L'air de Ngaoundéré, si souvent chargé de la fraîcheur du plateau de l'Adamaoua, s'est trouvé ce 10 novembre 2025 alourdi d'une fragrance plus âcre : celle de l'hypocrisie d'État.
Le Ministre de l'Administration Territoriale (MINAT), Monsieur Paul Atanga Nji, s'est donc commis en mission d'apostolat post-électoral. Une réunion de sécurité. Quel mot délicieux ! On évalue la paix comme l'on évalue un troupeau après la razzia : par le nombre de têtes encore debout. L'objectif, noblement déclamé : réaffirmer la "volonté ferme du président de la République d'assurer la paix, la sérénité, la quiétude et la sécurité".
Ah, la Paix. Ce mot magnifique, désormais galvaudé, est servi par un homme dont l'itinéraire politique récent tiendrait lieu de manuel pour l'art de la guerre contre la démocratie. Le même homme qui, selon les accusations, s'est mué en hacker institutionnel pour tripoter le site internet de son propre ministère – sanctuaire de la légalité ! – afin d'y fabriquer la casus belli d'une disqualification. Un architecte de la fraude qui vient donner une leçon de maçonnerie à des citoyens dont le seul tort fut, peut-être, d'avoir cru à l'existence d'une fondation.
Entendre ce ministre – dont la verve, dit-on, se complaît dans l'injure et le mépris des opposants, le langage fleuri étant réservé, semble-t-il, aux bureaux feutrés – dénoncer les "discours de haine" relève de la tragédie shakespearienne revisitée en farce africaine. C'est le pyromane s'indignant de la fumée, le loup décorant la bergerie. Il vante le "comportement républicain" des populations de l'Adamaoua qui ont "fait le choix du calme", tout en reconnaissant, d'une phrase glissée comme un caillou dans la chaussure, que 136 personnes ont été appréhendées.
On nous rassure : "Environ 60" sont des "mineurs drogués" libérés sous surveillance parentale. La Pax Biya ne s'obtient donc pas par conviction citoyenne, mais par la répression préventive des esprits jeunes, drogués ou simplement indignés. Le bulletin de santé de la nation n'est pas "serein et paisible" ; il est anesthésié. Le calme vanté n'est pas une adhésion, c'est l'immobilité de la terreur bien administrée. Le gouverneur, diligent rapporteur, ne transmet pas une information, il transmet un certificat d'obéissance à la Haute Autorité.
Le MINAT encense les forces de défense et de sécurité pour leur "bravoure et leur professionnalisme" durant les troubles avant le scrutin et pour la "bonne conduite générale du processus électoral". Nous y sommes. Le génie de cette communication réside dans l'art d'ériger l'absence de catastrophe en victoire morale. Une élection "crédible, transparente et qui ne souffre d’aucune irrégularité", remportée avec un score de 53,66%.
Ce pourcentage, loin des unanimités triomphalistes d'antan, est une victoire à la Pyrrhus qu'il faut enrober dans une rhétorique de fermeté et d'apaisement forcé. La vérité, c'est que l'élection fut maîtrisée au sens où l'on musèle un chien ; non pas qu'elle fut remportée par l'adhésion d'une majorité écrasante.
Les opposants sont immédiatement étiquetés : "politiciens irresponsables et pernicieux qui, malgré leur échec, prônent le chaos". C'est l'argument-massue : quiconque conteste la vérité officielle du scrutin n'est pas un adversaire politique, mais un ennemi de la Paix, et donc de l'État. L'échec n'est pas imputé à la lassitude du peuple ou aux manœuvres, mais à la seule "perniciosité" des perdants.
Pour conclure son monologue, il se mue en agneau: Le MINAT invite les populations à "soutenir résolument les actions du chef de l'État". Non pas à adhérer au projet, mais à soutenir les actions, c'est-à-dire l'exécution du pouvoir, sans question. La "dynamique de développement et modernisation du pays engagées depuis son accession à la magistrature suprême" est la formule consacrée, l'incantation finale. Trente ans de règne sont réduits à une dynamique ininterrompue.
L'Histoire est effacée, seule compte la légitimité du temps long. De quel projet parle-t-on ?
Ce discours n'est pas une feuille de route, c'est un acte de contrition imposé au peuple. Il ne célèbre pas la paix, il célèbre l'ordre. Un ordre qui a un prix : celui de la liberté de contester, de la crédibilité des institutions et de la dignité de ceux qui sont aujourd'hui considérés comme des séditieux pour avoir osé douter de la pureté du site internet ministériel.
La paix règne à l'Adamaoua. Pour l'heure. Mais l'illusion de l'ordre est toujours plus fragile que la vérité de l'injustice. Et le silence des 136 appréhendés résonne plus fort que toutes les harangues du ministre.











