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Opinions of Wednesday, 16 March 2016

Auteur: Jean-Crépin Nyamsi

Il est difficile de se réconcilier sans Gbagbo

Ce n'est pas le « spin doctor » du président de l'Assemblée nationale ivoirienne quoiqu'il partage le même patronyme avec ce dernier. Jean-Crépin Nyamsi est enseignant à l'université Paris-Dauphine en France. Pour lui, le procès Gbagbo -Blé Goudé serait nuisible au processus de réconciliation en terre d'Eburnie.

Quel est votre regard sur le procès de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI) ?

Je me mets à la place des parents de Laurent Gbagbo et j'imagine à chaque instant leur douleur. Comment ces parents, amis et sympathisants se sentent actuellement, sachant que l'un de leurs fils et pas des moindres, qui s'est battu corps et âme pour apporter la démocratie, le multipartisme en Côte d'Ivoire est traité aujourd'hui comme un sanguinaire, un terroriste ? Non c'est impossible.

À ce stade du procès et au regard des éléments de preuves en possession de la procureure de la CPI, quel sera selon vous le sort de Laurent Gbagbo ?

Laurent Gbagbo est déjà condamné. Et cela est sûr et certain. C'est un procès politique et non juridique. Ce n'est pas le droit qui est dit dans cette Cour dite « pénale internationale ».

La CPI est une machine de l'ONU. Il faut que les Africains le sachent une bonne fois pour toute. Pour que Gbagbo soit là-bas, il a fallu que l'ONU soutienne Ouattara pour le faire partir du pouvoir par la force des armes.

C'est aussi simple qu'un bonjour. Tu ne peux pas arrêter Laurent Gbagbo et le transférer à la Haye, qui est un instrument de l'ONU et dire que nous sommes dans un procès équitable.

Non, nous ne sommes pas dans un procès juridique mais plutôt politique. Libérer Gbagbo pourrait fragiliser Ouattara. Donc, quelles que soit les conditions du procès, Gbagbo est déjà condamné.

Puisque c'est un procès politique, la seule chose qui peut libérer Gbagbo, ce sont les marches. C'est à nous, peuples africains, de nous mobiliser, de faire des sit-in, des grèves de la faim devant la CPI en disant : « Si Gbagbo n'est pas libéré, nous resterons tous devant les bâtiments de la Haye et ce sont les cadavres que ceux qui le retiennent injustement vont ramasser ».

Depuis l'avènement d'Alassane Ouattara à la tête de la Côte d'Ivoire, on assiste à une paix relative. Les Ivoiriens sortent petit à petit du carcan des crises armées. Pourtant, vous dites que la seule personne qui peut mettre les Ivoiriens autour d'une table, c'est Gbagbo...

La paix que vous citez n'est qu'une paix partielle. Peut-on parler de paix, quand les partisans de Gbagbo sont embastillés ?

Peut-on parler de paix, lorsque l'instrument politique de Laurent Gbagbo, le FPI est pris en otage par un homme qui a fait le marchandage politique avec le pouvoir qu'il a combattu hier ?

Il ne peut pas y avoir de paix, les Ivoiriens ne peuvent pas être en paix, ne peuvent pas s'entendre, ne peuvent pas s'asseoir ensemble, ne peuvent pas être tranquilles tant que le père du multipartisme se trouve de l'autre côté, hors de sa terre natale.

Et au regard de tout ce qui a été fait en Côte d'Ivoire depuis le 11 avril 2011, la paix est impossible aujourd'hui dans ce pays.

La réconciliation ne peut pas exister surtout que jusqu'à présent, il n'y a qu'un seul camp qui fait l'objet de poursuites judiciaires. Et on a vu encore un Ouattara, qui nous a annoncé qu'il n'enverra plus un ivoirien à la CPI.

Fatou Bensouda insiste, elle, sur le fait que l'autre camp sera poursuivi et que ce n'est qu'une question de temps...

Qui voulez-vous que Ouattara envoie à la CPI ? Me concernant, je n'en vois pas surtout que les deux personnes qui faisaient peur à Ouattara ont été transférées à la Haye.

Simone Gbagbo, peut-être. Surtout qu'un mandat lui a déjà été notifié malgré sa condamnation par la justice ivoirienne...

Si tu donnes 20 ans à cette dame qui a déjà 67 ans, c'est pour qu'elle sorte à quel âge ? En lui donnant 20 ans de prison, le pouvoir Ouattara espère qu'elle en sorte à plus de 80 ans.

Donc envoyer Simone Gbagbo à la CPI ou la laisser en prison à Abidjan, c'est du pareil au même et le sort du clan Gbagbo est définitivement lié. Le clan Gbagbo n'a plus sa place.

La seule personne qui est encore jeune, avec un certain charisme doublé d'un art oratoire, n'est autre que Blé Goudé.

Il fallait l'embastiller comme son mentor à La Haye. En le déportant à la prison de Scheveningen, on a étouffé toute velléité de titiller le pouvoir Ouattara et partant, on a tué tout le charisme du clan Gbagbo et tous ces enfants qui ont fait l'école de ce grand homme politique.

Quelles solutions préconisez-vous pour une Côte d'Ivoire réconciliée ?

Si Ouattara est là aujourd'hui, c'est grâce à Gbagbo. Si Soro Guillaume a été réhabilité, c'est grâce à Gbagbo.

Un pays qui a été divisé où des gens ont refusé de désarmer, mais pour la paix pour son pays, l'ex-président a accepté d'organiser les élections malgré que le pays était coupé en deux.

Celui qui a toujours prôné la réconciliation en Côte d'Ivoire se trouve en prison. Alors que ceux qui ont tout le temps refusé la réconciliation gèrent aujourd'hui le pays.

Le patron de la réconciliation se trouve à la CPI. Ramenez Gbagbo au pays et la paix reviendra sans faute. Il n'y a aucune alternative à cela.