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Opinions of Dimanche, 17 Juin 2018

Auteur: Michel Biem Tong

Crise anglophone: le jour où l'ONU a mis le feu au Cameroun

Le Southern Cameroon avait choisi l’indépendance totale, l’ONU lui a imposé la réunification Le Southern Cameroon avait choisi l’indépendance totale, l’ONU lui a imposé la réunification

Ainsi donc, la volonté des ressortissants du Southern Cameroon (arbitrairement divisé en régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest anglophone du Cameroun) d’obtenir leur indépendance totale conformément à l’article 76(b) de la Charte des Nations Unies a été sacrifiée sur l’autel des intérêts géostratégiques des grandes puissances telles la France et l’Angleterre ? Le combat actuel des Anglophones pour l’indépendance, du point de vue de l’histoire et du droit, est plus que justifiée et l’odeur du pétrole ne saurait être au-dessus ni de la volonté d’un peuple ni du droit.
En mars 1959, John Ngu Foncha est élu Premier Ministre du Southern Cameroon. A l’approche du plébiscite de l’ONU pour l’indépendance de cet autre Cameroun, les partis politiques étaient divisés sur les options de cette indépendance. 3 courants s’affrontaient à cette époque : le premier favorable à l’intégration au Nigéria était partagé par les dirigeants du Kamerun national congress (KNC) et du Kamerun People Party (KPP), le deuxième sur la Réunification avec la République du Cameroun était défendu par le One Kamerun Party (OK), allié de l’UPC, le troisième soutenu par le Kameroun national democratic party de Foncha était pour la sécession du Nigéria.

Au regard de ces positions divergentes au sein de la classe politique du Southern Cameroon, l’ONU a demandé aux différentes parties de s’entendre pour trouver un concensus. D’où la conférence sur le plébiscite qui s’est tenue du 10 au 11 août 1959 à Mamfe. Présidée par Sir Sydney Phillipson, expert de l'ONU, cette conférence a donné lieu à un vote populaire autour de 2 options en vue du plébiscite pour l’indépendance du Southern Cameroon : Le rattachement au Nigéria ou le rattachement à la République du Cameroun.

Mais au cours de la conférence, John Ngu Foncha a pris la parole pour dire qu’il maintient sa position pour la séparation du Southern Cameroon d’avec le Nigéria et l’indépendance totale. Les chefs traditionnels et les membres du Conseil des Chefs étaient eux aussi favorables à la séparation d’avec le Nigéria et à l’indépendance totale. Le Fon de Bafut, au nom du Conseil des Chefs a déclaré : « Le Cameroun c’est du feu alors que le Nigéria, c’est de l’eau, je soutiens la sécession du Nigéria sans possibilité de Réunification ».

A la fin de la conférence, l’ensemble des délégués présents ont voté à 67% pour la séparation du Nigéria en vue d’une indépendance totale contre 33% pour le rattachement au Nigéria ou au Cameroun. A la fin, les délégués de la conférence se sont entendus sur le fait que le plébiscite onusien porte sur deux questions : le rattachement au Nigéria ou la sécession d’avec celui-ci en vue de l’indépendance totale.

Les ressortissants du Southern Cameroon etaient donc favorables à l’indépendance totale. Mais, coup de théâtre ! Le 16 octobre 1959 à la faveur de la résolution 1352, l’ONU a imposé au Southern Cameroon, un plébiscite autour de deux options : l’indépendance en se joignant au Nigéria ou l’indépendance en se joignant au Cameroun. Pourquoi l’ONU n’a-t-elle pas tiré les leçons de la conférence de Mamfé ?

En effet, Herman Cohen, commissaire de l’ONU pour le plébiscite du Southern Cameroon avait engagé un vaste lobbying aux Nations Unies afin de faire admettre la thèse suivant laquelle le Southern Cameroon ne pouvait pas être admis à l’indépendance parce que pas économiquement viable. Ce revirement de l’ONU a provoqué une vague de contestation au sein des populations du Southern Cameroon qui se voyaient imposer des questions de plébiscite qu’elles n’ont pas choisi. Bien plus, l’argument d’un Southern Cameroon pas économiquement viable avancé par l’Angleterre pour refuser l’indépendance totale au Southern Cameroon ne tenait pas la route.

Le Southern Cameroon était économiquement prospère avant la « fake federation » d’octobre 1961. Elle subventionnait l’administration du Northen Cameroon à hauteur de 150 000 pounds (soit plus de 113 millions de F CFA). Bien plus, le rapport financier adressé en septembre 1954 par l’Angleterre au Conseil de tutelle de l’ONU faisait état d’une croissance démographique, du développement humain, de la maturité politique et de la puissance économique du Southern Cameroon. Toujours selon ce rapport, en 1954, le Southern Cameroon exportait des produits tels que le cacao, le café, l’hévéa, la banane, d’une valeur de 4,9 millions de pounds (soit 3, 69 milliards de F CFA) par an.

Le rapport financier de l’Angleterre au Conseil de tutelle fait également état de ce que le budget du Bristish Cameroon (Northern and Southern) en 1954 consacrait 9% à l’éducation. 63 écoles primaires publiques ont été construites jusqu’en 1954 dans le British Cameroon soit une trentaine dans le Southern Cameroon. Sur le plan de la santé, plus de 98% des frais médicaux ont été engagés dans les hôpitaux publics du Southern Cameroon. Ce territoire rapportait à lui seul 375 millions de F CFA par an au Royaume de Grande Bretagne. Le montant est passé à 751 millions de F CFA à la fin de l’exercice fiscal de 1959.

D’où vient-il donc, au regard de ce bilan chiffré, qu’on nous dise que le Southern Cameroon n’était pas économiquement viable pour accéder à une indépendance totale ? Il est clair et net que l’Angleterre a abandonné le Southern Cameroon à la France qui, via la société Elf, y a découvert d’importants gisements pétroliers à la fin des années 1950. Et il était question pour la France que ce territoire soit une région de la République du Cameroun et non un Etat indépendant ou fédéré. Conséquence, le peuple du Southern Cameroon, pourtant destiné à être indépendant, est réduit à l’esclavage sous Ahidjo et Biya. Les moindres revendications indépendantistes se soldent depuis 57 ans par des massacres, des tortures, des arrestations, des kidnappings, des viols, des incendies de maisons, etc. Jusqu’à quand?