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Opinions of Monday, 29 June 2015

Auteur: Boris Bertolt

France-Cameroun: Je t’aime moi non plus

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Moins de six heures de temps. C’est ce qu’a décidé de consacrer François Hollande au Cameroun. Ce alors qu’il passera près de deux jours au Bénin. Les autorités de Yaoundé qui rêvaient d’utiliser cette visite en signe de triomphe reverront certainement leurs ambitions à la baisse. 14 ans déjà qu’un président français n’avait plus foulé le sol camerounais.

Inédit dans les relations entre la France et le Cameroun. Des relations vues par certains sous le prisme d’une relation « père-fils » ou encore de « maître à esclave ». L’appréciation ici est tributaire de la filiation politique. Les nationalistes n’ont jamais pardonné à cette ancienne puissance colonisatrice les massacres entre 1955 et 1958 en pays Bassa du Cameroun et ceux perpétrés entre 1961 et 1970 à l’Ouest du Cameroun.

De nombreux chercheurs aujourd’hui n’hésitent plus à parler d’un génocide. D’un autre côté, les Aujoulatistes, dont les plus illustres sont Ahmadou Ahidjo ou encore Paul Biya, ont pleinement conscience du rôle de la France dans la prise du pouvoir et sa conservation.

Mais, en 55 ans d’indépendance, jamais les relations entre la France et le Cameroun n’ont suscité autant de débats au sein de l’opinion nationale et internationale et dans les cercles diplomatiques et du pouvoir. Pourtant, le Cameroun représente le premier partenaire commercial de la France en Afrique centrale, hors pétrole.

Il est également le deuxième client de la France (derrière le Gabon) et le deuxième fournisseur (derrière le Congo) en Afrique centrale et se révèle un partenaire significatif pour les importations françaises de certains produits (fruits tropicaux, aluminium, bois et pétrole). Mais, en 2012, dépassée par la Chine, la France est devenue le deuxième fournisseur du Cameroun hors pétrole.

Depuis l’indépendance, la France a toujours considéré le Cameroun comme sa chasse gardée. Elle a protégé le régime Ahidjo contre les opposants en exil de l’Union des populations du Cameroun (Upc), a fourni des armes et est intervenu militairement pour mater la rébellion dans l’Ouest Cameroun, a joué de son influence au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies pour éviter au Cameroun des sanctions ou des résolutions.

Paul Biya n’est pas en reste. C’est sous influence française, qu’il a progressivement gravit tous les échelons de l’administration dès 1963 au point de devenir en 1979 le successeur constitutionnel. Une décision qui lui ouvrira les portes du Palais d’Etoudi dont il prendra les rênes le 6 novembre 1982.

Très vite, il déclare devant François Mitterand, président de la France, accusé par certaines langues d’être le principal instigateur de ce qui est considéré comme « un coup d’Etat médical » contre le président Ahidjo être « le meilleur élève de la France ». Paul Biya restera très proche des cercles du pouvoir en France, aussi bien du parti socialiste, que de la droite française.

D’après l’association Survie, il fait partie de ces chefs d’Etat qui par des moyens détournés font parvenir de l’argent en France pour les campagnes électorales. Tout comme sous Ahidjo, il a bénéficié de conseillers militaires français à la fois pour sa sécurité que pour la construction de l’armée nationale. Tout cela s’accompagnant de nombreuses faveurs accordées aux entreprises françaises qui sont évaluées à près de 200 au Cameroun.

Jamais Paul Biya, et encore moins Ahidjo, n’a osé mettre sur la table la question du Franc CFA. Elle ne figure d’ailleurs nulle part dans l’agenda économique. Pourtant objet de controverse à l’échelle continentale. Cependant, depuis bientôt 10 ans, cela ne fait aucun doute que rien ne va plus entre les deux pays.

Officines

Les faits parlent d’eux-mêmes : Des parlementaires français qui dans un rapport qualifient le président de la République de « dictateur », la presse française prenant le relais. L’ambassadrice de France au Cameroun, Christine Robichon huée par la foule à Yaoundé qui accuse son pays de soutenir Boko Haram.

Au sommet, un François Hollande l’air ennuyé qui s’entretient brièvement en octobre 2012 à Kinshasa avec Paul Biya en marge du XIVè sommet de la Francophonie (Oif). Il le reçoit par la suite sans grands égards le 30 janvier 2013 à l’Elysée avec qui il échange pendant 25 minutes. Son prédécesseur, Nicolas Sarkozy n’avait effectué aucune visite au Cameroun alors qu’il a effectué de nombreuses tournées en Afrique y compris chez les voisins du Cameroun : Le Tchad et le Gabon.

Mais le pic en diplomatie avait été atteint Lors des cérémonies marquant la fête nationale du Cameroun le 20 mai 2011, une absence inédite dans les tribunes: celle d’un représentant officiel de la France. Quelque chose qui ne s’était pas produit même au plus fort de la crise du Biafra lorsque le président Ahidjo sous pression de la France avait refusé de servir de base arrière aux sécessionnistes.

Pleinement conscient de la tournure que prenaient les relations avec ce pays à qui il doit certainement beaucoup, Paul Biya a manœuvré en coulisses auprès de multiples officines pour pouvoir obtenir des rendez-vous à Paris. Le cas Thierry Michel Atangana, condamné à 25 ans de prison, puis libéré sous pression de la France, n’a pas arrangé les choses.

Mais Paris a certainement un morceau en travers de la gorge : Entre 2000 et 2011, les parts de marché de la France ont chuté de 10,1% à 4,7%, tandis que la Chine s’y est imposée en une vingtaine d’années comme le principal partenaire économique avec une part de marché passée de moins de 2% en 1990 à plus de 16% en 2011. François Hollande cherchera peut-être à augmenter ces parts.