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Opinions of Friday, 2 March 2018

Auteur: Brice Cardeau

Sérail: difficile pour les Camerounais de se séparer de Paul Biya immunisé

Paul Biya au pouvoir depuis plus de 35 ans déjà Paul Biya au pouvoir depuis plus de 35 ans déjà

La métaphysique occidentale est une métaphysique de la présence, une présence désirée, guignée et même fantasmée. À l’origine dans cette logique, il y a d’ores et déjà ce qui en tient lieu, s’y ajoute mais comme on s’ajoute au rien, la remplace mais tout en sachant qu’alors rien n’est véritablement remplacé.

Dans la métaphysique africaine par contre, il est établi et prouvé que la présence ne peut, n’a été et ne sera jamais réellement pleine. Elle aura de toujours été entamée, altérée, différée. Différence là aussi originaire : l’absence qui altère la présence ne s’y oppose pas comme quelque chose d’extérieur, mais comme son intérieur même, de telle sorte que l’intérieur le plus intime est ce qu’il y a de plus extérieur, l’étranger étant le plus propre et le propre la plus grande impropriété.

C'est le sens, la portée et la valeur de notre métaphysique de l'impression qui caractérise "l'homme lion", cet autre enfant terrible venu d'un ailleurs maîtrisé. Dans chaque démembrement de l'administration, dans chaque bureau, dans chaque famille et j'irai plus loin en disant dans l'esprit de chaque citoyen camerounais, le président Biya, bien qu'absent, est un peu trop présent. Il l'est au point où nous pourrons difficilement nous en départir. Sauf qu'il est physiquement très absent, nous ne le voyons pas, nous ne le sentons pas, nous ne le vivons pas. C'est bien parce que nous n'avons déjà pas compris que la présence n'est pas que celle que nous fait découvrir la sensation.

Le "travail" du métaphysicien de l'impression consiste dès lors à décrire et nommer ce qui ouvre ce rapport non contradictoire entre ce qu’on aura considéré, à tort, comme des couples d’opposés : présence / absence, dedans / dehors, propre / étranger, signifié / signifiant, etc. En admettant que la métaphysique des "autres" est portée par la présence, qu’elle transporte et qu’elle fantasme, j'opterai et je privilégierai "la nôtre", celle qui manipule l’opérateur conceptuel de l’absence. Il s’agit pour les africains et Paul Biya l'a compris de faire droit à l’absence, dans la mesure où celle-ci serait redoutée, comme la mort, comme l’altération, etc., alors que la présence serait désirée.

Ne vous méprenez pas ! On peut être présent sans être vu et touché, Paul Biya l'est ! Juste qu'il s'agit d'une présence purifiée d'un existant indemnisé, immunisé, mieux auto-immunisé. Cette présence absente implique un mode de remplacement par destruction. Il est question pour notre "Prince" de créer un style de vie, un environnement, un monde inertiel, où rien n’arriverait à lui. En cet état précis où non pas présence et absence deviennent indiscernables par enveloppements réciproques, mais deviennent visibles par formation compacte.

La présence s’éprouve comme mise en présence, jet, jeu dangereux qui ne peut s’effacer comme on remet les pions sur un échiquier. Surtout que ce qui revient ne revient jamais au même endroit. Même mort et remplacé par une de ses créatures, Paul Biya restera et pour longtemps encore, l'absent le plus présent au Cameroun puisque comme le pense Derrida dans sa grammatologie, "On ne peut voir le mal dans la substitution dès lors qu’on sait que le substitut est substitué à un substitut".