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Opinions of Wednesday, 23 March 2016

Auteur: camer.be

Elle s’appelait Monique Alvine Koumatekel

Et ce modestement, nous n’avons la prétention de détenir la vérité ni de convaincre de quoi que ce soit.

Nous souhaitons simplement élargir le périmètre de notre réflexion collective, ce qui par essence est la base de la citoyenneté.

Nous retomberons cependant souvent sur ce principe chomskiste, à méditer : Si je suis citoyen, j’ai une part de responsabilité dans ce que fait mon pays. J’aimerais le voir agir selon des critères moraux respectables.

Cela n’a pas grande valeur morale de critiquer les crimes de quelqu’un d’autre même s’il est nécessaire de le faire, et de dire la vérité. Je n’ai aucune influence sur la politique de la santé publique du Tchad du Gabon ou du Congo, mais j’en ai, jusqu’à un certain point, sur la politique de la santé publique dans mon propre pays.

La mortalité maternelle est une affaire de droit humain et de genre

L’Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD) n°5 est la réduction des trois quarts de la mortalité maternelle entre 1990 et 2015. On peut se demander pourquoi la mortalité maternelle devait faire l’objet d’un OMD spécifique, après tout, son poids relatif apparaît modeste en termes de nombre de morts annuelles, comparé aux infections, aux cancers et aux maladies chroniques.

Outre l’émotion liée au décès d’une femme en couche, par ailleurs en bonne santé, une mort maternelle a des conséquences importantes. Dans notre pays il suffit de voir où vivait la regrettée Monique Alvine et le chagrin insoutenable de sa famille pour comprendre que tout son clan a perdu non seulement une mère, une fille, une soeur mais le moteur central de vie de cette famille.

La femme camerounaise mère de famille de condition modeste contribue majoritairement à l’économie du ménage en prenant soin des enfants, de la maison, et parfois même de ses parents, ses frères et soeurs qui sont à sa charge.

Il y a plusieurs façons de mesurer la mortalité maternelle et la manière la plus utilisée est de diviser le nombre de décès maternels d’une population par les naissances vivantes de cette population pour la même période.

On comprend par décès maternel le décès d'une femme enceinte ou un décès survenu dans les 42 jours suivant une interruption de grossesse, quel que soit le siège ou la durée de cette dernière, et dont la cause est lié et ou aggravée par la grossesse ou la prise en charge de cette dernière, mais pas de cause accidentelle .

Le chiffre obtenu de cette manière est un ratio de mortalité maternelle (RMM). Il donne une idée du risque de mourir à chaque grossesse.

La Flashback

Il y a deux ans, le programme national multisectoriel de lutte contre la mortalité maternelle, néonatale et infanto­juvénile a été lancé le vendredi 09 mai 2014 par le Ministre de la Santé Publique, Monsieur André Mama Fouda. Les statistiques sont en effet très préoccupantes, et même « inacceptables » pour reprendre l’expression du Ministre de la Santé Publique.

Selon l’enquête Démographique et de Santé 2011, au Cameroun, le ratio de mortalité maternelle est de 782 décès pour 100000 naissances vivantes, et le taux de mortalité des enfants de moins d’un an est de 62 décès pour 1000 naissances vivantes.

D’où l’instruction du Président de la République pour la mise sur pied d’un programme d’urgence afin de remédier à la situation. Six membres du Gouvernement étaient présents à la cérémonie : les Ministres de l’Education de Base, Madame Youssouf Hadjidja Alim, de la Promotion de la Femme et de la Famille, le Professeur Marie Thérèse Abena Ondoa, de l’Enseignement Supérieur le Professeur Jacques Fame

Ndongo, de la Communication Monsieur Issa Tchiroma Bakary, et de la Jeunesse et l’Education Civique Monsieur Bidoung Mpkatt. Outre les Ministres, l’on notait la présence de trois Secrétaires d’Etat: Santé Publique, Monsieur Alim Hayatou, Enseignements secondaires, Monsieur Mounouna Foutsou et Anciens Combattants, Monsieur Koumpa Issa.

La coopération était représentée à la table d’honneur par l’Ambassadeur d’Allemagne Klaus­Ludwig Keferstein pour les partenaires bilatéraux, et par le Représentant de l’UNFPA, Madame Barbara Sow pour le système des Nations Unies.

Au premier rang des invités, des Ambassadeurs et des Chefs d’Agences des Nations Unies dont Madame le Représentant de l’OMS, le Docteur Charlotte Faty Ndiaye. Dans son discours, le Ministre de la Santé Publique a prescrit l’intensification des actions et l’entrée par chaque acteur dans son rôle.

Le programme promeut la synergie des moyens et des énergies, pour des actes forts et porteurs de changement, avec en priorité la réduction de la mortalité maternelle, néonatale et infantojuvénile de 25% avant 2018.
Il a rappelé la portée significative de la tenue de la cérémonie au lendemain de la Journée Africaine de réduction de la mortalité maternelle et néonatale, un événement lancé par les Premières Dames d’Afrique, et commémoré chaque 08 mai, et à la veille du 3ème anniversaire du lancement de la CARMMA, la Campagne d’Accélération de la lutte Contre la Mortalité Maternelle et néonatale.

De même, le changement de paradigme dont témoignent la multisectorialité du programme, l’implication de plusieurs partenaires bi et multilatéraux et la prise en compte des collectivités, des communautés et de la société civile a été souligné. Et c’est en prélude à ce propos que plusieurs Ministres ont défilé à la tribune pour préciser le cahier de charge de leur département dans le cadre de la nouvelle initiative.

La Jeunesse et l’Education Civique qui dispose de 430 centres de promotion de la jeunesse va améliorer l’accroissement et la disponibilité des services sociaux éducatifs ? l’éducation de base va mettre à profit la mobilisation des associations de parents d’élèves et d’enseignants et mettre à contribution les centres d’alphabétisation ? la Promotion de la Femme et de la Famille a confirmé la mobilisation des réseaux d’associations de femmes avec des besoins en matériel roulant pour atteindre les communautés partout où elles se trouvent ? enfin, l’Enseignement Supérieur a situé sa contribution dans la refonte et l’amélioration des curricula de formation des nombreux établissements de formation et de perfectionnement relevant de sa compétence.

C’était également sous le signe de l’engagement que l’Ambassadeur d’Allemagne, qui a relevé les précédentes insuffisances dans l’allocation des ressources et la gouvernance et souligné l’immensité de la tâche, a présenté le rôle et les actions de la France, de l’Allemagne, et des Etats Unis dans le programme.

Avant lui, le Représentant de l’UNFPA a invité à prendre immédiatement action, car l’agenda post 2015prévoit que dans aucun pays, le ratio de mortalité maternelle ne dépasse 100 décès sur 100 000 naissances vivantes en 2035. En début de séance, un documentaire sur la mortalité maternelle et néo natale et des supports de plaidoyers avec des statistiques détaillées ont présenté les causes et facteurs favorisants, appuyés par la présentation générale du Docteur Martina Baye, Coordonnateur du programme.

Le programme, présidé par le Ministre de la Santé Publique et parrainé par la Première Dame du Cameroun veillera au passage à échelle des interventions à haut impact sur la santé de la mère et de l’enfant. Lorsqu’on confronte les ratio de mortalité maternelle (RMM ) au produit interne brut (PIB) par habitant des pays les plus pauvres (moins de 1500 USD/habitant) le Cameroun ne fait pas partie des pays les plus pauvres puisque son PIB par habitant se situe à 2900 USD (2015 ) on observe qu’il n’y a pas d’association entre relative pauvreté et niveau de mortalité. Le niveau de richesse n’est donc pas un critère absolu.

Lorsqu’on compare les chiffres de mortalité maternelle dans les pays pauvres avec ceux des pays occidentaux. Chaque pays des plus développés aux plus modestes cherche à réduire cet écart et l’objectif que le Cameroun s’était fixé en 2014 était de passer de 782 décès pour 100000 naissances vivantes à 100 décès pour 100000 naissances vivantes.

Puisque même en Occident dans les pays les plus industrialisés, ce phénomène reste préoccupant. On peut alors se demander quels facteurs ont pu influencer les niveaux de mortalité maternelle dans les pays occidentaux à une époque où le niveau relatif de richesse et de développement technologique était moindre que celui d’aujourd’hui dans les pays pauvres.

Quelles leçons utiles aujourd’hui pour nos pays moins riches

Le transfert des technologies telles l’antibiothérapie, la transfusion sanguine ou la césarienne sont restés encore faibles dans l’ensemble des institutions sanitaires au Cameroun. Cette faible efficacité du transfert des technologies tient bien entendu au niveau de développement global du pays en équipements public et privé de santé. Les infrastructures étant déficientes, les ressources humaines qualifiées en nombre insuffisant, peu disponibles et peu motivées et l’appui logistique étant souvent défectueux, on multiplie les périls et on ne peut réduire conséquemment les risques de mortalité maternelle.

Mais les extrêmes disparités entre les différentes couches de la population camerounaise même parmi les classes sociales très pauvres montrent aussi que beaucoup tient du choix des stratégies éducatives, de croyances établies qui traversent le corps social entier. On a trop souvent une inclinaison à s’en remettre à la volonté divine pour que les choses se passent bien, aux croyances traditionnelles à sa bonne étoile en faisant fi des précautions à observer pendant la grossesse.

En 2012, l’OMS notait que dans 115 pays sur les 180 pour lesquels des estimations de la mortalité maternelle ont été calculées? il n’y avait pas d’enregistrement complet des naissances et des décès par l’état civil avec une bonne attribution des causes de décès et dans 27 pays, il n’y avait tout simplement pas de données sur les décès maternels.

Les principales causes de mortalité maternelle sont les hémorragies et les embolies. Les enquêtes montrent que dans près de 3 cas sur 4 (73 %), la femme décède en raison d'un incident obstétrical. Ce sont les hémorragies du postpartum (juste après l'accouchement) qui sont les plus à risques, puisqu'elles représentent à elles seules 15,5 % des cas. Au total, les hémorragies, qui peuvent également survenir avant ou pendant l'accouchement, sont à l'origine de 25 % des décès constatés.

Les autres causes possibles sont les embolies amniotiques (16 %), les accidents veineux graves, en particulier l'embolie pulmonaire (9 %), l'hypertension artérielle et ses complications comme la pré­éclampsie (8 %), les infections (3 %) et les complications d'anesthésie (1,4 %). Dans 27 % des cas, la mort n'est pas directement liée à la grossesse : accident vasculaire cérébral (7,5 %), maladies cardiaques, respiratoires ou cancers ont été ainsi d'autres causes de décès maternels.

Ces accidents mortels varient de plus fortement en fonction du lieu d'accouchement : en Ile­de­ France, la mortalité maternelle est supérieure de 30 % à la moyenne nationale et dans les DOMTOM, les risques sont trois fois plus élevés ! Comment expliquer ces disparités régionales ?

Pour Marie­Hélène Bouvier­Colle, "il est difficile de le déterminer avec précision. Néanmoins, on peut affirmer que le problème francilien réside plus particulièrement dans la prise en charge et les transferts des patientes d'un établissement à l'autre". Par ailleurs, "le risque de mort maternelle est trois fois plus élevé à 35­39 ans qu'à 20­24 ans, huit fois plus à 40­44 ans et 30 fois plus au­delà de 45 ans", selon les chercheurs.

En France par exemple il est dit que les femmes d'origine étrangère et plus particulièrement d'Afrique subsaharienne présentent un risque plus élevé, notamment en raison de "complications obstétricales spécifiques : les complications de l'hypertension et les infections. Les causes des décès ont été classées par les experts en différentes catégories : "certainement évitable, peut­être évitable, inévitable ou non établie".

Dans un cas sur deux (58 % des causes obstétricales directes et 26 % des causes indirectes), la mort de la patiente aurait pu être évitée par des mesures thérapeutiques plus appropriées. Sont en particulier jugés comme évitables les décès par hémorragies (à 90 % !) si "des soins avaient été prodigués en temps utile", ainsi que les infections généralisées (83 %).

Pour le Pr Gilles Crépin, Gynécologue­ Obstétricien et membre de l'Académie nationale de Médecine en France, auteur de l'éditorial du Bulletin épidémiologique hebdomadaire consacré à ces travaux, 40 morts maternelles par an en France seraient évitables.

Le chiffre procure le vertige et pourtant c’est une évidence inacceptable. Sauver ces femmes requiert des mesures fortes là où les situations sont les plus pressantes par l’amélioration de la vigilance et les capacités de réaction. On peut facilement imaginer l’impuissance qui peut être celle des équipes médicales en pays pauvres et sous équipés médicalement.

Afin d'améliorer cette situation, les experts recommandent de mieux évaluer tout au long de la grossesse les facteurs de risques personnels et familiaux (antécédents d'embolie par exemple), l'importance des hémorragies, ou encore d'explorer très rapidement le moindre symptôme anormal (exemple : signes de mauvaise tolérance d'une hypertension, d'un diabète, signes d'infection comme la douleur du ventre, maux de tête pouvant évoquer un AVC, etc.

Il est également recommandé de faire appel à tous les professionnels concernés: gynécologues­ Obstétriciens, Anesthésistes, Sages­femmes et biologistes afin de prendre au mieux en charge toute anomalie dans les formations hospitalières où ces personnels qualifiés exercent.

La mort de Monique Alvine quel que soit le sens qu’on veut lui donner, a agi comme révélateur instantané de l’ensemble de nos fragilités existentielles remuant au plus profond de nous des sentiments différenciés. Ce qui ne peut être ôté à ce drame, c’est bien avoir su secouer notre inconscient collectif, avoir montré les conséquences de négligences cumulées dans l’accompagnement et la prise en charge des femmes qui perdent leur vie en voulant donner la vie.