Il fut un temps où les mots prostitution et compromission, dans leur sens ancien, ne désignaient pas seulement la trahison de principes, mais une véritable ignominie, une abjection morale engageant l'âme tout entière. Car trahir sa conscience, c’est corrompre ce surmoi intérieur - ce gendarme discret mais inflexible — qui, lorsque les projecteurs s’éteignent et que tombent les masques de la comédie humaine, vient réclamer l’heure des comptes.
Dans mon temps au séminaire , chez les bons pères jésuites, on appelait cela « l’examen de conscience ». Mais après la fanfaronnade, après le vacarme, après les compromissions et les flatteries vénales, il reste l’histoire. L’histoire, ce tribunal implacable dont Hegel disait qu’il est le lieu du déploiement de la raison universelle. Elle finit toujours par dire son mot, même longtemps après la disparition des protagonistes. Et c’est alors à leurs héritiers de porter, avec honneur ou honte, les noms de ceux qui les ont précédés.
À notre époque, certains intellectuels ont troqué la flamme du courage contre la tiédeur des convenances. Ils cèdent, sans grande résistance, aux sirènes de la facilité : ils se font acheter par les potentats qu’ils auraient dû questionner, dénoncer, combattre. Ils mettent leur art, leur verbe et leur intelligence au service du mensonge. Non pour éclairer le peuple, mais pour le détourner de la vérité. Leur savoir devient maquillage, leur plume un camouflage — un instrument de domination au lieu d’un levier de libération.
Ceux-là vivent de ce que les Duala appellent mambo ma wassé : les plaisirs égoïstes et immédiats de la panse, insultant ainsi, assez imprudemment, le regard des générations futures. Car ils croient gagner le monde, mais y perdent leur âme.
Heureusement, il y a d’autres figures. Celles dont l’âme relève de la race des seigneurs et des chevaliers d’honneur. Celles qui, dans le silence et souvent dans la solitude, prennent date avec l’histoire. À l’image des stoïciens, dont Épictète fut l’un des plus nobles représentants, ils savent que le véritable bonheur ne se trouve ni dans la richesse, ni dans la reconnaissance, ni même dans la santé — toutes choses fragiles, extérieures, périssables.
« Ce qui dépend de nous, ce sont nos jugements, nos désirs, nos volontés. Ce qui ne dépend pas de nous, ce sont les richesses, la santé, la réputation, la mort. »
— Épictète
C’est là toute la distinction entre l’homme libre et l’homme vendu. L’un vit selon sa nature rationnelle, accomplissant son devoir avec justice, courage et tempérance ; l’autre vit selon ses pulsions, ses peurs, ses besoins.
Marc Aurèle, autre phare du stoïcisme, le disait avec une puissance sereine :
« Ne perds plus de temps à discuter de ce que devrait être un homme de bien. Sois-en un. »
— Pensées, Livre X, 16
Et encore :
« Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur les choses. »
Voilà pourquoi certains demeurent debout au milieu des ruines, tandis que d'autres s'agenouillent dans les palais. Le premier groupe écrit l’histoire, le second en sera l’annotation honteuse.