Opinions of Monday, 17 November 2025

Auteur: Moussa Njoya

'Un ministre ça ne sert pas à grand-chose au Cameroun'

Laurent Esso, ministre de la Justice Laurent Esso, ministre de la Justice

Depuis que Paul Biya a prêté serment le 06 novembre dernier, et que son acolyte de près de quarante ans, Cavaye Yéguié Djibril, qui officiait la cérémonie lui a remis son « stylo magique » devant lui servir pour la composition du prochain gouvernement, le pays, ou plus exactement le « tout-Yaoundé-bureaucratique » retient son souffle, dans la perspective du prochain remaniement, dont personne, y compris ceux qui d’habitude se revendiquent être des plus « introduits, ne connait ni la date ni l’heure. Pendant ce temps comme dirait François Mitterrand dans son ouvrage épique 𝑒 𝑐𝑜𝑢𝑝 𝑑’𝐸́𝑡𝑎𝑡 𝑝𝑒𝑟𝑚𝑎𝑛𝑒𝑛𝑡 : « 𝐼𝑙 𝑦 𝑎 𝑑𝑒𝑠 𝑚𝑖𝑛𝑖𝑠𝑡𝑟𝑒𝑠 (…). 𝐼𝑙 𝑠𝑒 𝑚𝑢𝑟𝑚𝑢𝑟𝑒 𝑞𝑢’𝑖𝑙 𝑦 𝑎 𝑒𝑛𝑐𝑜𝑟𝑒 𝑢𝑛 𝑝𝑟𝑒𝑚𝑖𝑒𝑟 𝑚𝑖𝑛𝑖𝑠𝑡𝑟𝑒. 𝑀𝑎𝑖𝑠 𝑖𝑙 𝑛’𝑦 𝑎 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑑𝑒 𝑔𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡. ».

Et alors que beaucoup attendent que ce nouveau gouvernement soit un «gouvernement de rupture » ou un « gouvernement de combat » capable de réaliser ce que les près de 35 gouvernements précédents de Paul Biya depuis 1982 n’ont pas pu faire, à savoir apporter la démocratie et la prospérité promises aux Camerounais, malheureusement il se trouve que l’histoire de notre pays nous apprend que les changements d’hommes au sein du gouvernement n’ont jamais apporté aucun changement fondamental, tant dans la vie des populations, que le fonctionnement des institutions.
En réalité, à y voir de près, un ministre au Cameroun, ça ne sert pas à grand-chose !

Des compétences très diluées et trop partagées

En principe, le Cameroun compte actuellement environ une quarantaine de départements ministériels, animés par 63 membres du gouvernement, soit 4 ministres d’État, 31 ministres, 12 ministres délégués, 5 ministres chargés de mission et 10 secrétaires d’État. Démissionnaires et décédés inclus.

Il va de soi que cette composition pléthorique de l’équipe gouvernementale engendre des chevauchements de compétences et d’attributions, et prédispose à l’inertie. En effet, pour poser le moindre acte fondamental, notamment les investissements et les reformes, chaque ministre doit recourir à une multitude de ses collègues, auxquels il faut souvent ajouter des directeurs généraux de certaines établissements publics administratifs. Et quand on y ajoute le paysage hypercomplexe de notre système de marchés publics, avec ses innombrables commissions, ses systèmes internes de gestion administrative, ainsi que ses mécanismes de contrôle, la boucle de l’inaction est bouclée.

De ce fait, il est tout simplement impossible pour un ministre d’engager seul, en son temps voulu et comme il le veut, une quelconque action ou réforme majeure, allant dans le sens de l’amélioration des conditions des populations.

L’autocratie de la bureaucratie

À cette « concurrence latérale » des autres ministères qui grignotent et phagocytent une très large partie de ses compétences, chaque ministre se doit de composer avec sa propre bureaucratie, c’est-à-dire cette nébuleuse composée des directeurs, des sous-directeurs, des chefs de divisions, des chefs services, des chefs de bureau, des délégués régionaux, départementaux et d’arrondissement qui composent l’hydre de son administration centrale et déconcentrée. Sans compter l’interférence et l’ingérence des sous-préfets, préfets et autres gouverneurs.

Du fait de leur « technicité » et de leur « pouvoir de proximité », les bureaucrates disposent de très larges marges de manœuvre quant à l’implémentation des directives des chefs des départements ministériels, au point où l’on assiste tout simplement à une inversion de pyramide administrative, et qui fait en sorte que c’est plutôt le ministre qui est à la merci de ses collaborateurs. Ceux-ci ayant une capacité incroyable et effroyable de sabotage des initiatives les plus modestes. Ainsi, il n’est pas rare de voir les fameuses réunions de coordination dans les ministères se transformées en des séances de lamentations du ministre face à ses collaborateurs, qui peuvent à tout moment rendre ingouvernable son ministère.

L’impuissance du ministre face à ceux-ci étant d’autant plus importante que dans la très grande majorité des cas, ce n’est pas lui qui les a nommés.
La capacité de nuisance des bureaucrates étant davantage confortée par « l’irresponsabilité » de ceux-ci, car alors que l’opinion publique connait souvent le nom du ministre et attend de lui des résultats probants et efficients dans son secteur, très souvent le commun des mortels ne connait pas du tout ceux de ces responsables administratifs, qui dans la majeure partie des cas sont pourtant les principaux responsables de tous les goulots d’étranglement qui font trainer les dossiers pendant des lustres dans les couloirs administratifs. Et ce souvent au grand dam du ministre lui-même qui ne peut se passer de leurs « notes » et autres « avis ».

La bureaucratie apparait alors comme une camisole sur la tête, et des menottes aux poignets, des ministres, dans leur action gouvernementale.

Les gouvernements bis de la Primature et de la Présidence

Mais les bureaucraties les plus redoutables et les plus paralysantes sont celles qui sont logées à la primature et à la présidence de la République.
En effet, aux secrétariats généraux de ces deux institutions, se trouvent des « divisions » qui sont en fait des répliques des différents ministères du gouvernement. De ce fait, lorsqu’un dossier de réforme ou d’investissement majeur, voire même de recrutements, est initié par un ou plusieurs ministères le cas échéant, celui-ci est transmis aux services du Premier ministre pour « arbitrage ». Une fois là-bas, le dossier est coté au conseiller technique responsable de la division dont dépend l’activité concernée, qui ensuite le cote à un autre à un de ses chargés de mission ou à l’un de ses attachés voire chargés d’études, pour qu’il fasse ses observations, recommandations et propositions de décision.

Dans cette optique, tous ces intervenants disposent de tout leur temps pour traiter ledit dossier, et n’hésitent pas souvent trainer des pieds et à convoquer les ministres pour les sermonner, car au finish c’est de leur avis et notes que dépendent la décision finale de mise en œuvre ou pas de l’activité. Les ministres se réduisant en de simples « proposants », qui souvent sont contraints de corrompre lesdits conseillers techniques et chargés de mission pour voir leurs dossiers « avancer ».

Après la primature, le même dossier est souvent transmis à la présidence de la République où se trouve le deuxième gouvernement bis, avec ses conseillers techniques chefs de divisions, que très souvent le grand public ne connait ni d’Adam ni d’Eve, et qui pourtant ont le pouvoir de vie ou de mort sur tous les dossiers. Une toute-puissance qui n’est compensée par aucune responsabilité, ni politique encore moins administrative.

Faisant ainsi des ministres de simples « collaborateurs », soumis aux diktat et desiderata de ces conseillers techniques, chapeautés par le tout-puissant Secrétaire général de la présidence de la République.

Fanfaronnades, intriques et corruption

Toutes ces contraintes structurelles font en sorte que les principales activités des ministres consistent à fanfaronner dans les cérémonies, flanqués de leurs gardes du corps bien en vue de jour comme de nuit. Pour cela, on ne rate pas une occasion d’aller au village, pour des cérémonies de « remise de dons » ou des « championnats de vacances », dont le budget de la couverture médiatique est souvent de très loin supérieur à la quintessence de ce qui est remis aux villageois ou aux participants.

L’autre activité majeure des ministres, ce sont les intrigues. Ainsi, chacun d’entre eux dispose d’une cour infinie d’« indics » et autres délateurs chargés de lui rapporter tout ce qui est dit et fait contre lui, et de débusquer tout ennemi éventuel ou potentiel (ici, il n’est jamais question d’adversaire) qui veut le remplacer, afin de concocter la réaction adéquate aux fins de leur neutralisation. Et comme ces « agents de renseignements » d’un autre genre doivent justifier leur paie et démontrer toute leur utilité, il n’est pas rare qu’ils inventent les faits et dires, histoire de gagner leur pitance et obtenir leur tambouille.

Mais l’activité au-dessus de toutes les autres d’un ministre au Cameroun est assurément la corruption, notamment les détournements des deniers publics et la perception des rétrocommissions. En effet, étant dans la quasi-impossibilité de procéder à des investissements et des reformes majeurs, les ministres se concentrent dans l’épuisement de leurs budgets de fonctionnement, notamment à travers les fameux «4-9 », les colloques et autres ateliers bidons, les missions aussi fictives qu’inutiles, les frais de carburant exorbitants, le renouvellement intempestif du matériel roulant et du mobilier de bureau, les impressions des visuels et l’acquisition des consommables invisibles, etc. etc.

Ce qui fait qu’au finish, la nomination d’un nouveau ministre n’est un évènement heureux et un enjeu majeur uniquement que pour ses proches, sa famille, ses amis et connaissances, qui espèrent ainsi que grâce à cet acte de « magnanimité » du Chef de l’État, être aussi « en haut », à la façon du chanteur Donny Elwood. Et surtout n’allez pas croire que cette nomination est une quelconque bénédiction pour sa communauté ou sa localité d’origine, bien au contraire elles sont souvent ses premières victimes.

D’ailleurs, Marafa Hamidou Yaya, l’ancien secrétaire général de la présidence de la République ne nous avait-il pas fait savoir dans l’une de ses lettres ouvertes à Paul Biya que :

« 𝐴𝑝𝑟𝑒̀𝑠 𝑙𝑎 𝑓𝑜𝑟𝑚𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑢 𝑔𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑐𝑜𝑛𝑠𝑒́𝑐𝑢𝑡𝑖𝑣𝑒 𝑎̀ 𝑙’𝑒́𝑙𝑒𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑝𝑟𝑒́𝑠𝑖𝑑𝑒𝑛𝑡𝑖𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑑𝑒 2004, 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑚’𝑎𝑣𝑒𝑧 𝑎𝑐𝑐𝑜𝑟𝑑𝑒́ 𝑢𝑛𝑒 𝑎𝑢𝑑𝑖𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑎𝑢 𝑐𝑜𝑢𝑟𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎𝑞𝑢𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑚’𝑎𝑣𝑒𝑧 𝑑𝑒𝑚𝑎𝑛𝑑𝑒́ 𝑐𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑔𝑒𝑛𝑠 𝑝𝑒𝑛𝑠𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑢 𝑔𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡. 𝐽𝑒 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑎𝑖 𝑟𝑒́𝑝𝑜𝑛𝑑𝑢 𝑞𝑢’𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑢𝑛 𝑒𝑓𝑓𝑒𝑐𝑡𝑖𝑓 𝑑’𝑒𝑛𝑣𝑖𝑟𝑜𝑛 𝑠𝑜𝑖𝑥𝑎𝑛𝑡𝑒-𝑐𝑖𝑛𝑞 𝑚𝑖𝑛𝑖𝑠𝑡𝑟𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑎𝑠𝑠𝑖𝑚𝑖𝑙𝑒́𝑠, 𝑖𝑙 𝑎𝑝𝑝𝑎𝑟𝑎𝑖̂𝑡 𝑝𝑙𝑒́𝑡ℎ𝑜𝑟𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑒𝑡 𝑚𝑎𝑛𝑞𝑢𝑒𝑟 𝑑’𝑒𝑓𝑓𝑖𝑐𝑎𝑐𝑖𝑡𝑒́. 𝐸𝑛𝑡𝑟𝑒 𝑎𝑔𝑎𝑐𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑒𝑡 𝑖𝑟𝑟𝑖𝑡𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛, 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑚’𝑎𝑣𝑒𝑧 𝑑𝑒́𝑐𝑙𝑎𝑟𝑒́ :
“𝑀𝑜𝑛𝑠𝑖𝑒𝑢𝑟 𝑙𝑒 𝑚𝑖𝑛𝑖𝑠𝑡𝑟𝑒 𝑑’𝐸́𝑡𝑎𝑡, 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑒̂𝑡𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑚𝑏𝑖𝑒𝑛 𝑑𝑒 𝑚𝑖𝑛𝑖𝑠𝑡𝑟𝑒𝑠 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑐𝑒 𝑔𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟𝑛𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 ? 𝑃𝑒𝑢𝑡-𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑑𝑖𝑥 𝑜𝑢 𝑞𝑢𝑖𝑛𝑧𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑎𝑢 𝑝𝑙𝑢𝑠. 𝐿𝑒 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑒, 𝑐𝑒 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝑓𝑜𝑛𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠 𝑎̀ 𝑞𝑢𝑖 𝑗’𝑎𝑖 𝑑𝑜𝑛𝑛𝑒́ 𝑙𝑒 𝑡𝑖𝑡𝑟𝑒.” 𝐸𝑡 𝑗’𝑎𝑖 𝑟𝑒́𝑝𝑜𝑛𝑑𝑢 : “𝐶’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑒𝑢𝑡-𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑣𝑟𝑎𝑖, 𝑀𝑜𝑛𝑠𝑖𝑒𝑢𝑟 𝑙𝑒 𝑃𝑟𝑒́𝑠𝑖𝑑𝑒𝑛𝑡 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑅𝑒́𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑞𝑢𝑒. 𝑀𝑎𝑖𝑠 𝑙𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑏𝑙𝑒̀𝑚𝑒, 𝑐’𝑒𝑠𝑡 𝑞𝑢𝑒 𝑐𝑒𝑠 𝑓𝑜𝑛𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛𝑛𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠, 𝑒𝑢𝑥, 𝑠𝑒 𝑝𝑟𝑒𝑛𝑛𝑒𝑛𝑡 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑚𝑖𝑛𝑖𝑠𝑡𝑟𝑒𝑠.” ».