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Opinions of Saturday, 9 July 2022

Auteur: Serge Aimé Bikoi

Monde syndical au Cameroun : voici les traitres qui vendent les combats à Paul Biya

Le ponce-pilatisme syndical au Cameroun Le ponce-pilatisme syndical au Cameroun

Le ponce-pilatisme syndical au Cameroun

L'année 1990, au Cameroun, marque l'avènement d'une nouvelle ère. Le pays de Paul Biya passe de l'ère du monolithisme à celle du pluralisme. C'est à la faveur de l'implémentation du processus de démocratisation de la vie sociale qu'un vent de libertés individuelle et collective a été insufflé. Avec le retour au multipartisme et à la liberté d'association de 1990, la loi reconnaît aux travailleurs et aux employeurs le droit de créer les syndicats. Mais plus de trente ans après, cette loi n'a jamais été promulguée. Toute chose entraînant la vulnérabilité des corporations syndicales. Au-delà de la non-promulgation de la loi sur les syndicats, force est de constater, trois décennies après la libéralisation de la vie sociale, que certains leaders syndicaux et leurs membres ne font plus, en réalité, leur travail de protestation et de dénonciation des formes de disqualifications, de discriminations et de minoration des travailleurs.

Tous les syndicats sont, avant tout, créés pour revendiquer et défendre les droits des travailleurs. Les principales caractéristiques du pouvoir syndical sont son audience, c'est-à-dire sa capacité à se faire entendre, son influence et sa potentialité à faire pression sur le patronat. Le tout, ici, adossé à la modalité d'action qu'est la grève, laquelle exprime le droit de résistance à l'exploitation, à l'oppression sociale, à la domination politico-idéologique, ainsi qu'à l'arbitraire administratif. En effet, par la grève, un syndicat marque une distanciation épistémologique, au sens bachelardien, entre le supportable et l'insupportable. De facto, le syndicat contribue à édifier un espace social expurgé d'exactions de toutes sortes. Mais, en jetant un regard holistique sur certaines corporations syndicales au Cameroun, l'on s'aperçoit qu'elles ont été créées pour devenir un tremplin pour l'accession à certains privilèges, tels que les postes de responsabilité et les positions de pouvoir et d'autorité dans des strates bureaucratiques. En début de semaine(lundi, 4 juillet 2022), le Premier ministre, Chief Joseph Dion Ngute, a procédé à la nomination des hauts cadres au ministère de l'Enseignement supérieur (Minesup).

Parmi les Inspecteurs généraux et les directeurs de l'administration centrale ayant bénéficié d'un poste de responsabilité, figure l'actuel Secrétaire général du Bureau exécutif national(Ben) du Syndicat national des enseignants du supérieur (Synes). Il s'agit du Professeur Blaise Eugène Mtopi Fotso qui, par le passé, avait porté une litanie de revendications de ses pairs sur l'espace public. L'on se souvient, par exemple qu'en mars 2022, à travers un communiqué qu'il a, dûment, signé, relativement à l'annonce d'un préavis de grève suite au non-paiement, entre autres, de la première tranche de la prime de modernisation de la recherche, l'on avait cru avoir droit à un leader syndical enclin à la protestation et à la dénonciation des affres et injustices dont est victime le personne enseignant des universités d'État du Cameroun. Nous avons l'impression que ce patron administratif du Synes se positionne, à travers l'acte de nomination du chef du gouvernement, comme un leader syndical ayant appréhendé le syndicat comme une zone de transit pour être coopté à un poste décisionnel au Minesup et pour être, in extremis, englué dans la mangeoire. Toute chose qui participe, sans coup férir, à détourner le syndicat national des enseignants du supérieur(Synes) de son objet premier. Quelques membres dudit syndicat ont, d'ailleurs, constaté le mutisme de leur camarade ces derniers temps alors que d'autres récriminations devaient être, à nouveau, exposées dans l'agora. Selon un communiqué rendu public le 5 juillet 2022 par le Secrétaire général dudit syndicat, une réunion extraordinaire a lieu ce samedi, 9 juillet 2022 à Yaoundé. Sera-t-il question, pour le Bureau exécutif national (Ben) du Synes, de désigner le Secrétaire général par intérim qui va devoir conduire et gérer les affaires courantes avant le prochain congrès qui, en principe, se tiendra en octobre 2022? De toute évidence, nous le saurons, cet après-midi, au terme de cette assise.

Par le passé, d'autres enseignants d'université ont instrumentalisé le Synes pour servir leurs intérêts et pour attendre leurs objectifs et desseins. L'on se souvient, sans prétention à l'exhaustivité, du cas du Professeur Emmanuel Dieudonné Pegnyemb, ancien membre de la coordination du Synes à l'Université de Yaoundé 1, qui avait, entre autres, décrié les conditions dégradantes dans lesquelles ses collègues et lui dispensaient les enseignements au département de Chimie. En 2005, trois semaines après l'enclenchement de la grève estudiantine organisée par l'Association pour la défense des droits des étudiants du Cameroun (Addec), dont le leader était Mouafo Djontou, ce Chimiste avait, dans le quotidien "Mutations", en date du 6 mai 2005, peint le tableau noir d'un enseignant en butte aux difficultés liées,entre autres, à l'exiguïté des bureaux des enseignants, à l'étroitesse et à la pauvreté des laboratoires. Revendications qui faisaient, d'ailleurs, partie intégrante des onze exigences de l'Addec. Mais quelques années plus tard, Pegnyemb avait été nommé Directeur des accréditations universitaires et de la qualité au ministère de l'Enseignement supérieur (Minesup). Il est idoine de préciser qu'après avoir bénéficié d'une promotion socioprofessionnelle dans une administration donnée, vous cessez d'arborer le manteau de syndicaliste. De même, d'autres enseignants d'université occupant des postes à la coordination du Synes dans l'instance universitaire d'appartenance ont, eux aussi, bénéficié des postes de nomination au ministère de l'Enseignement supérieur. Les Professeurs Isaac Célestin Tcheho, Ajaga Nji, Pierre Tane, etc en sont quelques exemples. Eu égard à la logique de la politisation du Synes, bien d'universitaires activistes dans le mouvement syndical sont, pour la plupart, cooptés et promus comme chef de Division de la promotion du dialogue et de la solidarité universitaire au Minesup. En jetant un regard holistique sur le Synes, ces dernières années, vous constaterez que bien de Secrétaires généraux ont été élevé à des positions de pouvoir et d'autorité au Minesup. Bien de membres de la coordination du Synes appartenant à l'Université de Dschang ont, maintes fois, été juchés à des postes de responsabilité dans leur département ministériel. Ce qui est vicieux dans la promotion socioprofessionnelle de ces syndicalistes, c'est le fait de les stigmatiser comme des contestataires avérés et patentés. Alors, le politique, dans ses méthodes d'action, choisit la carte de la politisation du mouvement syndical en nommant davantage des syndicalistes originaires de la région de l'Ouest tant ils sont perçus, dans l'imaginaire collectif, comme des "opposants" à la philosophie du fonctionnement des universités d'État. Sans conteste, il y a, ici, deux écueils, à l'instar de ceux de la politisation et de la tribalisation du Synes. Il y a même, ces derniers temps pour ceux et celles qui suivent l'actualité de ce syndicat, ce débat idéologique entre le camp de ceux qui pensent que le Synes est colonisé et caporalisé par les ressortissants de l'Ouest et la faction dissidente qui bat en brèche cette logique et qui défend l'argument du refus des autres enseignants d'université issus des autres communautés culturelles d'adhérer à l'action syndicale. Si les universitaires venant des autres aires géographiques ne veulent pas militer dans le mouvement syndical, doit-on pourfendre les ressortissants de l'Ouest de s'investir, tous azimuts, dans l'action, voire dans l'activisme syndical ?

Il n'y a pas qu'au Synes, où certains syndicalistes ont été cooptés dans les arcanes de la manducation. Même au Syndicat national des journalistes du Cameroun(Snjc), Denis Nkwebo, ancien leader de cette corporation, a été nommé comme membre de la commission des droits de l'homme du Cameroun le 19 février 2021. L'on a donc l'impression que ce sont des aventuriers qui se positionnent dans l'environnement socioprofessionnel pour se battre pour tenir les rênes des syndicats et pour escompter, à long terme, une nouvelle ascension socioprofessionnelle, source de l'accroissement des prébendes, des dividendes et des avantages de toutes sortes.

Optant pour la politique de la division pour mieux régner, les pouvoirs publics entrent en scène et manipulent certains leaders syndicaux mués en marionnettes pour briser l'élan de contre-pouvoir qu'ils sont censés insuffler en permanence. Très souvent, ce sont les mêmes pouvoir publics qui manœuvrent, sous cape, pour travailler à la cooptation de tel leader syndical qui leur fera allégeance et qui jouera le rôle de courtisan et d'agent de renseignements auprès de leur destinataire, l'enjeu étant d'engranger des espèces sonnantes et trébuchantes et de continuer à faire semblant de théâtraliser la posture de défense des droits des travailleurs. Or, il ne s'agit que d'une mise en scène savamment orchestrée par le leader-laquais, qui œuvre au détriment des employés misérabilisés et paupérisés par les bourgeois compradores tant il devient serviteur des appareils idéologiques et répressifs de l'État qui l'instrumentalisent de manière régulière. Pauvres leaders syndicaux devenus des marionnettes du système oppresseur et autoritariste!

Serge Aimé Bikoi