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Opinions of Mardi, 12 Octobre 2021

Auteur: www.camerounweb.com

‘Comme Paul Biya depuis le coup d’état manqué de 1984, les africains francophones doivent défaire la toile française’

Paul Biya et Emmanuel Macron Paul Biya et Emmanuel Macron

Le récent sommet France Afrique de Montpelier continue de susciter des réactions diverses. Le Dr Patrick Rifoe, enseignant à l’université de Douala et militant du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) vient d’aller de son style en invitant les Africains francophones à suivre les pas de Paul Biya.




Napoléon et Grouchy : quand Montpellier prépare le Waterloo africain de la France

C’est l’histoire d’une épouse unique dans un foyer polygamique. Aimée de son époux, adulée, elle a installé sa famille dans le domicile conjugal, fait construire aux frais de son époux deux villas à ses parents, a contraint son époux à changer de religion. Madame s’acquittait de ses obligations maritales quand son humeur était joyeuse, la satisfaction des besoins de son époux étant secondaire.

Le mari délaissé, aveuglé par un amour auquel le mariage n’a pas rendu la vue, supportât de longues années l’ensemble des entorses faites par son épouse au pacte conjugal. De guerre lasse, il se résolut à prendre une seconde épouse, puis une troisième. C’est alors que la première épouse, reléguée, entreprit par toutes sortes d’artifices de regagner l’attention de son mari tout occupé qu’il était aux attentions de ses seconde et troisième épouses.

Cette épouse, délaissée par un mari polygame, c’est l’histoire de la France et de l’Afrique ou pour être plus précis, celle de l’Afrique francophone. La France est cette épouse qui a oublié ses obligations, pensant que la monogamie de fait est un statut permanent. Après avoir des décennies durant été le maître du jeu politique dans les Etats d’Afrique francophone, faisant et défaisant les chefs d’Etats en raison de leur degré de docilité, alors que les traités inégaux et iniques signés par lesdits Etats garantissaient aux entreprises françaises des privilèges sur l’exploitation des matières premières, le monopole sur l’importation de nombreux produits et l’intermédiation entre les pays asiatiques et les consommateurs africains, la France, doit faire face aujourd’hui à la Chine et ses routes de la soie, la Russie et l’appui militaire, et l’indocilité de chefs d’Etats africains ainsi que Paul Biya le rappelait fort subtilement à François Hollande à travers la formule assassine du ‘’ne dure pas au pouvoir, qui veut, mais qui peut’’.

Le sommet de Montpellier ainsi que le rapport préalable constituaient l’esquisse de la réponse francaise au double défi de la perte d’influence politique et du recul économique dans son ex pré carré francophone qui n’en finit plus de lui échapper. Avant d’évoquer les chances de succès de la nouvelle stratégie de reconquête africaine de la France tout comme la réponse qui doit y être apportée par les Etats et gouvernements africains, revisitons les leviers de l’influence française en Afrique et la longue marche de sa désinfluence.

Les leviers de l’influence française en Afrique
Après les indépendances, l’influence de la France est à son périgée. Elle a installé des pouvoirs qui lui sont totalement redevables. Dans cette ère de guerre froide, sa marge de manœuvre n’est limitée que par ses possibilités d’action. Deux principaux leviers lui garantissent à la fois la docilité des chefs d’Etats africains et des parts de marché confortables pour ses entreprises.

Si nombre de chefs d’Etats sont redevables à la France de leur accession au pouvoir, nombre d’entre eux manifestent rapidement des velléités d’autonomie et d’affranchissement de sa tutelle omniprésente.

Mal leur en prend, car souvent, de manière brutale, ils sont déposés par des interventions directes de la France comme en Centrafrique, par des soudards ayant son appui comme au Togo, au Tchad, des barbouzes aux ordres du SDECE comme aux Comores. Ces sanctions systématiques, souvent au prix de leur vie rendent les chefs d’Etats africains pragmatiques. Comme dans la fable de La fontaine, il faut accepter pour son peuple et soi-même la portion congrue au risque de perdre le pouvoir et la vie. A cette docilité forcée des chefs d’Etats, il faut ajouter les privilèges issus des traités inégaux et iniques signés par l’ensemble des gouvernements sous la dénomination d’accords de coopération et de défense

L’accès aux ressources minérales stratégiques des différents pays francophones sont ainsi réservés aux entreprises françaises. Les entreprises françaises exploiteront ici le pétrole, là, l’uranium, là-bas le bois et fonction des besoins de la métropole. Dans le même temps, la logique de comptoir permet aux commerçants français de contrôler les circuits d’importations de certains produits indispensables au fonctionnement des Etats jeunes et fragiles.

La docilité des chefs d’Etat et les traités inégaux signés par les Etats africains garantissent une rente de situation que l’ouverture progressive des pays à la démocratisation, l’enkystement de certains chefs d’Etat au pouvoir et la poussée de certaines puissance dans le contexte post guerre froide viendra remettre en cause.

La longue marche de la perte d’influence de la France en Afrique francophone
L’ouverture démocratique contraindra les régimes en place à construire des alliances internes pour se pérenniser au pouvoir. Dans d’autres cas, la collusion de la France dans les entreprises de renversement de régime entrainera une diversification forcée des partenariats militaires. Ces logiques nouvelles constitueront les premières pierres dans le jardin de l’influence française en Afrique francophone.
Les nouveaux réseaux d’alliance interne et externe construits affranchiront progressivement les chefs d’Etats de la tutelle française. Il était désormais possible de se maintenir au pouvoir en dépit de la volonté de changement manifestée, souvent sans diplomatie par la France comme en Centrafrique ou au Gabon avec des sorts différents.

La fin de la guerre froide, la reconfiguration du jeu politique international et la montée du droit international conduiront les puissances de ‘’moyenne impuissance’’ telle la France à passer du hard power au soft power. Ce nouvel ordre mondial ainsi que la percée de la Chine, de la Russie et de la Turquie en Afrique consacreront l’obsolescence des moyens de coercition classiques. L’indocilité des chefs d’Etat africains sera normalisée.

La conjonction entre l’indocilité nouvelle des chefs d’Etats africains, le renouvellement des accords de coopération et de défense ainsi que l’ambition d’acteurs nouveaux bouleversera la situation monopolistique des entreprises française. A titre d’illustration, la part de marché des entreprises françaises est passée entre 1990 et 2021 de 40% à 10%. Dans l’intervalle, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du Cameroun aussi bien pour l’import que l’export avec respectivement 18% et 24% alors que la France ne capte plus que 8% des importations camerounaises tout en y exportant 8%.

Prise dans la tenaille politico-économique, consciente de la rémanence du sentiment anti français, la France a vu dans le Covid une occasion de se débarrasser de régimes désormais indociles. L’effet pangolin promis par ses experts n’ayant pas eu lieu, il devenait urgent de concevoir une nouvelle stratégie de reconquête de l’Afrique francophone.

Emmanuel Macron a sonné le tocsin de la reconquête. L’ambition ; contenir l’avancée économique de la Chine sur le continent tout en regagnant une capacité d’influence sur le jeu politique interne des états francophones. Son pari ; miser sur la jeunesse activiste et ses capacités innovatives pour renverser les régimes indociles (ils ont résisté à l’effet pangolin). Le choix d’un tête à queue consistant à parler de sommet alors qu’on met un chef d’Etat face à des jeunes sans aucun mandat pour parler ne serait-ce qu’au nom des jeunes africains est là. Ces jeunes sont conviés à devenir la garde impériale de Macron. L’opération de séduction amorcée vise à en faire la tête de pont de la nouvelle stratégie d’influence de la France qui reposera désormais sur deux piliers. Le pouvoir discursif détenu via RFI, TV5 monde sur la circulation des narratifs dans les pays francophones et les jeunes activistes qui, bien qu’anti français, pourraient de manière circonstancielle s’allier à la France pour renverser des gouvernements devenus indociles et plus prompts à s’ouvrir à Pékin ou Moscou qu’à Paris.

La provincialisation de la France en Afrique francophone : un sort irréversible

La provincialisation de la France est une tendance lourde. Sa perte d’influence irréversible. La Chine, adversaire de la France n’est en rien notre ennemi. Il n’y a aucune raison pour que le jeune africain passe encore par un intermédiaire français pour acheter en Chine ce que lui-même peut commander sur Ali baba. Les financements turcs, l’appui militaire russe, les fonds qataris ou saoudiens ne sont ont la même valeur que d’éventuels financements français.

Le seul juge de paix demeurant leur consécration à la résolution des besoins des populations. De ce fait, les pays africains doivent accélérer la diversification de leurs partenariats économiques. Comme Paul Biya depuis le coup d’état manqué de 1984, les africains francophones doivent défaire la toile française avec patience et méthode. S’ouvrir à la Chine, à la Russie, à la Turquie, demain aux pays arabes, de sorte que les intérêts croisés des Etats étrangers en Afrique se neutralisent.

Face au geste senghorien dont Mbembe Achille est porteur, les gouvernements africains doivent opposer le geste soyinkien. La tentative de reconquête de l’Afrique francophone par la France a quelque chose de Napoléonien. Sorti de l’ile d’Elbe après un premier exil, il rassembla des troupes afin de repartir à la conquête de son empire perdu. Sa garde impériale fut décimée à Waterloo en juin 1815.

La rencontre de Montpellier n’est pas sans rappelée les 100 jours et leur issue tragique. Napoléon avait Grouchy, Macron a Mbembe. La garde impériale du second échappera-t-elle au sort de sa devancière ? Mbembe aura-t-il plus de succès à aiguillonner la jeunesse africaine que Grouchy n’eut à suivre Blucher ? Si comme le dit l’aphorisme, l’histoire se répète toujours, alors le Waterloo africain de la France a été programmé à Montpellier.