutions où disparaissent bien souvent des êtres humains.

Comment la police et les agents de sécurité que le ministre dit, n’être pas bien loin, ont­ils fait pour arriver au moment où « cette dame avait déjà sorti les fœtus pour poser sur la poitrine de cette maman » ? Quel temps les séparait donc du lieu du drame ? S’il y a eu une vive dispute comme l’a affirmé l’étudiante en médecine, comment se fait­il que les agents de sécurité n’étaient déjà pas sur les lieux ?

Une enquête conclue

Quelle conclusion d’enquête faut­il attendre encore ? Le ministre a officiellement prononcé l’heure du décès, « plus de quatre heures » avant Laquintinie. Il a déterminé la cause du décès, la négligence de la victime non par les hôpitaux, mais par elle­même et par sa famille, « pas de consultation », « pas d’échographie ». Les coupables aussi sont connus, le morguier pour son « jeu trouble », l’inconnue, qui s’est servie d’ « une lame de bistouri, qui a décidé d’ouvrir le ventre », la sage­femme pour avoir indiqué les urgences…

Ce que toutes ces personnes ont en commun, c’est d’être incapables de se défendre. Ils ne peuvent rien dire qui mettent en péril la sécurité de l’Etat, ou le poste du ministre, n’étant pas comme les autres des experts.

Mais comment ne pas s’indigner de cette injustice, de ces arrestations, et principalement de l’arrestation de celle qui a tenté, face à l’indifférence du personnel de santé, un acte héroïque devenu « horrible » ? A Mbouda, on pratique des autopsies en ouvrant des corps, dans certaines familles. Combien de ces personnes ont­elles été arrêtées pour pratique illégale de la médecine ?