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Opinions of Jeudi, 22 Février 2018

Auteur: S. KUISSU

'Mettre fin aux tueries au Cameroun anglophone'

L’action du gouvernement laisse à penser qu’il existe un malentendu sur le but visé L’action du gouvernement laisse à penser qu’il existe un malentendu sur le but visé

Maintenant que le gouvernement détient l’état- major des sécessionnistes, avec tous leurs documents, le Président de la République dispose de tous les atouts pour régler le problème du Cameroun occidental sans effusion de sang.

Il a la possibilité de courcircuiter les différents missionnaires, tous plus inefficaces les uns que les autres, qu’ils avaient envoyés dans les régions du Sud-Ouest et Nord-Ouest au début de la crise, et de recueillir directement ce que veulent les dirigeants sécessionnistes.

Il devra se souvenir que le plus grand stratège est celui qui gagne la guerre sans livrer bataille.

Si on peut comprendre la colère des militaires devant leurs collègues victimes d’attentats meurtriers, on ne peut pas admettre que des villages entiers soient rasés, que des soldats tirent indistinctement et sans sommation sur des villageois. Les raids meurtriers sont poursuivis jusque dans des villages nigériansoù se sont réfugiés nos compatriotes fuyants la terreur (près de 40 000 personnes selon le HCR). Si le pouvoir veut punir ceux qui ont tiré sur nos soldats, alors pourquoi tuer les civils innocents ? Si ces faits révélés pas les média sont avérés, cela est très préoccupant. Ce sont exactement les méthodes utilisées par l’armée coloniale française dans les régions notamment de l’Ouest et de Sanaga Maritime contre les combattants indépendantistes de l’UPC. On sait aujourd’hui (voir par exemple les travaux de Deltombe et Tatsita) que pendant la guerre de libération du Cameroun contre le colonialisme français, les destructions de villages, de plantations, les assassinats aveugles des populations dans l’Ouest et la Sanaga Maritime en particuliers, attribués à L’UPC par la propagande coloniale, étaient en réalité l’œuvre de la France. La question effrayante est : le gouvernement camerounais est-il en train d’utiliser contre son propre peuple les méthodes terroristes jadis utilisées par le colon français contre le peuple camerounais ?

Le Président de la République, chef des armées, devrait ordonner la fin de ces tueries, qui au demeurant ne semblent pas nécessaires. Il a le soutien de la majorité des camerounais, y compris des anglophones pour s’opposer à la partition de notre pays. N’y a-t-il vraiment que la guerre pour répondre aux revendications des anglophones qui ne demandent pas tous la sécession ? Ceux qui, comme ce grand professeur sur une chaine de télévision privée affirment que l’Etat a le monopole de la violence sur toute l’étendue du territoire, oublient de dire que l’Etat a aussi l’obligation de protéger ses citoyens. En massacrant les populations indistinctement, on tire aussi sur des adversaires de la sécession, on radicalise les velléitaires, et on crée les conditions pour une guérilla de longue durée. Si la paix et l’unité nationales sont autre chose qu’un slogan creux dans la bouche des tenants du régime, il est grand temps qu’ils défendent cette paix gravement compromise, autrement qu’en semant la mort.

L’action du gouvernement laisse à penser qu’il existe un malentendu sur le but visé au Cameroun occidental. Si le but visé est de rechercher avec sérieux, et de mettre en application les conditions d’un « vivre ensemble » harmonieux entre les ressortissants du Cameroun occidental et ceux du Cameroun Oriental au sein d’une même nation, il n’y a pas lieu de faire la guerre. Il faut une réponse politique. Il n’est pas juste de dire que la guerre a été déclenchée contre les séparatistes et les assassins de nos soldats, puisque les forces de l’ordre sont entrées au Cameroun occidental dès le début de la crise, bien avant la proclamation de « l’Ambazonie », et ont exercé une violence armée sur des manifestants aux mains nues. La propagande rampante du pouvoir et de ses supporters tendant à assimiler aux séparatistes et aux terroristes tout camerounais qui soutient les revendications justes des populations du Cameroun occidental, n’est pas faite pour nous convaincre que le pouvoir souhaite une bonne entente entre anglophones et francophones.

Alors que veut le pouvoir ? Transformer le Cameroun Occidental en une colonie du Cameroun Oriental ou plus précisément du groupe dirigeant du pays qui pillent les richesses du Sud-Ouest? Le déclenchement de la guerre au Cameroun occidental devient alors cohérent. C’est ce don les séparatistes semblent convaincus, car ils s’en prennent plus à « LA REPUBLIQUE » qu’au Cameroun. L’évolution de la forme de l’Etat camerounais depuis 1961 n’est pas faite pour leur donner tort. Le passage de la « REPUBLIQUE FEDERALE DU CAMEROUN » (1961) à « LA REPUBLIQUE UNIE DU CAMEROUN » (1972) puis à « LA REPUBLIQUE DU CAMEROUN » (1984) était-il concerté et conforme aux accords de 1961? Si la proclamation le 1er octobre 2017 de l’état « Ambazonie » a été un mauvais coup porté au peuple camerounais, le terrorisme d’état actuellement pratiqué par le gouvernement au Cameroun occidentale est encore pire. Le président de la République qui nous a habitués à plus d’intelligence politicienne et de ruse pour affaiblir l’opposition a-t-il fait le bon choix cette fois-ci ? Est-il certain de gagner cette guerre ? Le remplaçant d’AYUK TABE est déjà opérationnel, si l’on en juge par la poursuite des actions sur le terrain. Si le pouvoir croit pouvoir réduire par le force le Cameroun Occidental à l’état de colonie, il va devoir en faire payer le prix à tous les camerounais. Les guerres asymétriques sont souvent longues et couteuses, avec des conséquences humaines et économiques très lourdes. Déjà l’économie locale transfrontalière est désorganisée. Les biens publics et privés sont détruits. La sécurité des champs pétrolifères de Limbé, de Bakassi, etc est-elle garantie ? Qui va supporter l’effort de guerre ? Il va encore augmenter les impôts déjà très lourds et injustes, c’est-à dire ruiner des entreprises, augmenter le chômage et aggraver la misère populaire. Les populations du Cameroun oriental, qui sont étrangement passifs face aux évènements, et même parfois méprisants à l‘égard de nos compatriotes du Cameroun occidental, feraient bien de réfléchir un peu.

Ceux qui confondent la forme géographique avec la forme juridique, en déclarant que le forme de l’Etat n’est pas négociable ne font que semer les graines de la violence. Le débat sur la forme que nous voulons donner à notre Etat est nécessaire et urgent. Ce n’est pas une question linguistique ! La commission du bilinguisme s’apparente à une ruse cousue de fil blanc qui ne trompe personne. L’accélération proclamée de la décentralisation est un non- sens : on n’accélère que ce qui est déjà en mouvement ; or depuis 22 ans, rien ne bouge question décentralisation. Voulons-nous une République du Cameroun décentralisée ? République Unie ? République Fédérale ? Combien d’Etats fédérés :2, 4, 5 ou 10? Une justice nationale ou deux justices héritées de nos colonisateurs ? Un seul système d’enseignement et de diplômes ou deux ? Telles sont les vraies questions. Tout est ouvert à une réflexion sérieuse, à la discussion, sauf la sécession. Les conclusions de ce débat bénéficieraient de plus de légitimité s’il avait lieu dans une conférence incluant toutes les forces politiques nationales. Pourquoi le chef de l’Etat veut il l’enfermer dans le cadre institutionnel ? Même dans ce cadre- là, on ne voit encore rien venir.

Et pour terminer, le président de la République serait mal inspiré de laisser torturer, voire exécuter AYUK TABE ET SES COMPAGNONS. On peut espérer qu’il se débarrassera de la tendance héritée du colonialisme français qui consiste à assassiner systématiquement les dirigeants des luttes de libération, et préservera l’intégrité physique et la vie de AYUK TABE et de ses 46 compagnons. On a des raisons d’être inquiet à ce sujet :Que s’est-il passé pendant les 24 jours qui séparent l’arrestation de AYUK TABE et ses 46 compagnons par le DSS (Departement of State Security) nigérian le 05 janvier dernier et l’annonce par le ministre camerounais de la communication de leur mise à la disposition de la justice camerounaise le 29 janvier2018 ? Où sont-ils ? Pourquoi personne ne les a vu, même pas leurs avocats ni leur familles. Pourquoi aucune image ni aucune vidéo de leur arrestation et de leur transfèrement à Yaoundé n’est montrée ?