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Opinions of Vendredi, 10 Juillet 2015

Auteur: Bassek ba Kobhio

François Hollande, 1960? 1955?: Les bégaiements de l’histoire

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Dans la relation, et davantage encore dans l’interprétation de faits historiques, il est normal que les points de vue divergent, mais il est essentiel que les sujets de divergence soient clairement identifiés et les zones de conflit nettement circonscrites, le minimum étant cependant que la réalité historique s’impose à tous comme un fait scientifique dont seule l’appréhension autorise les différences de traitement.

L’évocation de la page sombre du cahier des relations politico-militaires entre la France et le Cameroun par François Hollande le 30 juillet dernier au Palais d’Etoudi, constituera j’en suis sûr un moment important de l’histoire commune de nos deux peuples. « C’est vrai qu’il y a eu des épisodes extrêmement tourmentés et tragiques même » entre la France et le Cameroun, comme le reconnaît si justement François Hollande. Et ça semble si simple à dire, ça n’a pourtant pas été évident de le reconnaître 60 ans durant.

Il fait bon de le rappeler à tous, il y a eu au Cameroun une véritable guerre de libération, moins médiatisée certainement, mais tout autant virulente et sanglante que les guerres d’Algérie ou d’Indochine d’où la France importa des méthodes éprouvées là-bas, à l’exemple de la terrifiante opération ZOPAC , initiée et gérée par des anciens ou des nostalgiques de l’Indochine, dont le sinistre commandant Lamberton. Une opération d’embrigadement de type nazi, baptisée par les autochtones « magroupe », et qui militairement connut un « grand succès » en désorganisant les sociétés locales jusque dans leurs fondements.

Mais l’escalier a encore de nombreuses marches qu’il reste à gravir pour parvenir à ce stade où seuls subsisteront les appréciations plurielles des faits. On en est en effet loin, et la datation des débuts de la guerre entre la France et le Cameroun, située par Hollande à l’après indépendance, en est le symbole, au point que dans ce louable début de « rectification » du discours public français sur l’histoire du Cameroun, on est en droit de s’interroger sur ce qui relevait vendredi de la mauvaise foi, et sur ce qui témoignait simplement d’une ignorance réelle. « Après l’indépendance, il y a eu une répression en Sanaga-Maritime, au pays Bamiléké ».

L’avancée que constitue la reconnaissance du fait butte alors sur la délimitation spatio-temporelle du conflit, car cette guerre-là date au moins de 1955, avec l’exclusion violente de l’UPC du jeu politique, et qu’elle déborda et de beaucoup la zone indiquée.

Alors mauvaise foi ou ignorance ? Ou bégaiement « normal », dernier réflexe de l’ancien colonisateur qui, face à l’inanité de continuer à nier le fait historique, décide de réduire un conflit militaire international à une chamaillerie domestique, à laquelle simplement et peut-être même accessoirement, la France fût mêlée ?

Certes, pourrait-on dire, pourquoi ne pas se contenter de cet aveu « révolutionnaire » ? Et on le voit dans les nombreux commentaires qui ont suivi cette déclaration, beaucoup s’en contentent. Hollande ne nie pas sur la période post coloniale l’implication de la France, il reconnaît implicitement que si de 1960 à 1971 l’arme était tenue par des bras camerounais, la gâchette en était actionnée par la France officielle. Pourquoi ne pas s’en satisfaire ?

Parce qu’il serait trop facile de réduire cette guerre à « une affaire camerounaise », de rabaisser un conflit international à une brouille tropicale. Des administrateurs français de la colonie camerounaise (le terme n’est pas impropre, le Cameroun fut bel et bien une colonie malgré les appellations officielles dont l’affubla l’ONU) confirment bien l’existence et la réalité de cette guerre où la légende raconte qu’on alla jusqu’à utiliser du napalm.

Leurs écrits et déclarations attestent que la véritable guerre, la plus sanglante, celle dans laquelle se comptent plus de 100 000 des 120 000 morts estimés par les historiens les moins intransigeants, se déroula de 1955 à 1959. Pierre Messmer le déclare sans hésitation, se référant aux événements de mai 55 : « Um Nyobe voulaient la guerre, nous allions leur faire la guerre ». ( voir le film « Cameroun : 50 ans d’indépendance » de Bassek ba Kobhio).

Querelle de chiffonniers ? Que non. Cette datation est essentielle, parce que celle choisie par François Hollande dédouane facilement la France pour toutes ces têtes coupées et exposées dans les marchés dès avant 1960, pour cet encouragement à la délation du voisin qui perdure aujourd’hui encore, pour la désorganisation de nos sociétés qui n’ont jamais pu se reconstituer tout-à-fait, pour tous les travaux forcés qui virent disparaitre les jeunes hommes les plus vigoureux de la nation ( lire « Complaintes d’un forçat » de Henri Richard Manga Mado) .

Cela ne réduit en rien l’importance de la déclaration du 30 juillet dont il faut espérer qu’elle soit suivie bientôt d’effet, l’ouverture des archives françaises pouvant seule nous permettre, enfin, d’en savoir davantage sur les pourquoi et les comment, sur les qui et le quand . Le système Aujoulat et sa nébuleuse qui perdure, par exemple, pourraient être mieux appréhendés, pas pour régler je ne sais quel compte, mais pour « savoir … », car même dans les familles, cette douloureuse période d’un quart de siècle ( 1955 – 1971) fut et demeure à peine évoquée, parce que cela a toujours comporté des risques.

Cela nous amène d’ailleurs à un curieux constat : si un grand pas vient d’être franchi par la France officielle, celui qui reste attendu, aussi incroyable que cela soit, est à faire par le Cameroun officiel. Il ne sert en effet plus à rien d’attendre, et l’histoire nous démontre partout que la résurgence de la vérité n’est qu’une question de temps, alors qu’il est patent qu’au Cameroun, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la vérité enfin révélée serait davantage un ciment de l’unité nationale qu’une arme de destruction de cette nation qui, pour avoir vaincu le colonialisme puis le néo colonialisme ( enfin presque), a donné les preuves de sa grande force et de sa grande maturité, de son potentiel de cohésion aussi. Car dans cette histoire, malgré les apparences, il n’y a pas un camp de coupables et un camp de victimes ou de héros définitivement constitués. 60 ans, c’est tout compte fait peu pour l’histoire.

Celle du Cameroun va continuer à s’écrire, révélant des secrets insoupçonnés qui ne devraient avoir qu’une seule finalité : conforter un peuple autour de cette base psychologique et idéologique forte connue de ce seul pays d’Afrique Noire majoritairement francophone qui conquit son indépendance les armes à la main, et qui de ce fait demeurera à jamais un cas singulier dans toute l’histoire du continent.

Un jour nouveau s’est sans nul doute levé le 30 juillet, et la brève visite de François Hollande aura ouvert une nouvelle ère de relations franco-camerounaises. Viendra, soyons en certains, le jour où sera parachevé le recouvrement de cette histoire, et nos enfants et petits enfants en seront tout heureux et tout fiers, tous sans exception.

Car si l’on admet que l’UPC, ce ne fut pas que des hommes ou des slogans mais plutôt un projet, une idée, un état d’esprit qui embrasèrent tout un peuple du nord au sud et de l’est à l’ouest, avant de s’éteindre en 1971 dans les coups de feu qui assassinaient Ernest Ouandjié dont Ahmadou Ahidjo lui-même dira plus tard qu’il ne méritait que respect, alors tout camerounais a ce fond de nationalisme qui peut faire dire à raison que tout citoyen de ce pays est , a été ou sera upéciste, partie prenante de cette guerre de 20 ans que reconnaît enfin la France officielle