Opinions of Tuesday, 30 September 2025

Auteur: Moussa Njoya

Ambazonisation du Grand-Nord: les Camerounais mis en garde

Moussa Njoya Moussa Njoya

Cela est connu de tous. Au fur et à mesure que se rapproche à grands pas la prochaine élection présidentielle, les fissures et les failles sur l’édifice Cameroun se font de plus en plus béantes. Grevant d’une très forte hypothèque la stabilité et même l’intégrité nationales.

Et le risque d’une ambazonisation du Grand Nord fait partir de ces périls majeurs à cette heure !

Un contentieux historique très douloureux non réglé

La crise qui secoue depuis près d’une décennie les régions anglophones du Nord-ouest et du Sud-ouest est née principalement d’un sentiment de marginalisation institutionnelle, infrastructurelle voire civilisationnelle éprouvée par les populations anglophones, qui estimaient avoir été flouées lors du « deal » de 1961 ayant conduit à la réunification. Un « problème anglophone » qui avait conduit des acteurs politiques anglophones majeurs tels que John Ngu Foncha et Salomon Tandeng Muna à quitter la barque du régime RDPC au début des années 1990. Et comme solution « définitive », d’aucuns avaient préconisé ni plus ni moins que la sécession à travers le Southern Cameroon National Council (SCNC), rejoignant ainsi les thèses développées en 1985 par l’avocat Fongum Gorji Dinka, qui invitait les populations anglophones à quitter « le régime inconstitutionnel de Paul Biya » pour fonder « la République indépendante de l’Ambazonie ».

Plus de 20 ans se sont écoulés après la dernière édition du « All Anglophones Conference » tenue les 2 et 3 avril 1993 à Buea, et aucune mesure n’a été prise pour résorber tous les griefs qui avaient été soulevés lors de ces assises. Puis un matin de novembre 2016, tout bascula !

Le moins que l’on puisse dire est que depuis le 06 avril 1984, le Grand Nord du Cameroun vit dans le tourment et le cauchemar permanent d’un des « contentieux historiques » les plus douloureux de l’histoire récente du Cameroun. Et depuis quelques années, chaque 06 avril, lorsque je lis les témoignages de quelques victimes, notamment dans les colonnes de votre journal, L’œil du Sahel, je réalise à quel point la plaie est encore béante et la douleur vive.

Des décennies sont passées, mais en dépit d’une loi de réhabilitation, personne n’a pensé à prendre d’infimes mesures d’apaisement tels que : l’indication exacte des endroits où se trouvent les fosses communes qui servent de sépultures de fortunes aux personnes exécutées dans la foulée de ces malheureux événements, afin que les familles puissent enfin véritablement faire leurs deuils, en ayant des lieux précis de recueillement, même s’il s’agit d’un fleuve ; la restitution des biens qui ont été indument confisqués ; le paiement des arriérés des salaires et pensions qui ont été suspendus suite aux condamnations ou accusations ; et pourquoi pas, la présentation des excuses officielles pour toutes ces vies qui ont été illégitimement brisées dans certains cas.

En lieu et place, l’on a souvent eu droit à un pavoisement de certains acteurs, aux rôles troubles, qui au lieu de faire amende honorable, s’extasient plutôt avec une morgue qui transpire le cynisme, lors des émissions et autres reportages dans les médias publics, et qui servent souvent de succédanées de commémoration. Pour la commisération, repassez plus tard !

Faisons attention ! Très attention !

La formation d’une forte conscience identitaire communautaire
Si les anglophones ont commencé à parler de marginalisation et à plaider une meilleure intégration, c’est qu’au-delà de certaines réalités ethnographiques et anthropologiques, le cheminement historique particulier et l’assignation linguistique, auxquels s’est ajouté une forme d’indexation sociale (« je ne suis pas ton Bamenda »), c’est que les populations originaires de ces deux régions ont fini par se construire une identité commune, et à part. Toute chose qui a servi de ciment et de ferment des contestations depuis le début des années 1990, et qui ont débouché sur la situation que nous vivons depuis près de 10 ans.
Pendant longtemps, face à l’unicité identitaire que les « sudistes » leur attribuaient de l’« extérieur », un Wadjo étant un Wadjo un point c’est tout, les « nordistes » eux se sont toujours vus en « interne » comme étant une multiplicité, ne faisant pas souvent d’économie en matière d’hostilités.
Mais au fil des années, la misère commune a atténué les sentiments et les ressentiments fondés sur des soi-disant différences. L’époque où les positions et opinions politiques étaient systématiquement divergentes entre peuhls et Kirdi semble révolue.

De Garoua Boulaï à Kousseri, on semble désormais partager la conscience d’être de la même communauté des « damnés du Cameroun ». Par conséquent, ils semblent se dire comme leurs frères anglophones:« Together we rise ! Divided, we fall !»
Faisons attention ! Très attention !

Un bilan du régime totalement nul

Quelques années avant le déclenchement de la crise qui va décliner en guerre, l’image avait fait le tour du monde : Ni John Fru Ndi, bloquant le péage sur la route de Babadjou-Bamenda, en guise d’expression de son ras-le-bol face à l’extrême vétusté de la chaussée. En effet, l’un des principaux carburant de la crise anglophone a été le désastre infrastructurel dans lequel se trouvaient la plupart des localités de ces deux régions, où aller d’un point à un autre ressemble à une descente dans l’enfer de Dante.

Ce qui n’est pas sans rappeler la situation du Grand Nord, où même Paul Atanga Nji, pas du tout réputé pour son inclinaison à incriminer le gouvernement, a été obligé de reconnaitre que ça ne va pas.

En fait, les années passent et se ressemblent : les régions du Septentrion sont toujours classées dans les tréfonds de tous les classements touchant au bien-être. Les maux qui minent ces régions sont tel que s’essayer à leur litanie prendrait tout simplement les airs d’un Kyrie Eleison sans rédemption.
De toutes les manières, les populations du Grand, sans distinction, savent qu’elles souffrent beaucoup. Elles savent surtout que c’est de la faute de Yaoundé si Ngaoundéré, Garoua et Maroua souffrent !

Et le blocage de l’hélicoptère du SG/PR, Ferdinand Ngoh Ngoh, lors de sa visite dans la région de l’Extrême-nord, ainsi que les échecs des meetings successifs de « rattrapage » apparaissent comme autant de tirs de semonce.

Faisons attention ! Très attention !

Des jeunes très déterminés face à des élites et des opposants non crédibles
08 décembre 2016 à Bamenda, sous le conduite de Mancho Bibixi Tse, des jeunes manifestants dressent des barricades et brûlent des pneus sur les routes menant à l'hôtel Ayaba où se trouve la délégation du RDPC venue de Yaoundé pour calmer la situation prévalant depuis environ un mois. Pris de panique, le gouverneur Adolphe Lele Lafrique, fait appel à Ni John Fru Ndi, car il estime qu’il est le seul et unique à même de ramener cette foule en furie au calme, car les élites RDPC sont désormais atones et aphones. Comptant assurément sur son charisme d’antan.

Mais à peine le Chairman du Sdf d’alors était sorti de son véhicule, mégaphone en main, pour engager sa prédication d’accalmie, qu’il est pris à parti par les jeunes. Il aura fallu toute la maestria des forces de défense et de sécurité présentes pour l’extirper de là, et éviter le pire. La mainmise du trublion de Ntarikon sur son fief avait vécu ! Quelques temps plus tard, il quittera Bamenda, et mourra le 12 juin 2023 à … Yaoundé.

15 septembre 2025, le ministre Nana Djalloh Aboubakar se rend au siège de l’UNDP à Elig-Essono. En voulant entrer dans la résidence qui sert de siège, il est bloqué à la porte par une horde de jeunes militants du parti. Leur revendication est claire : Nana Djalloh doit démissionner du gouvernement, auquel cas, qu’il ne mette plus ses pieds au siège.

Pierre Flambeau Ngayap, pourtant si réputé pour sa préciosité à ses propres yeux, tombe littéralement la chemise, gronde, tempête, avance quelques coups, mais rien n’y fait. Les jeunes n’en démordent pas. Ils continuent à crier, en brandissant leurs cartes du parti : « Qu’il démissionne ! », « Qu’il démissionne ! », « Nous voulons le changement ! ».

Face à l’incident, Bello Bouba monte au filet dans une interview accordée à Info Tv. Le but : réaffirmer sa solidarité à son « ami » et « frère » qui n’est pas « obligé de démissionner » comme lui.

Comme une réponse du berger à la bergère, quelques heures plus tard, une bonne brochette de la jeune garde du parti, avec à leur tête des jeunes aux dents longues comme Paul Mbafor, le président des jeunes, Célestin Yandal, maire de Touboro, Mohamadou Laminou, maire de Tignère ou encore Gabaï Flem Gari, secrétaire du conseil régional de l’Extrême nord, lui servent une lettre ouverte incendiaire, avec deux principales revendications aux allures de mise en garde : « 1.Retirer immédiatement de l'équipe de campagne toute personnalité bénéficiant toujours d'un décret de nomination signé du président Biya, quel que soit le poste concerné. 2. Les remplacer par des militants ayant fait preuve de leur engagement et de leur capacité, tant par leur déploiement constant sur le terrain que par les résultats obtenus lors des précédents scrutins. ».
Si Bello Bouba n’avait pas encore pris la pleine mesure de la détermination des jeunes de sa base, qui fasse attention ! Très attention !

Des problèmes de sécurité endémiques

L’huile sur le feu de crise anglophone, qui a conduit au développement de l’économie de guerre actuelle, est l’insécurité qui a toujours caractérisée ces régions : érigeant celles-ci en points de contrebandes et trafics illicites divers.

Que dire du Grand Nord, dont de la majorité des localités sont des no man’s land, où les douaniers et autres policiers et gendarmes n’y vont que pour s’en mettre plein les poches auprès de tous ces trafiquants.

Ici la grande criminalité, avec des phénomènes comme celui des « coupeurs de route », les vols de bétails ou des preneurs d’otage sont si anciens qu’ils ont même fait l’objet d’une thèse de Doctorat en histoire de Saïbou Issa depuis …2001 !

À cela, il faut bien évidemment ajouter Boko Haram, la consommation exponentielle des stupéfiants ainsi que la présence des « forces nocives » aux frontières avec le Tchad et la RCA, sans oublier que nous ne sommes pas si loin du Soudan. Autant de bases-arrière potentielles, qui feraient de la crise actuelle du NOSO un simple safari de plaisance.

Bref, comme le disent si bien Luc Sindjoun et Georges Courage, dans une édition de la revue Politique Afrique, parue en 1996, sous le titre fort évocateur, « Le Cameroun dans l’entre deux » : « Si le pire n’est jamais certain, on peut dire que le Cameroun est à un carrefour de scénarios, certains catastrophiques, d’autres légèrement meilleurs. Tout dépend du temps que le pays mettra à en prendre conscience. ».