Actualités of Tuesday, 4 November 2025

Source: www.camerounweb.com

58 opposants devant le tribunal militaire : "Aucune plainte, aucun dossier", déplore la défense

L'engrenage judiciaire se resserre sur les contestataires de la présidentielle camerounaise. Vendredi 31 octobre, 58 personnes interpellées lors des manifestations post-électorales ont été présentées devant le commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire de Yaoundé. Parmi elles, des figures de l'opposition comme Anicet Ekane, Djeukam Tchameni et Aba'a Oyono. Mais selon les révélations de Jeune Afrique, cette procédure soulève de sérieuses questions sur le respect des droits de la défense.



D'après les informations exclusives recueillies par Jeune Afrique auprès de sources judiciaires, les suspects sont poursuivis pour quatre infractions principales : incitation à la révolte, hostilité contre la patrie, révolution et appel à l'insurrection. Des charges particulièrement lourdes qui relèvent de la compétence du tribunal militaire et qui peuvent valoir de longues peines de prison.

Ces arrestations massives font suite aux violences qui ont émaillé la proclamation de la victoire de Paul Biya par le Conseil constitutionnel, il y a une semaine. Les interpellations ont eu lieu dans diverses villes du pays, témoignant de l'ampleur géographique de la contestation.


Mais c'est la révélation de Maître Hyppolite Meli, membre du collectif d'avocats assurant la défense des détenus, qui jette le trouble sur la régularité de cette procédure. Dans des propos exclusifs rapportés par Jeune Afrique, l'avocat dénonce une violation flagrante des droits de la défense.
"Il n'y a aucune plainte, aucun dossier et ils n'ont rencontré le moindre juge", a expliqué Me Meli au magazine panafricain. Plus grave encore, il accuse les autorités d'inverser la logique judiciaire : "On les interpelle avant de chercher les indices qui peuvent les inculper."


Après leur audition par le commissaire du gouvernement, révèle Jeune Afrique, les 58 suspects ont été renvoyés à leur lieu de détention : le service central de recherche du Secrétariat d'État à la défense (SED), une structure réputée pour ses conditions de détention difficiles.
Aucune décision judiciaire formelle n'a été prise à leur encontre, ni inculpation, ni placement sous mandat de dépôt. Ils demeurent donc dans une zone grise juridique, détenus sans que leur situation ne soit clairement définie par un juge.


Le recours au tribunal militaire pour juger des opposants politiques n'est pas nouveau au Cameroun, mais il reste controversé. Les organisations de défense des droits de l'homme dénoncent régulièrement le fait que des civils soient jugés par une juridiction d'exception, alors que leurs actes ne relèvent pas du domaine militaire.

Dans ce dossier, comme le révèle Jeune Afrique, la situation est d'autant plus problématique qu'aucune plainte formelle n'a été déposée contre les détenus. La question se pose alors : sur quelle base juridique ces personnes sont-elles maintenues en détention ?


Pour certains observateurs, ces arrestations massives et cette présentation devant le tribunal militaire relèvent davantage d'une stratégie d'intimidation que d'une véritable démarche judiciaire. L'objectif serait de dissuader d'autres manifestants potentiels de rejoindre le mouvement de contestation lancé par Issa Tchiroma Bakary.

Les révélations de Jeune Afrique sur l'absence de dossier et de plainte viennent conforter cette analyse. Si les autorités avaient réellement des éléments à charge contre ces personnes, pourquoi ne les auraient-elles pas formellement inculpées ?


Cette affaire crée un précédent inquiétant pour l'État de droit au Cameroun. Si des citoyens peuvent être arrêtés, détenus et présentés devant un tribunal militaire sans qu'aucune plainte ne soit déposée contre eux, où s'arrête le pouvoir discrétionnaire de l'exécutif ?

Comme l'a révélé Jeune Afrique dans son enquête, la méthode employée - "interpeller avant de chercher les indices" - inverse complètement la logique judiciaire qui veut qu'on arrête quelqu'un parce qu'on dispose d'éléments à charge contre lui, et non l'inverse.

Alors que la cérémonie d'investiture de Paul Biya est prévue au plus tard le 9 novembre, selon la loi électorale, ces 58 détenus symbolisent la fracture qui traverse actuellement le Cameroun. Leur sort judiciaire sera scruté de près par les observateurs des droits de l'homme, tant au niveau national qu'international.