Vous-êtes ici: AccueilOpinionsActualités2023 10 15Article 747815

Opinions of Sunday, 15 October 2023

Auteur: Dr Patrick Ngou

'J'ai annoncé le décès avant que l'enfant ne meurt': Dr Ngou parle d'un cas qu'il a traité

Dr Ngou lors d'une consultation Dr Ngou lors d'une consultation

J'ai été appelé un jour en salle d'accouchement pour examiner un nouveau né qui respirait mal. Quand je suis arrivé le père attendait tout anxieux dans le couloir et on voyait dans son regard que toute sa vie dépendait de ce que j'allais lui dire en sortant. J'en ai tout de suite pris conscience.


Quand je suis arrivé pour examiner l'enfant, il était tout bleu, avec un poids d'à peine 1500g, une malformation des membres, une déformation du thorax, une malformation sévère du visage et malgré l'oxygène il avait du mal à respirer sans geste de réanimation.

Le verdict était sans appel, l'enfant ne survivrait pas, et le père n'avait pas encore vu son fils, puisque c'était un garçon, et le premier né de cette famille. Étant dans une zone enclavée le transfert était non envisageable.
J'ai donc appelé le père, je lui ai présenté son enfant, et je lui ai dit:
"je sais que c'est dur, je sais que tu ne t'attendais pas à ça, mais si tu as aimé ta femme et si tu as fait cet enfant avec Amour, prends le dans tes bras, parle lui, dis lui que tu l'aimes, dis lui que sa mère l'aime, dis lui ce que tu attends de lui, mais sache qu'il partira avant la tombée de la nuit. Je le lui disais en murmurant, en le regardant dans les yeux, avec une voix pleine de compassion.

D'un air déterminé et prêt à assumer, il a porté délicatement son enfant dans ses bras, lui a fait un bisou malgré le sang qui le recouvrait, lui a souri, mais avec les larmes aux yeux. Il s'est retourné vers moi et m'a dit, svp docteur prenez moi une photo avec mon fils. Ce que j'ai fait.
Passé ce moment, je lui ai rappelé que la personne a protéger maintenant était son épouse, que c'est ce que l'enfant aurait voulu.

Il faut la protéger de la famille, de ceux qui pourront dire que c'est une femme sorcière qui ne peut pas te donner un fils. On n'était pas d'accord pour ce mariage et on te l'avait dit.

Si tu souffres, dis toi que ta femme souffre 100 fois plus, parce que si elle t'aime, elle s'en voudra de ne pas t'avoir donné le fils que tu souhaitais tant, et il n'y a que toi pour la protéger et lui redonner goût à la vie.
Il a posé délicatement l'enfant et il est sorti.

L'enfant n'a pas survécu, la mère a eu du mal à tenir. Mais l'homme était à ses côtés, c'était le plus important.

Voici un pan quotidien de cette profession, cette passion, qui nous met face à l'humanité au quotidien, à la fragilité de la vie, au sens profond des petites attentions, au choix de nos mots au quotidien en tenant compte des ravages qu'ils peuvent impliquer, médecins ou pas, ça nous interpelle tous.
Je suis prêt à recevoir les insultes sur mes manquements, sur le non engagement du serment d'Hippocrate, sur la méchanceté et la cruauté du personnel médical,
si vous saviez combien on souhaite faire différemment.

Si vous saviez la douleur que certains portent en rentrant chez eux après avoir perdu un patient.
Si vous saviez que ces morts laissent des traces indélébiles en nous malgré que ce soient de parfaits inconnus.
Si vous saviez le nombre de fois qu'on a voulu baisser les bras.
Si vous saviez combien il est difficile de sourire au prochain malade après avoir annoncé un décès.
Si vous saviez combien de fois on se réveille la nuit pensant à quelque chose qu'on aurait pu faire en plus pour un patient qui aurait peut être pu tout changer.
Si vous saviez le sens que nous donnons au mot humanité, ce n'est pas une émotion ou un ressenti.
Si tu te bats pour l'humanité tu es sûr de ne jamais te tromper.