Opinions of Tuesday, 23 December 2025
Auteur: Vincent Sosthène Fouda
Il y a, dans le surgissement de ces deux femmes d’un certain âge à la tête de la contestation, quelque chose qui dépasse infiniment les circonstances immédiates d’une élection. C’est un signe, un souffle, une respiration profonde du Cameroun lui même. Car les peuples, lorsqu’ils se sentent à l’étroit dans les cadres qu’on leur impose, lorsqu’ils cherchent une voix pour dire l’indicible, ne choisissent jamais leurs figures au hasard. Ils vont vers celles et ceux qui portent, dans leur chair et dans leur histoire, la mémoire longue des combats, la patience des épreuves, la dignité des résistances silencieuses.
Ces femmes, par leur âge — cet âge que la bienséance nous invite à ne plus demander — par leur parcours, par leur présence même, rappellent que la politique n’est pas seulement affaire de stratégies, de calculs ou de conquêtes. Elle est d’abord affaire de légitimité humaine, de crédibilité morale, de fidélité à une expérience vécue. Elles incarnent une vérité simple : dans les moments de doute, un peuple se tourne vers celles et ceux qui ont traversé les saisons, qui ont vu les promesses tenues et les promesses trahies, qui savent ce que signifie tenir debout quand tout vacille.
Et cela nous dit aussi quelque chose du Cameroun d’aujourd’hui. Un pays où la jeunesse, pourtant ardente et nombreuse, peine à trouver les espaces d’expression qui lui reviennent. Un pays où les voix les plus audibles sont parfois celles qui, au fil des décennies, ont appris à parler malgré les vents contraires. Un pays où l’autorité politique, en se maintenant dans une verticalité rigide, laisse émerger en miroir des figures qui portent une autre forme d’autorité : celle de l’expérience, de la constance, de la parole qui ne tremble plus.
Car le pouvoir, lui aussi, est interpellé par cette irruption. Lorsqu’un État voit se dresser face à lui des femmes d’âge mûr, ce n’est pas seulement une contestation politique qui se manifeste : c’est un appel à la responsabilité, un rappel à l’ordre du temps long. C’est comme si l’histoire elle même venait frapper à la porte du présent pour dire : « Vous ne pouvez plus gouverner comme hier. Vous ne pouvez plus ignorer ce qui gronde, ce qui aspire, ce qui espère. »
Dans cette confrontation symbolique, il y a quelque chose de profondément africain : la reconnaissance que les anciens, les mères, les gardiennes de la mémoire, sont aussi les gardiennes de la vérité. Et lorsque ce sont elles qui prennent la parole, c’est que le seuil de tolérance a été franchi, que la patience du peuple a atteint ses limites, que le besoin de justice devient plus fort que la peur.
Ainsi, le Cameroun se trouve à un carrefour. D’un côté, un pouvoir qui doit entendre que la contestation n’est pas un tumulte passager, mais l’expression d’un malaise profond. De l’autre, un peuple qui, en choisissant ces femmes comme porte voix, affirme son désir d’un avenir plus juste, plus ouvert, plus fidèle à la promesse républicaine.
Et dans cette rencontre entre l’âge et l’avenir, entre la mémoire et l’espérance, se joue peut être l’essentiel : la possibilité, pour le Cameroun, de renouer avec sa propre grandeur, non pas celle des discours, mais celle des peuples qui se lèvent, dignes et debout, pour réclamer leur part de lumière.
Car si l’on observe la pyramide du pouvoir, on y voit se juxtaposer des générations, des trajectoires, des légitimités différentes. Au sommet, des figures d’expérience ; au centre, des responsables plus jeunes, souvent issus des forces de sécurité ; à la base, des acteurs administratifs dont l’autorité s’exerce au quotidien. Face à cette architecture masculine et hiérarchisée, l’irruption de deux femmes de contestation dessine un contraste saisissant : celui de la parole contre la puissance, de la mémoire contre l’appareil, de la constance contre la verticalité.
Ce contraste n’est pas une opposition, mais un miroir. Il révèle les tensions d’un pays en quête d’équilibre, d’écoute, de renouveau. Il dit la nécessité, pour le Cameroun, de retrouver le chemin d’une politique qui ne soit pas seulement un exercice de force, mais un exercice de sens.