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Opinions of Thursday, 10 May 2018

Auteur: camer.be

Sérail: ces prélats qui entretiennent des liens incestueux avec Paul Biya

Des prélats Camerounais ont toujours entretenu des liens incestueux avec le régime de Biya Des prélats Camerounais ont toujours entretenu des liens incestueux avec le régime de Biya

Depuis trois ou quatre décennies, le Cameroun connaît dans son espace public des relations tumultueuses entre les religions et la politique. En même temps les trois grandes cultures religieuses qui se partageaient les croyances des citoyens doivent composer avec un nouvel arrivant les « nouvelles églises ».

A l'aune des événements tragiques que nous vivons dans l'immédiat, notamment l’assassinat de Mgr Jean Marie Benoît Bala à la fin du mois de mai 2017, les prêtres et les évêques qui sont impliqués dans de nombreux scandales liés à l’évasion fiscale et les détournements de deniers publics, peut-on dire que les autorités compétentes mesurent les conséquences d'une telle mutation sociologique ?

Pour essayer de comprendre notamment les rapports de l’État avec les religions dans notre pays et particulièrement le catholicisme, nous avons rencontré le Professeur Vincent-Sosthène Fouda, l’un des meilleurs spécialistes des rapports entre la politique et les religions :

Pourquoi l’église catholique camerounaise une force religieuse si forte et si faible à la fois face au régime en place ?

L’Etat-Nation moderne au sens où nous l’entendons, et tel qu’il s’exprime au Cameroun est un peu le fils de l’Église chrétienne, dans un premier temps des protestants baptistes qui y sont arrivés en 1840 et l’Église catholique dès 1890. Ce sont donc ces Églises qui ont fondées l’espace public camerounais d’où la visible « force » à laquelle vous faites allusion. Alors même que l’Église catholique a formé l’essentiel de l’élite camerounaise dans ses institutions éducatives, elle semble avec le temps s’être inféodée au pouvoir politique en place dans ce que j’appelle des relations adultérines.

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Mais cette Église faible, je dirai compromise avec le pouvoir en place c’est celle des dirigeants archevêques, évêques et prêtres. La communauté des croyants quant à elle, comme nous révèlent les Évangiles et l’Esprit saint qui distribue ses dons comme bon il l’entend œuvre dans ce désert.

Elle est au service de celui qui en est l’inspiration et dont l’objectif est de redonner à l’Humanité l’image et la ressemblance de son Créateur. Le problème est dans son expression publique puisqu’il est normal de séparer l’Église de la politique si l’on se réfère à la loi fondamentale qui consacre que le Cameroun est un pays laïc. Mais vous conviendrez aussi avec moi que cette laïcité n’est ni institutionnelle ni sociologique.

Pourquoi, dans un pays où les églises sont pleines de chrétiens fervents, il y a-t-il autant de corruption et de crimes ?

« La corruption pue ! La société corrompue pue ! » Tels sont les mots prononcés par le Pape François le 21 mars 2015 alors qu’il était en visite pastorale à Naples. Il s’adressait à la fois aux responsables de l’Église et aux chrétiens. Pour les chrétiens quelles que soient leurs obédiences, la corruption est pire que tout autre péché, parce qu’en endurcissant le cœur des gens, elle les empêche de se « sentir coupable et de demander pardon ». Le comportement des chrétiens au Cameroun laisse observer qu’ils sont entrés dans une « lassitude de la transcendance » avant même d’avoir sécularisé la foi et la pratique religieuse.

Les corrompus croient pouvoir suffire à eux-mêmes et à leurs besoins. Ce sentiment d’autosuffisance se renforce progressivement : ce qui au début n’aurait été qu’une « tendance inconsciente » est devenu avec le temps un trait naturel de caractère. Mais « la suffisance de l’homme n’est jamais abstraite.

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Ce type de souci de soi se concentre sur un trésor qui subjugue, enserre dans ses filets et finalement rend ses victimes totalement sans résistance : car alors ‘ je dirai à mon âme: Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années; repose-toi, mange, bois, et réjouis-toi !’ (Luc 12, 19). ».

Les chrétiens camerounais pensent donc que les corrupteurs et les corrompus boivent à la même source et il devient difficile de dissocier le bon grain de l’ivraie. Personne finalement ne va voler avec une étiquette religieuse, c’est le « moi » public qui dérobe et celui-là est public et la religion est de l’ordre du privé. Il faut peut-être que tout cela change pour que l’humain soit un tout unique.

Comment expliquez-vous le silence de l’Église face aux inégalités sociales ?

L’Église universelle a de tout temps eu pour mission de transformer la réalité sociale par la force de l'Évangile, l’Église qui est au Cameroun est dans cette dynamique. Elle le témoigne par ses œuvres sociales sur l’ensemble du territoire, les dispensaires, les écoles, les maisons d’accueil pour les personnes du troisième âge.

Nous constatons cependant que l'annonce de Jésus-Christ, « bonne nouvelle » de salut, d'amour, de justice et de paix, ne trouve plus facilement accueil dans le Cameroun d'aujourd'hui, ravagé de plus en plus par les inégalités sociales mais aussi par la lutte contre Boko Haram dans le Nord du pays et une insurrection armée dans les deux régions anglophones du pays et enfin par la misère et les injustices.

Mais l’Église catholique comme les autres confessions religieuses dans ses rapports incestueux avec le pouvoir politique a perdu sa capacité agissante pour continuer à présenter l’Évangile et l’espérance qui sauve comme ce dont l’homme a besoin. Nous avons pu le constater lors de l’assassinat de Monseigneur Jean-Marie Benoît Bala le 2 juin 2017. Les évêques n’ont pas été capables de parler d’une même voix à cause des alliances compromettantes liant certains d’entre eux avec le régime en place au Cameroun.
C'est précisément pour cela que l'homme de notre temps a plus besoin que jamais de l'Évangile: de la foi qui sauve, de l'espérance qui éclaire et de la charité qui aime.

L'Église, experte en humanité, doit non seulement la prêcher mais la vivre surtout et j’aime bien ce mot du Pape Paul VI dans l’encyclique Populorum Progressio que « la vérité est un logos qui crée un dia-logos, et donc une communication et une communion... » Finalement la vérité ouvre et unit les intelligences dans le logos et l’amour est une grande partie des responsables de l’Église qui est au Cameroun semble l’avoir oublié.

Le Cameroun prépare une élection présidentielle qui se tiendra au dernier trimestre de l’année en cours. Quel rôle devrait jouer l’église pour redonner de l’espérance aux Camerounais ?

Difficile de demander à l’Église catholique une chose et son contraire, en effet, le Pape Benoit XVI dans Africae Munus, document peu lu et analysé malheureusement par les chrétiens au Cameroun, donne une orientation dans le rôle public que joue l’Église. Il précise en effet que tous les membres de l’Église ne sont pas appelés à faire la même chose.

Unité donc du corps, mais diversité de fonctions : « les dons faits par le Seigneur à chacun – évêques, prêtres, diacres, religieux et religieuses, catéchistes, laïcs – doivent contribuer à l’harmonie, à la communion et à la paix dans l’Église elle-même et dans la société » (AM, 97).

L’exhortation postsynodale précise bien ce qui revient à chaque catégorie de membres de l’Église. Mais il convient de distinguer particulièrement le rôle public du clergé de celui des laïcs. Pour ce qui est des évêques, le pape dit : « votre autorité morale et votre prestance qui soutiennent l’exercice de votre pouvoir juridique, ne proviendront que de la sainteté de votre vie » (AM, 100).
Les prêtres ne doivent pas êtres des activistes politiques, distribuant tracs et programmes politiques, Le premier devoir du prêtre reste le ministère spirituel pour conduire les hommes au Seigneur.

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C’est aux laïcs de s’engager en politique au nom même de leur foi d’où la nécessité de bien les former à la vie spirituelle et à la doctrine sociale de l’Église, pour que les vertus chrétiennes guident leurs actions sociales et politiques. Comme l’affirme le pape Benoît XVI, « par ses membres laïcs, l’Église se rend présente et active dans la vie du monde. Les laïcs ont un grand rôle à jouer dans l’Église et la société. Cette édification d’un ordre social juste doit intégrer “l’option préférentielle pour les pauvres” » (AM, 130).

Que faut-il changer dans les liens qu'entretiennent l'église et l’État au Cameroun ?

La hiérarchie de l’Église catholique entretient des rapports incestueux avec le régime en place au Cameroun. Ces rapports se sont accentués depuis l’arrivée au pouvoir du président Biya en 1982 qui a fait ses études secondaires dans un séminaire. Mais il a 87 ans et la plus part de ceux qui l’ont connu au séminaire ont pris leur retraite. Il est plus que urgent que la génération des évêques actuels retourne au magister de l’Église et assainisse ses rapports avec le pouvoir politique.

Je ne crois pas qu’il y ait de mission prophétique de l’Église en dehors de l’annonce de l’Evangile car quand l'Église « accomplit sa mission d'annoncer l'Évangile, elle atteste à l'homme, au nom du Christ, sa dignité propre et sa vocation à la communion des personnes; elle lui enseigne les exigences de la justice et de la paix, conformes à la sagesse ». Jean Baptiste n’était pas un homme politique mais son souci de justice et de vérité l’a fait croiser Hérode et Hérodiade sur son chemin.

Jésus n’était pas un politicien, mais il croisa Hérode-fils et Pilate sur son chemin, un chemin qui le mena à la croix. Mais malgré l’intérêt que l’Église porte à la vérité et à la justice dans l’ordre politique, Africae Munus tient à rappeler à juste titre aux chrétiens que « Le Christ ne propose pas une révolution de type social ou politique, mais celle de l’amour, réalisée dans le don total de sa personne par sa mort sur la Croix et sa Résurrection » (AM, 26). C’est ce que que les dignitaires de l’Église catholique qui est au Cameroun doivent comprendre.