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Opinions of Mardi, 2 Juin 2015

Auteur: journalducameroun.com

Une interprofession forêts-bois au Cameroun, pour quoi faire?

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Sylvestre Lebell Nyeck Nyeck, président de La Forestière industrielle du Sud (LFIS) a été élu à la tête de la jeune interprofession forêts-bois du Cameroun le 25 février dernier. C’est le tout-premier président du bureau exécutif de cette structure créée avec l’appui du gouvernement.

Le secteur forêts-bois au Cameroun rassemble plusieurs acteurs, des industriels exportateurs – qui sont en quelque sorte les majors – aux menuisiers-ébénistes et charpentiers en passant par les vendeurs. Quel intérêt à mettre tout ce monde dans un même regroupement ? Nous avons posé la question à son président.

«Il y a un ensemble d’associations, syndicats qui naviguent autour du secteur forestier. Le gouvernement, après avoir identifié ce secteur comme un secteur de croissance, a estimé qu’il lui fallait un interlocuteur, pas en terme d’individus, et a entrepris depuis plus d’un an d’identifier tout ce qui touche au secteur forêts.

On a recensé ainsi une dizaine d’associations de PME, et une soixantaine d’autres associations. Tout cela mis ensemble a donné ce que nous appelons l’interprofession forêts-bois.

C’est une plate-forme d’échanges, de défense d’intérêts et d’accompagnement du gouvernement en matière de développement forestier au Cameroun. L’interprofession est désormais l’interlocuteur unique du gouvernement et des bailleurs de fonds sur tout ce qui touche le secteur forestier mais cela n’annihile pas pour autant l’existence des associations», explique Sylvestre Lebell Nyeck Nyeck.

Le président de l’Interprofession a été élu par ses «collègues forestiers» pour un mandat de deux ans renouvelable une fois. L’élection a vu la présence de quatre «collèges»: Les industriels-exportateurs, qui sont pour la plupart des multinationales étrangères; les PME-PMI camerounaises et étrangères ; les vendeurs de bois (détaillants et grossistes); les menuisiers-ébénistes et charpentiers.

M. Nyeck Nyeck, membre du collège des industriels-exportateurs avec sa société, a été présenté par le Groupement de la Filière Bois du Cameroun (GFBC), lequel représente plus de 95% des multinationales exerçant au Cameroun, «un peu plus de 90%» de la production de bois, et environ 75% de la production transformée de bois du Cameroun.

Cela n’aurait-il pas pesé en sa faveur avec le risque d’être perçu comme «le candidat des Blancs»? Sylvestre Lebell Nyeck Nyeck joue la carte du consensus. «Lors de l’élection, ce n’est pas le collège qui pesait le plus. Chaque collège avait sept électeurs.

Personne ne peut dire que je suis le candidat des Blancs ou des multinationales. Les Camerounais étaient majoritaires dans ces collèges mais je ne nierai pas que j’ai quand même été présenté par le GFBC».

«Avant d’être président de l’interprofession, j’étais déjà dans le secteur, à la tête d’une association de Camerounais que je dirige d’ailleurs encore à ce jour: Le groupement des acteurs du secteur forestier du Cameroun. J’ai également la chance d’avoir travaillé pour des multinationales et celle d’avoir créé ma petite entreprise. Donc je ne suis pas un inconnu, on se connait tous», relativise-t-il.

Bois camerounais, le grand corps malade
«L’interprofession est un instrument que les entreprises doivent utiliser pour avancer. Nous avons tous dit que le secteur forestier est sinistré, même si les gens n’en ont pas l’impression, nous le disons chaque jour. Il n’y a pas mieux que les acteurs d’un secteur pour dire de quoi ils souffrent et quelles sont les solutions qu’ils attendent des gouvernants», déclare M. Nyeck Nyeck.

Le propos peut surprendre à juste titre. D’après le dernier Rapport sur l’Etat du secteur portuaire national, publié par l’Autorité Portuaire Nationale (APN) le 15 juillet 2014, le bois camerounais a constitué 66,2% des principaux produits d’exportation enregistrés par le Port de Douala – principal port du pays avec 99% du trafic maritime – en 2013. Faisant ainsi de ce produit le premier de la liste des principaux produits d’exportation camerounais, devant la banane, le cacao, le caoutchouc, le coton et le café. Et c’est justement à ce niveau que se situe le problème, selon le président de l’Interprofession forêts-bois.

«Le secteur est sinistré parce qu’il dépend entièrement des exportations. En 1994, on a pris des textes qui stipulaient qu’à terme, on ne devait plus exporter de bois en grumes. Constat aujourd’hui: Sur les 2.600.000 de m3 de bois qui sont produits chaque année, près de la moitié sont exportés en grumes, de façon légale toutefois. Pour ne pas exporter de bois en grumes, il faut avoir un tissu industriel fort, fait de nationaux.

Combien de Camerounais ont une entreprise de transformation de bois véritable? Il faut que l’Etat accompagne la mise en place de la véritable industrie forestière nationale. Avons-nous en outre les moyens humains pour assurer une bonne transformation: je dis non!

Il faut que les Camerounais s’intéressent véritablement au secteur de la transformation, qui apporte une plus-value, et il faut que l’Etat les accompagne, y compris à travers des subventions. Le rôle de l’interprofession c’est de faire des propositions. Ce sera la matière que nous entendons apporter au gouvernement», indique M. Nyeck Nyeck.

Et ce n’est pas une situation qui profite pleinement aux industriels exportateurs, assure-t-il. «Les industriels gagneraient tout à ne pas exporter. S’il y avait un véritable marché national, pourquoi exporteraient-ils? Le Brésil par exemple consomme plus de 60% de sa production forestière.

L’économie forestière ne peut pas fonctionner normalement si nous ne consommons pas nos produits. Et le premier marché ça doit être l’Etat. Si on produit en série, les coûts de production vont aussi baisser en rendant nos entreprises compétitives face aux importations. L’avantage ici c’est que nous avons des essences tropicales, en Europe ça coûte très cher.

Je ne comprends pas comment des gens qui ont du bois massif choisissent des agglomérés qui foutent le camp au premier déménagement. J’ai la chance d’avoir été dans un immeuble ministériel qu’on appelle immeuble Emergence (ancien «immeuble de la mort, construit au Centre-ville et inauguré en 2014, ndlr). Dans cet immeuble, toutes les ouvertures, tous les meubles sont importés.

Comment pouvez-vous promouvoir un secteur sans consommer les fruits de ce secteur? Même quand vous allez au ministère des Forêts et de la Faune, vous vous rendez compte que la table du ministre est importée, celle de la salle des conférences pareille, celle de la Commission d’attribution des forêts également. Nous sommes dans une économie forestière complètement extravertie. Ce n’est pas la faute à un individu en particulier mais au système. Nous voulons dire au gouvernement: Nous voulons créer des emplois; mais comment pouvons-nous créer des emplois en important tout ce que nous avons? J’ai eu à affirmer qu’on pouvait créer facilement 500.000 emplois en un an.

Il me semble qu’on importe chaque année pour presque 30 milliards de F CFA de meubles, d’ouvertures. Si aujourd’hui on dit: nous réservons 10 à 20 milliards de F CFA de ce marché à l’industrie camerounaise, ça va amener les offres en formation, en création d’emplois, en usines et autres.»

«Le bois ne rapporte presque pas de devises au Cameroun»
L’interprofession doit également défendre l’intérêt de ses membres, rappelle Sylvestre Lebell Nyeck. «Les entreprises qui exportent font face aujourd’hui à un dilemme: les délais de passage au port sont très longs que ce soit à l’entrée ou à la sortie. Et qui dit délais dit pertes d’argent. Et ce sont des problèmes dont on parle tous les jours.

Tous les acteurs du secteur forêts-bois sont liés par cette situation. Il y a également des questions de fiscalité et taxes que nous devons mettre en cohérence pour s’assurer que ça concourt à la bonne santé du secteur. Nous évaluons actuellement les APV-Flegt (A

ccord de Partenariat Volontaire Flegt, ndlr) signés avec l’Union Européenne. En allant à Bruxelles, et j’étais de la délégation, nous pensions que nous allions signer un accord de développement, en s’attendant à des financements, alors que nous allions signer un accord commercial.

Et aujourd’hui nous avons des problèmes. Pour qu’un accord fonctionne, il ne suffit pas d’avoir des lois. Le système de traçabilité du bois camerounais est encore très faible. Et du coup, les Européens ont l’impression qu’on n’avance plus.»

Et qu’est ce qui a fait problème ? Avons-nous questionné le président de l’interprofession forêts-bois. «Le marché pour l’établissement du système informatique de traçabilité avait été confié à un consortium d’entreprises, Helvetas et SGS. Ils devaient en définitive remettre le système et les clés au gouvernement camerounais. Mais dans leur cas, ils pensaient qu’ils remettraient le système et garderaient les clés. Or, le Cameroun doit fonctionner en Etat souverain. Le dossier vient d’être confié à un autre consortium d’entreprises», rassure M. Nyeck Nyeck.

Le président de l’Interprofession forêts-bois du Cameroun tient par ailleurs à relativiser les chiffres sur la part du secteur bois dans l’économie camerounaise par rapport à son potentiel réel.

«On dit du bois qu’il est le 3ème poste de recettes au niveau de l’Etat. En réalité, lorsque vous vendez votre bois free-on-board, vous ne vendez pas. Le bois ne rapporte presque pas de devises au Cameroun par rapport à ce qu’il pourrait rapporter réellement.

Ça veut dire que nous ne maîtrisons pas notre bois au-delà du port de Douala. L’Etat donne des chiffres qui sont pris au premier degré. On n’a pas créé l’interprofession pour rien, Le gouvernement sait que ça ne va pas. Le gouvernement a pensé à un moment à la création de l’Office national des bois du Cameroun, qui gérerait l’offre et la demande.

Cela aurait permis de limiter la spéculation. Nous avons les moyens de couper moins, de transformer plus, et de vendre mieux. Et que ça se ressente en termes de rentrées de devises, de créations d’emplois.

Pour le moment, ce n’est pas le cas. Nous comptons travailler avec les cabinets qui vont nous apporter l’expertise nécessaire, et tous les ministères qui voudront bien nous accompagner.

Lorsqu’un camion part de l’Est pour Douala, si toutes les routes étaient goudronnées, il mettrait un jour pour arriver. En l’état actuel, il fait trois jours, évaluez ça en termes de coût. Il n’y a pas de taxi en économie, tout est interdépendant», soutient Sylvestre Lebell Nyeck Nyeck.