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Opinions of Friday, 19 November 2021

Auteur: Human Rights Watch

Cameroun : Recours à la force létale contre des manifestants

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L’organisation internationale de défense des droits de l’Homme, s’intéresse une fois de plus à la crise qui secoue la partie anglophone du Cameroun, où on assiste à une escalade inquiétante de la violence ces derniers temps. Après un travail de documentation et qu’enquête poussée, l’ONG vient de sortir un communiqué pour mettre en lumière les exactions commises dans ce conflit notamment par les militaires qui utilisent les armes contre les populations civiles.



Cameroun : Recours à la force létale contre des manifestants


Les autorités devraient garantir la justice suite au meurtre par la police d’une écolière, qui a déclenché des manifestations.

(Nairobi) – Les forces armées camerounaises ont eu recours à une force excessive et meurtrière contre des manifestants à Bamenda, dans la région du Nord-Ouest, le 12 novembre, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Les manifestants défilaient pour demander justice après le meurtre de Brandy Tataw, une écolière âgée de huit ans, par un policier.

Des soldats, tirant à balles réelles depuis des véhicules blindés, ont blessé au moins sept hommes. Les autorités camerounaises devraient veiller à ce que les responsables du meurtre de Brandy Tataw et de l’usage excessif de la force contre les manifestants soient tenus de répondre de leurs actes.

« L’utilisation par l’armée de balles réelles contre des manifestants qui protestaient contre la mort d’une enfant fait surgir le spectre troublant de forces de sécurité qui ont la gâchette facile », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités ont l’obligation de mener rapidement une enquête efficace sur l’usage de la force par les soldats lors des manifestations, et d’envoyer un message ferme à leurs forces de sécurité selon lequel les abus ne resteront pas impunis. »

Selon Martin Mbarga Nguele, Délégué général à la Sûreté nationale et chef de la police camerounaise, Tataw a été touchée, alors qu’elle marchait dans la rue, par une balle tirée par un policier sur une voiture qui ne s’était pas arrêtée à un poste de contrôle de la police et qui a ricoché. Dans un communiqué de presse rendu public le 12 novembre, Nguele a annoncé qu’une enquête sur le meurtre de la jeune fille avait été ouverte et que le policier soupçonné d’avoir tiré le coup de feu avait été arrêté. Les forces armées n’ont pas encore reconnu publiquement l’utilisation de balles réelles pour disperser les manifestants ou les blessures causées aux manifestants.

Entre le 12 et le 16 novembre, Human Rights Watch s’est entretenu par téléphone avec 15 personnes, dont trois manifestants, un homme blessé par des tirs effectués par des soldats, un membre de la famille de Brandy Tataw, deux membres du personnel médical qui ont soigné six manifestants blessés et huit autres habitants de Bamenda, dont trois ont vu le corps de la jeune fille.

Le meurtre de cette enfant, alors qu’elle rentrait de l’école, a déclenché des manifestations le 12 novembre à Bamenda, une ville située dans la région anglophone du Cameroun où sévit une violente crise entre les groupes séparatistes armés et le gouvernement. Des centaines de résidents en colère sont descendus dans les rues, portant le corps de Brandy Tataw à bout de bras et réclamant justice. Selon deux sources médicales consultées par Human Rights Watch, des manifestants en colère se sont emparés du corps au centre de santé prénatale maternelle et infantile (PMI) du quartier de Nkwen de Bamenda avant de le transporter jusqu’à l’entrée du bureau du gouverneur de Bamenda.

Les manifestations se sont poursuivies dans l’après-midi dans le quartier Mile 2 de Bamenda. Des témoins ont déclaré que les soldats sont entrés dans au moins deux véhicules blindés et ont dispersé les manifestants à l’aide de balles réelles. « Ils sont venus avec l’intention de faire du mal » a témoigné un activiste des droits humains qui faisait partie des manifestants. « Ils ont tiré sans discernement sur la foule, blessant plusieurs d’entre nous ».

Les médias ont fait état d’une déclaration de police affirmant que des combattants séparatistes s’étaient infiltrés parmi les civils qui manifestaient. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier ces informations.

Nous avons pu en revanche examiner et authentifier deux vidéos montrant des images de soldats tirant de brèves rafales à l’aide d’une mitrailleuse montée sur le toit d’un véhicule blindé alors que la foule se dispersait. Human Rights Watch a également analysé quatre photographies montrant des douilles récupérées par un manifestant à la suite de la fusillade. L’analyse suggère qu’elles ont été tirées à l’aide de trois armes à feu de calibre différent, dont une mitrailleuse de type soviétique/oriental et des fusils de type Kalachnikov AK-47 et AK-74.
Une infirmière de PMI a déclaré avoir soigné six hommes blessés par balle. « Les blessés ont commencé à arriver vers 15 h 30 avec diverses blessures par balle, certaines aux bras, d’autres aux jambes, d’autres au dos. Ils présentaient aussi des bleus et des lacérations. Nous en avons traité cinq et en avons évacué un, le cas le plus grave, avec une balle dans le cou, vers l’hôpital régional. »

Un manifestant blessé âgé de 28 ans a déclaré à Human Rights Watch qu’il ne s’était pas rendu à l’hôpital de peur que l’armée ne l’y arrête. « Les soldats ont commencé à tirer et une balle m’a touché au pied droit », a-t-il déclaré. « J’avais trop peur d’aller à l’hôpital, alors un médecin traditionnel de mon quartier m’a soigné. Je me cache maintenant, si les forces de sécurité me trouvent, ils m’arrêteront. D’autres hommes blessés se cachent également. »

Human Rights Watch a déjà documenté l’arrivée de force des forces de sécurité camerounaises dans des installations médicales des régions anglophones pour y rechercher des combattants séparatistes présumés qui auraient été blessés.

Le meurtre de Brandy Tataw marque la deuxième fois en moins d’un mois que le recours à la force meurtrière par les forces de sécurité a entraîné la mort d’un enfant. Le 14 octobre, un gendarme a tué Caro Louise Ndialle, âgée de quatre ans, qui se trouvait dans un véhicule sur le chemin de l’école, dans le quartier Molyko de Buea, situé dans la région du Sud-Ouest. Une foule en colère a réagi au meurtre en lynchant le gendarme.

Dans un communiqué rendu public le même jour, le colonel Cyrille Serge Atonfack Guemo, porte-parole de l’armée, a déclaré que le conducteur du véhicule dans lequel se trouvait Caro Louise Ndialle avait refusé l’ordre des gendarmes de s’arrêter à un poste de contrôle. « Réagissant de manière inappropriée […], l’un des gendarmes a tiré des coups de semonce pour stopper le véhicule », précise le communiqué, ajoutant que « dans la foulée », la fillette « a reçu une balle mortelle dans la tête ». Guemo a également déclaré qu’une enquête avait été ouverte « pour faire la lumière et établir les responsabilités » dans cet incident.

Les habitants de Bamenda et de Buea ont confié à plusieurs reprises à Human Rights Watch leur peur constante des points de contrôle dressés par les forces de sécurité, affirmant que gendarmes, policiers et soldats harcelaient conducteurs et passagers pour obtenir d’eux des pots-de-vin, et recouraient souvent à la force lors d’opérations routières de routine.

Dans un message conjoint rendu public le 15 novembre sur Twitter, les ambassadeurs américain, canadien, britannique et suisse au Cameroun ont condamné les attaques commises contre les civils dans les régions anglophones, en particulier les enfants et les étudiants.

« Les autorités camerounaises devraient enquêter de manière approfondie sur le meurtre de l’écolière de Bamenda, ainsi que sur les problèmes structurels qui ont permis à ce type d’incident de se produire par le passé, en particulier à un moment où l’éducation est attaquée dans les régions anglophones », a conclu Ilaria Allegrozzi. « L’incident du mois passé met aussi en évidence les risques extrêmes auxquels les écoliers sont confrontés, non seulement ceux posés par les séparatistes, mais aussi par des forces de sécurité indisciplinées et abusives, ainsi que la nécessité d’un encadrement et d’une responsabilité plus fortes et efficaces parmi elles. »