Dans le grand livre du développement économique, la Chine a écrit un chapitre singulier que bien des pays africains, notamment le Cameroun, gagneraient à lire et à méditer. Ce chapitre parle d’imitation, de production locale encouragée, d’expérimentation libérée — et d’un État qui a su mettre de côté la rigueur bureaucratique au profit d’une vision industrielle stratégique. À l’opposé, au Cameroun, ce même instinct de création est perçu comme une menace. On étouffe dans l’œuf l’ambition de produire. Et pendant ce temps, on importe tout, jusqu’à notre avenir.
La Chine et la contrefaçon légalisée
Dans les années 1980 et 1990, la Chine s’est volontairement engagée dans un processus que l’Occident a qualifié de piraterie économique. Mais derrière les copies de sacs Louis Vuitton, d’équipements électroniques Samsung ou d'aspirine Bayer, se cachait une stratégie subtile : apprendre en copiant.
L’imitation fut pour la Chine un tremplin vers la maîtrise. Elle a permis à des millions de petits ateliers de se former, de perfectionner leurs outils, de tester le marché, de comprendre les normes. Et lorsqu’un seuil de qualité fut atteint, l'État chinois a progressivement favorisé la création de marques locales fortes, tout en fermant les robinets de la contrefaçon. Ce que beaucoup ne voient pas, c’est que la Chine a protégé la contrefaçon à ses débuts non pas pour voler, mais pour s’éduquer industriellement.
Quand produire devient un crime au Cameroun
Au Cameroun, c’est tout le contraire. Le jeune qui ose créer une pommade, un jus naturel, une chaussure, un détergent ou même une tisane médicinale se retrouve très vite dans le collimateur des autorités. On exige une cascade de certifications, d’autorisations, d’analyses, de documents. Et quand, par miracle, il parvient à vendre un produit, il est aussitôt suspecté : la police débarque, la gendarmerie perquisitionne, les douanes confisquent. Les médias amplifient les arrestations, jetant en pâture à l’opinion des jeunes innovateurs présentés comme des criminels.
Résultat ? Le découragement. L’écrasement de la petite production. Et la fuite vers des activités moins risquées.
Le règne des “bayam sellam”
Aujourd’hui, le Camerounais est devenu commerçant par défaut. Il achète à Douala des produits importés de Chine, du Nigeria, de Turquie ou d’Europe, et les revend au détail. Aucun risque, aucune création, juste une dépendance maquillée en activité économique.
Les “bayam sellam” – commerçants de rue et détaillants de quartier – sont devenus la colonne vertébrale d’une économie de survie. Le savoir-faire local est méprisé. Les produits faits maison sont considérés comme dangereux, inférieurs, voire suspects. On préfère acheter une lotion douteuse d’Inde plutôt qu’un savon bio fabriqué à Mbouda ou à Bafia.
Copier n’est pas tricher, c’est apprendre
Ce qu’il faut comprendre, c’est que copier, au début d’un processus industriel, n’est pas un crime. C’est une étape. Le Japon, la Corée du Sud, puis la Chine sont passés par là. Ce que l’on appelle aujourd’hui « innovation » est souvent une amélioration progressive d’un produit existant.
Les jeunes Camerounais ont besoin de liberté pour essayer, copier, échouer, recommencer, améliorer. Un État intelligent accompagne ce processus. Il ferme les yeux sur certaines imprécisions, tout en préparant l’encadrement futur. Il encourage les foires artisanales, subventionne les formations, crée des incubateurs, offre des exonérations fiscales, facilite l’enregistrement administratif.
Trop de bureaucratie tue l’innovation
Mais au Cameroun, les ministères sont des barrières, pas des tremplins. Ils empêchent plus qu’ils n’encouragent. L’ANOR, le MINMIDT, le MINCOMMERCE, les impôts, les services vétérinaires, les contrôleurs hygiénistes… tous demandent leur part, leur signature, leur tampon. C’est un véritable parcours du combattant pour un jeune qui veut simplement fabriquer du savon ou un jus de fruits.
Et pourtant, c’est dans ces initiatives que dort notre avenir. L’industrialisation ne tombera pas du ciel. Elle naîtra de la sueur de nos artisans, de nos techniciens, de nos jeunes rêveurs.
Pour un Cameroun qui fabrique
Le Cameroun doit changer de logiciel. Il est temps d’encourager, de protéger, de subventionner la fabrication locale. Il est temps de voir dans la copie un premier pas vers la création. Il est temps de cesser d’humilier nos jeunes fabricants à la télévision. Il est temps que les autorités deviennent des partenaires, non des prédateurs.
La Chine nous a montré le chemin : encourager l’imitation pour atteindre l’excellence. À nous de marcher dans cette direction.
Chaque fois que le Cameroun détruit l’atelier d’un jeune fabricant, il détruit une usine de demain. Chaque fois qu’on exige dix papiers à un jeune artisan, on tue une marque locale en gestation. Le vrai patriotisme économique commence par la tolérance productive, pas par la répression.
L’exemple chinois n’est pas une honte à copier, c’est une sagesse à copier.