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Opinions of Monday, 14 November 2022

Auteur: A. Mounde Njimbam

Cameroun : 'Pourquoi nous ne gagnerons pas la coupe du monde 2022'

Le Cameroun n'est pas prêt Le Cameroun n'est pas prêt

Il y’a des Africains, géniaux de leurs réflexions, travaux et thèses, articulant pensée et action, comme la langue coopère avec les dents, qui m’ont appris la lucidité : ce qu’un bel esprit a appelé la faculté d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; le fuel des pessimistes actifs. Ces fils du continent, matrice de l’Humanité, Cheikh Anta Diop, Eugène Njo Léa, Emmanuel Bityéki, Paulin Hountondji, Anton Willem Amo et bien d’autres, m’ont instruit sur une chose fondamentale : asseoir ses incantations, rêves, aspirations et le souffle incandescent de son émotion sur le roc de la Raison. Cette fondation qui sert, par exemple, de socle à tout projet de refondation, renaissance et changement de paradigme autour de l’Afrique.

Dans l’effervescence de la préparation de Coupe du Monde au Qatar - cette compétition dont le risque est toujours de polariser à l’extrême les opinions publiques et de détourner en opium puissant l’attention sur des préoccupations fondamentales – des Africains, figures de légende, supporters transis et aficionados exaltés, prédisent à l’équipe des Lions Indomptables du Cameroun, le meilleur : retourner au pays de Mbappé Leppé, de ces joueurs qui ont marqué le 20e siècle du football africain, avec le trophée en or, au lendemain de la finale du 18 décembre prochain. Ils y voient une manière de rompre avec une dévalorisation de soi, un mental de looser et une culture du service minimum. Bref, ils postulent à un changement de paradigme.

Très précisément, sur quoi s’appuient cette liturgie du conquérant, forcément stimulante, et son missel : le bréviaire de déclarations dans les médias ou les réseaux sociaux ? A la suite de la brillante élection de Samuel Eto’o à la tête de la Fecafoot, en décembre 2021, un projet nouveau a été proposé dont le maitre mot était de « redonner au football camerounais sa grandeur ». Une épopée balafrée par près de 20 ans de disette en trophées, brièvement interrompue par la divine surprise de la CAN 2017 ; une fournée de batailles judiciaires ; ponctuées de comités de normalisation ; l’instabilité des championnats, celui de l’élite – jadis incubateur de champions d’Afrique des clubs – ou celui des autres catégories : féminin, junior, régionaux.

Des initiatives et réformes sont venues traduire cette vision : La remise en selle du championnat d’élite, certes dans une formule ramassée ; la mise en place d’un cadre de soutien financier aux clubs afin de garantir les salaires des joueurs ; la fixation de barèmes et le décaissement régulier des primes aux équipes nationales, relance de la cérémonie du ballon d’or, etc. Un train d’actions opportunes porté par un symbole : briser le signe de l’immobilisme ; redonner de l’allant et du dynamisme.

Si ces prérequis pour une reconquête sont sur la bonne voie, il leur manque, pour un temps encore, la résine d’un cadre structurel, plus de cohérence et une remobilisation plus affirmée des acteurs de l’écosystème du football. Pourquoi ? L’histoire des épopées du football camerounais nous renseigne sur des ingrédients de performances de haute volée, de niveau africain et mondial des Lions Indomptables et des équipes camerounaises : d’une part, un championnat compétitif s’appuyant à la fois sur la régularité et la stabilité des effectifs et des clubs ténors soutenant la comparaison sur le plan continental : la conséquence en a été, dans les années 70 et 80, une domination des clubs camerounais ( Canon de Yaoundé, Tonnerre de Yaoundé, Union de Douala ) en compétitions africaines des clubs. D’autre part, le boom des écoles de formation initié par les Brasseries du Cameroun au début des années 90 : c’est l’incubateur de talents et de footballeurs d’exception de la génération qui a remporté les CAN 2000 et 2002 ; la médaille d’or aux Jeux Olympiques de Sydney 2000 ; la 2e place à la Coupe des Confédérations en 2003. Enfin, l’alchimie du dosage entre cracks du championnat local et ceux évoluant à l’étranger : la participation sans défaites au Mundial Espagnol en 1982 ; les victoires et performances à la Can en 1984, 1986, 1988 en ont été le reflet.

Grisé par la compétitivité du championnat camerounais et inspiré par les performances des Lions Indomptables, dont celle de 1984, où il avait été conseiller auprès du sélectionneur, Eugène Njo Léa, avait en effet, proposé un projet de professionnalisation du football aux chefs d’Etat africains, avec un objectif : permettre qu’une équipe nationale africaine remporte une Coupe du Monde en 2030. Cet homme d’exception et visionnaire, venu du Cameroun – buteur et champion de France avec Saint-Etienne en 57, docteur en droit et diplomate- qui avait révolutionné le football français et européen, en fondant l’Union Nationale des Footballeurs Professionnels (UNFP), souhaitait après avoir permis que les footballeurs en France et en Europe puissent, enfin signer des contrats, bénéficier d’un système de prévoyance du pécule de fin de carrière et bien d’autres réformes, voulait asseoir sa vision sur un socle solide. Il initia, dans cette perspective, un projet de championnat professionnel au Cameroun, en organisant, en 1987, à Yaoundé et Douala, un tournoi entre équipes françaises et camerounaises et un colloque.

Depuis, l’initiative de Njo Léa , décédé en octobre 2006, ayant été rangée aux oubliettes, on a vogué de rafistolages en conflits, sans parvenir, entre la Ligue Nationale (Linafoot) des années 90 aux dernières versions de Ligue et comités d’urgence, à un cadre moderne, performant et efficace. Aussi, le levain des Lions Indomptables ayant basculé à l’extérieur, l’essentiel de l’ossature de l’équipe nationale est constituée de footballeurs aux parcours fluctuants dans divers championnats à travers le monde.

Dans ces conditions, le souffle du changement à la Fecafoot et l’aspiration légitime à gagner une Coupe du Monde, armés du Hemlé, ce fighting spirit qui a porté la génération de 90, ne peuvent suffire à transformer en réalité le vœu du roi Pelé en 2002 ou le rêve exprimé par Samuel Eto’o et bien d’autres Africains du Cameroun. Il faut encore à notre pays l’un de ces socles d’une incantation forte et porteuse : la cohérence ! Celle qui fait, par exemple, que l’on n’hésite pas une seule seconde, pour le symbole, à baptiser un stade du nom de Roger Milla, et pour le cadre structurel ; à établir très clairement les rôles de la Fédération et de Ligue de Football Professionnel dans la gestion et le développement des championnats, élaborer une charte du footballeur et ses droits ; fixer dans le marbre un programme d’infrastructures et de structures de formation ; donner véritablement carte blanche au sélectionneur pour le choix des joueurs. Et surtout, rendre plus attractive, encore, pour des enfants d’origine camerounaise, à très haut potentiel, la sélection au sein des Lions Indomptables.

S’il faut souhaiter aux Lions Indomptables le meilleur en cette très prochaine Coupe du Monde, il faut, comme ces preux Africains, chantres de la lucidité, du vœu assis sur le socle de la Raison, rester exigeant sur la méthode, les structures, les conditions de possibilité pour que le Cameroun et une équipe africaine, disposant de talents et géniaux footballeurs, remportent une Coupe du Monde. Njo Léa en avait indiqué le chemin…