Opinions of Thursday, 27 November 2025
Auteur: Vincent Sosthène FOUDA
Il est des moments où l’histoire semble suspendue, où les peuples, dans leur chair et leur mémoire, attendent un signe, une parole, un geste qui viendrait rompre le silence et redonner souffle à la nation. Le Cameroun traverse aujourd’hui l’un de ces instants critiques, où l’immobilisme du pouvoir devient une forme de vacance, et où les morts, dans leur silence obstiné, finissent par parler plus fort que les vivants.
Le procès en cours sur l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, loin de se limiter à l’horreur d’un crime, agit comme un révélateur. Il rouvre, comme par effraction, le dossier de l’assassinat de Monseigneur Jean-Marie Benoît Bala, dont le corps avait été retrouvé en 2017 dans les eaux du fleuve Sanaga, et dont la mort fut hâtivement classée comme un suicide par noyade.
À l’époque déjà, les conclusions officielles, appuyées par une autopsie prétendument allemande, avaient suscité l’incrédulité. Dans un sursaut de conscience, j'étais allé jusqu’au siège d’Interpol à Lyon pour vérifier ce que l’État refusait de dire. Aujourd’hui, le tribunal militaire de Yaoundé, dans un étrange retournement, laisse entrevoir que ces deux affaires pourraient n’en faire qu’une — deux visages d’un même système de dissimulation.
Et pourtant, face à cette résurgence de la vérité, un silence assourdissant persiste. La Conférence des Évêques du Cameroun, pourtant directement concernée, ne se constitue pas partie civile. Ce silence, cette absence, cette abstention, disent quelque chose de plus profond : la peur, peut-être ; la lassitude, sans doute ; mais surtout, l’effritement d’un pacte moral entre les institutions et le peuple.
Car le Cameroun est bel et bien bloqué. Depuis la réélection de Paul Biya pour un huitième mandat, le pays semble figé dans une attente sans fin. Aucun gouvernement n’a été formé. Les nominations, quand elles surviennent, sont interprétées comme des signes sibyllins, des fragments d’un discours de politique générale que nul n’a entendu, mais que certains prétendent lire entre les lignes d’une prestation de serment. Ainsi, la nomination d’un procureur général à la Cour suprême devient, dans les colonnes de la presse, le prélude d’un renouveau. Mais de quel renouveau parle-t-on, lorsque les institutions se taisent, lorsque les morts réclament justice, et que les vivants n’osent plus parler ?
Le blocage du Cameroun n’est pas seulement politique. Il est moral. Il est institutionnel. Il est spirituel. Il est le fruit d’un système qui, à force de se refermer sur lui-même, a cessé de répondre aux aspirations profondes de son peuple. Il est le symptôme d’un pouvoir qui confond la durée avec la légitimité, le silence avec la paix, l’immobilité avec la stabilité.
Et pourtant, rien n’est inéluctable. L’histoire, même lorsqu’elle semble figée, porte en elle les germes du sursaut. Ce sursaut viendra peut-être de la société civile, des voix libres, des consciences éveillées. Il viendra de ceux qui, comme Martinez Zogo, ont payé de leur vie le prix de la vérité. Il viendra de ceux qui refusent de se taire, de ceux qui, dans l’ombre, continuent de croire que la justice n’est pas un luxe, mais une exigence.
Le Cameroun n’est pas condamné à l’immobilisme. Mais il lui faut retrouver le souffle d’un projet commun, la force d’un récit national, la clarté d’un cap. Il lui faut, surtout, réapprendre à écouter ses morts — non pour s’y enfermer, mais pour mieux servir les vivants.