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Opinions of Tuesday, 7 November 2023

Auteur: Wilfried Ekanga

'Le ventre et la Rumba': Ekanga crache les revendications de Lady Ponce au visage de Biya

Wilfried Ekanga et Lady Ponce Wilfried Ekanga et Lady Ponce

Le principal problème du Cameroun, c'est que mis à part nous les politiciens, personne ne fait la politique. Ou du moins, ils sont tous convaincus qu'ils ne font pas la politique. C'est une expérience que vous pouvez faire tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes et toutes les secondes : interrogez les Camerounais sur la revendication de leurs droits, et vous verrez : des footballeurs aux boxeurs en passant par les humoristes et, en l'occurrence les chanteurs, chacun d'eux vous répètera à cor et à cri : « Moi je ne fais pas moi la politique ohh !».

Pire encore, si vous êtes un membre assumé de l'opposition, ils vous préciseront : « Pardon, vos choses de Kamto là hein, enlevez-moi dedans très vite !»

Par contre - et c'est tout à fait curieux - ce que l'on constate, c'est que les footballeurs n'hésitent jamais à réclamer leurs primes, que les enseignants ont récemment lancé des mouvements OTS (On a Trop Supporté) pour exiger matricules et salaires, et que les artistes se plaignent sans cesse de la haute considération accordée aux stars étrangères, d'Afrique ou d'ailleurs, par rapport à eux, les autochtones. Conclusion, les Camerounais savent donc très bien réclamer leurs droits ! Le seul souci, c'est que chacun prêche pour sa paroisse, et ne se sent (presque) jamais concerné quand l'injustice touche d'autres corps sociaux que le sien. Ils ne réalisent pas qu'en réclamant la justice dans leur métier, ils sont déjà en plein engagement politique, et qu'il n'y a donc aucune raison de ne pas réclamer cette même justice pour tous, en tout temps et en tout lieu.

Autrement dit, un artiste doit exiger la libération des prisonniers politiques, de la même manière que les politiciens exigent de meilleures conditions de vie pour les artistes ; un footballeur doit participer aux mouvements OTS, de la même façon qu'un enseignant doit soutenir les footballeurs qui attendent leurs primes... et ainsi de suite. Or le fait de ne pas être solidaire des autres corps sociaux, le fait d'attendre qu'un fléau touche d'abord notre secteur avant d'éprouver de la douleur, est la principale raison du faible impact qu'ont les revendications citoyennes dans le pays d'Adèle Adèle Adèle ma bien-aimée. Car les acteurs en présence avancent en rangs dispersés, plutôt que de créer un front commun de lutte.

L'HOMME ET L'ANIMAL

Après le triomphe indiscutable de Ngannou face à Tyson Fury, j'ai utilisé ma maigre plume pour demander à notre Predator national de dédier sa victoire uniquement au peuple camerounais, et de ne plus aller enseigner aux unités de l'armée nationale - que le pouvoir utilise comme escadron privé au service d'un individu - comment employer des « clés 14 » pour coincer des Camerounais sur le sol. Car ce sont ces techniques que l'on voit les policiers employer tous les jours en pleine rue à Douala, lors de plaquages infiniment plus barbares que nécessaires, face à des citoyens qui ne représentent pas le moindre danger. Et je suis bien heureux que le séjour de Ngannou ait été si simpliste et si discret, car j'ai toujours estimé que si les Occidentaux et les Orientaux nous méprisent et nous volent nos droits et nos victoires (à l'instar de Tyson Fury justement), c'est parce qu'ils ont constaté que nous nous méprisons nous-mêmes. En d'autres termes, Ngannou n'a aucun intérêt à nourrir la barbarie locale ; au contraire, il a l'obligation de se joindre au peuple pour réclamer l'équité globale et universelle, car il sera lui-même bénéficiaire, par ricochet, de la dignité qui en résultera.

En 1807, le philosophe allemand Friedrich Hegel (1770-1831) publie un livre sous le titre « phénoménologie de l'esprit », dans lequel il écrit : « ce qui élève l'homme part rapport à l'animal, c'est la conscience qu'il a d'être un animal. Du fait qu'il sait qu'il est un animal, il cesse de l'être ». En clair, la différence entre nous et notre chien, c'est que nous sommes au courant des inégalités en cours dans notre pays, et qui n'épargnent aucune couche socioprofessionnelle. Alors, à partir de là, contrairement au chien qui ne pense qu'à son os à lui, l'être humain s'implique aussi dans le bien-être d'autrui, sachant en outre qu'autrui lui apportera son renfort quand ce sera à son tour d'être en difficulté. Voilà pourquoi, dans le cas d'espèce, nos musiciens ont tort de penser qu'ils ne font pas politique, alors que le mépris contre lequel ils s'insurgent aujourd'hui n'est rien d'autre que la conséquence de la médiocrité et de l'incivisme politiques en vigueur dans le pays.

Les musiciens camerounais, si célèbres et si talentueux qu'ils sont, n'ont pour la plupart aucun statut juridique légal. Ils ont donc beau parcourir la Terre en avion et animer des soirées à travers le monde, leur métier reste et demeure essentiellement… de l'informel ! C'est ici le premier problème : la non-reconnaissance par l'État du statut des artistes, dont il se sert pourtant des sonorités pour agrémenter ses événements culturels et ses programmes audiovisuels sur la chaîne nationale. Conséquence, l'artiste se retrouve otage exclusif du sponsoring privé pour se produire et gagner des sous. Sauf qu'au Cameroun, pays où la cupidité (amour de l'argent) et l'hédonisme (l'art de jouir) tutoient les sommets, même des structures publiques comme Camtel qui carburent aux frais du contribuable, préfèrent opter pour une star étrangère qui leur assurera de gros bénéfices, plutôt que d'appliquer la préférence nationale, a priori moins rentable. Or, c'est pourtant ce mécanisme de valorisation locale qui nous permettrait à long terme d'être représentés nous aussi au Ballon d'Or (Rema), au couronnement de Charles III (Yemi Alade) ou à la coupe du monde (Kizz Daniel) comme nos voisins de gauche.

C'est ici le deuxième problème : la vision « ventriste » des sociétés d'État, pour qui l'onanisme prime sur le patriotisme.

JAMAIS DEUX SANS TROIS

Un dernier problème, plus subtil que les deux premiers, mais autrement plus dangereux, car plus sournois, c'est le concubinage incestueux de certaines victimes avec leurs propres bourreaux, contre d'autres victimes. Une célèbre citation attribuée à Mahatma Ghandi, le père de l'indépendance de l'Inde, dit : « Ce qui m'inquiète ce n'est pas la cruauté des méchants, mais le silence des justes ». Cela signifie que celui qui ferme sa bouche en situation d'injustice est plus ou moins complice de cette injustice-là. Mais ceci dit, quitte à choisir, je préfère encore un artiste qui se tait devant l'indignation d'un autre, à un artiste qui s'évertue à la décrédibiliser. Car si être inutile de par son silence est une chose, être nuisible de part son tintamarre en est une autre. Le chiffre 0 sera toujours supérieur au chiffre - 1. C'est un axiome mathématique, c'est-à-dire une règle figée, immuable et éternelle.

Être nuisible, c'est transformer une problématique au départ générale en règlement de comptes personnel. C'est alors que jaillissent des guéguerres absurdes et sans lendemain, à des années lumières du constat originel, et qui prouvent simplement que les concernés n'ont même pas encore pris la mesure du tartare obscur dans lequel se trouve leur profession depuis des décennies. Dieu sait qu'il n'y a rien de plus stupide que de voir deux antilopes se battre entre elles, alors que le tigre, et donc leur seule et vraie menace, se tient juste en face, prêt à les dévorer sans distinction ni égards. Il est vrai que même nous en politique nous avons chaque jour contre nous ceux-là mêmes pour qui nous nous battons, il est vrai qu'ils nous posent encore plus d'obstacles que nos véritables adversaires, mais nous nous efforçons à rester concentrés, car nous gardons assez de lucidité pour nous souvenir qu'ils ne sont pas du tout nos ennemis. Or ici, on a affaire à des inconscients qui, bien que baignés dans la même sauce, se lancent des flèches horizontales.

Et l'ennemi, le vrai, se frotte les mains et déguste son pop-corn devant le triste spectacle.

Toutefois, puisqu'on n'est quand même pas naïf, on va noter que ces batailles de cour de récré sont parfois animées par des individus qui, en raison de leurs affinités personnelles avec des piliers du régime (dont ils tirent quelques avantages éventuels, sinon l’essentiel de leur pitance), n'ont jamais ressenti la nécessité de jouer collectif, bien qu'à l'intérieur d'une même profession. La devise ici ressemble à du « Moi je ne souffre pas, donc tout va bien », et on en revient à la problématique du départ : l'individualisme des intérêts, le ventre et le haut-ventre personnel.

Avec la particularité qu'ici, la méchanceté gratuite et la bêtise se sont ajoutées à l'inconscience de l'enjeu politique.

( En 2012, Adèle, une chanteuse britannique, aidée de Paul Epworth, un parolier britannique, est choisie pour écrire la chanson « Skyfall » pour le 23eme film de James Bond, un héros britannique, créé par Ian Flemming, un écrivain britannique, et interprété par Daniel Craig, un acteur britannique. C'est cela la préférence nationale - et ce d'autant plus instructif que la réalisation est américaine.