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Opinions of Monday, 9 October 2023

Auteur: Enoh Meyomesse

Cameroun : voici comment le mot 'maquisard' a été détourné

Les premiers menaient un combat politique Les premiers menaient un combat politique

Le terme « maquisard » est rapidement devenu péjoratif au Cameroun, à cause de la violence, sur des personnes civiles et des biens, qui lui était accolée. Il était également associé à un autre : «terroriste». Quiconque a vécu dans les années 60 au Cameroun, l’a aussi entendu à satiété. Les deux étaient prononcés ensemble. Ce sont les Français qui ont véritablement popularisé le second. C’était une manière pour eux de discréditer le combat pour l’indépendance, voulue « véritable » − combat politique – que menaient les authentiques « maquisards », en le réduisant au banditisme auquel se livraient dans la région de l’Ouest, le Mungo, le Wouri, en ces années-là, effectivement des bandits en grand nombre.

Aussi, il importe d’opérer un véritable distinguo entre les « maquisards », militants politiques, et ces bandits à qui on attribuait ou qui s’attribuaient eux-mêmes ce terme.

Les premiers menaient un combat politique. Tandis que les seconds, étaient des brigands, tout simplement, qui profitaient de la pagaille régnant à l’époque, pour perpétrer leurs forfaits. Ces bandits ont eux-mêmes récupéré le terme « maquisard », et se sont mis à poser des actes criminels sous le couvert de lutte pour la « vraie » indépendance, comme ils l’entendaient clamer l’UPC. Ils tuaient, brûlaient, égorgeaient, volaient sous le prétexte de s’en prendre aux « traitres ». Ils s’organisaient en gangs qui écumaient les campagnes et les villes au nom de la lutte contre ces « traitres ».

Dans le même temps, parmi les authentiques maquisards, c’est-à-dire ceux qui menaient un réel combat politique, se retrouvaient des « ultra-patriotes », à savoir, des individus plus upécistes que Um Nyobè lui-même. Ceux-là ne volaient pas, mais sont devenus tout bonnement des criminels au nom de la lutte pour la « vraie » indépendance également. Ils tuaient des fonctionnaires, des hommes politiques, des religieux, sans retenue aucune. Ils rançonnaient les voyageurs sur les axes routiers au nom de la « lutte ». Le député Wanko Samuel a été assassiné par ce genre d’extrémistes, d’«ultra-patriotes » au mois de décembre 1957. Le député Djuatio Etienne a aussi échappé de justesse à leur tentative d’assassinat. Mais, l’une de ses épouses a été tuée et deux de ses proches. De même, le chef Kemajou Daniel de Bazou a échappé à son tour à leur tentative d’assassinat. C’est la bande à « Château dynamique » qui l’avait raté. Elle a néanmoins incendié les bâtiments de sa chefferie. Une de ses épouses a également été tuée. Ce sont ces mêmes ultra-patriotes qui ont attaqué la ville de Bafang et sa mission catholique, ont tué des prêtres, blessé des sœurs et des malades. Ils opéraient en bandes de parfois cent personnes armées de machettes, de fusils de traite, de gourdin, et mettaient le feu aux maisons. Ils ont ainsi incendié plusieurs chefferies à l’ouest. Lors de l’attaque de Foréké à Dschang le vendredi 19 février 1960, ils sont venus à plus de six cents. Bilan : 83 morts et 72 blessés graves, plusieurs maisons incendiées .

Ce mélange de brigands et de super-patriotes a créé un immense trouble dans l’opinion et a considérablement décrédibilisé le maquis dans son ensemble. C’était devenu, aux yeux de la population, du banditisme et de la criminalité, tout simplement.

L’UPC s’était retrouvée débordée exactement comme on le voit de nos jours au Nord-ouest et au Sud-ouest du Cameroun. Ouandié, une fois au Cameroun, s’est trouvé obligé de se désolidariser de ces criminels, à travers une circulaire de mise en garde, car ils dénaturaient son combat.

« Toute organisation militaire ou paramilitaire qui continuera à se couvrir du manteau de l’UPC et de son armée pour commettre des actes et exactions (…) après la publication de cette décision, sera considérée comme servant la contre-révolution. Ses dirigeants seront dénoncés à la population à toutes fins utiles … »
Ces « bandits-patriotes » ont énormément sévi dans le Mungo également, au point où ils y ont laissé de très mauvais souvenirs.
La complexité du maquis à l’ouest provenait du fait qu’il n’était pas né sur des fondements politiques liés à l’indépendance. Il était plutôt la conséquence de la destitution du chef Baham Kamdem Ninyim Pierre en 1956. La société bamiléké s’est divisée en deux, les pros et les antis Kamdem Nyinim. Les règlements de comptes entre chefferies sont nés, à partir de cette division et selon elle. Sur cet affrontement fratricide est venue se greffer la revendication de l’indépendance, la tentative de récupération de la violence en cours pour la diriger contre les colons.

Le maquis à l’ouest, en conséquence, a traîné cette naissance particulière tout au long de son existence. Il n’a pas été possible de le débarrasser des règlements de comptes, des milices privées, des groupes armés non véritablement affiliés à un parti, des gangs entretenus par des chefferies. La situation y était de ce fait très confuse et l’est demeurée jusqu’à la fin (1).
Un « maquisard », malgré tout, dans l’authenticité du terme, était une personne qui s’était emparée des armes à des fins politiques, comme l’avaient fait, à partir de 1942, les Français en lutte contre l’occupation allemande de leur pays. Ce sont eux qui avaient créé ce terme. Ils l’attribuaient à ceux d’entre eux qui avaient gagné la clandestinité pour opérer des attentats et des sabotages contre les Allemands.

Les Camerounais, au courant de l’histoire de France, ont récupéré le terme, mais cette fois-ci en l’appliquant aux Français à leur tour.
Enoh Meyomesse