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Opinions of Mercredi, 15 Juillet 2015

Auteur: Cabral Libi

Cabral Libi: l’émergence en 2035 - un gros mensonge d’etat ?

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Pendant que nos amis français fêtent parlons de nos choses. L’émergence c’est même quoi au juste ? Une vieille personne exaspérée par ce slogan me posait récemment cette question. Le moins qu’on puisse dire est que la notion

d’émergence est remarquablement mouvante au Cameroun, tant dans les discours politiciens que dans celui plus spécialisé, des économistes.

De façon simple, un pays émergent, est un pays à revenu intermédiaire, ouvert économiquement au reste du monde, ayant subi des transformations de grande ampleur sur les plans structurel, mental, et institutionnel, et présentant un fort potentiel de croissance.

Les économies émergentes sont le fruit de la crise des années 1980, qui conduira au consensus de Washington (formule utilisée pour désigner les principes qui ont servi aux organisations internationales -FMI, Banque Mondiale- ainsi qu'au Gouvernement américain pour gérer la crise de la dette intérieure et extérieure des pays en voie de développement durant ces années 1980). Ce consensus prônait l’ouverture commerciale, les privatisations, la déréglementation des marchés, la libéralisation du système bancaire, la flexibilité du marché du travail. L’objectif était de construire un nouveau régime de croissance, reposant sur l’initiative privée, la concurrence et une insertion étroite dans la division internationale du travail.

Une fois rassemblées, ces données devant permettre un transfert et une valorisation beaucoup plus importants du progrès technique, et donc des trajectoires de rattrapage rapide, en termes de productivité et de niveaux de vie moyens. Telle est globalement l’expérience observée depuis, dans des pays tels que la Chine, l’Inde, le Brésil, etc.

Après avoir ainsi fait une revue succincte du concept d’émergence économique, intéressons nous aux propos de nos politiques, surtout ceux qui sont aux affaires depuis plus d’une trentaine d’années. Pour cela nous allons essayer de répondre à quelques questions :

- Est-ce une bonne chose d’envisager l’émergence pour notre pays ?

- La réponse est oui !!! Car l’atteinte de ce statut signifie une amélioration plus que significative du niveau de vie des populations (meilleures conditions de santé, d’éducation, de transport, etc.).

- Nos dirigeants étaient-ils sérieux lorsqu’ils l’envisageaient ?

- la réponse est hélas non !!! L’horizon 2035 a été choisi à dessein pour enfumer les populations, puisqu’ils sont sûrs qu’à cette date ils ne seront plus là pour qu’on leur demande des comptes. Si non, comment comprendre que le Cameroun qui est leader économique de la CEMAC ait un horizon d’émergence aussi peu ambitieux (2035) alors que la Guinée Equatoriale envisage d’être émergent en 2020, le Gabon en 2025, le Tchad en 2025, le Congo en 2025 et que toute la zone Cemac à partir du PER (programme d’émergence régionale) envisage de l’être en 2025.

Même un pays en proie à la guerre depuis des années comme la RD Congo parle de 2030. Aujourd’hui avec le phénomène Boko Haram et la crise Centrafricaine, le prétexte lors de la future campagne présidentielle est tout trouvé, puisqu’on le sait d’avance, tout ce que dira qui vous savez sera de l’enfumage pour vendre ce bébé mort né : l’émergence du Cameroun à l’horizon 2035.

Mais pour analyser les choses plus en profondeur, étayons le manque de sérieux de nos dirigeants. Et pour ce faire, on peut simplement se demander : font-ils ce qu’il faut pour atteindre l’émergence ? La réponse est triviale et toute simple : NON !!! Tout ce qui est entrepris aujourd’hui (parce que très insuffisant) va maintenir pour très longtemps le Cameroun parmi les pays pauvres.

Pour comprendre cela, il faut aller au de là des chiffres de croissance (5,5% en 2013 et 5,7 en 2014) pour moins de 600 000 emplois fictifs crées en 02 ans selon les discours du PR :

- Notre croissance n’est pas inclusive, car elle ne se fait pas ressentir dans le panier de la ménagère. Au contraire le pouvoir d’achat des ménages n’a pas cessé de se détériorer (augmentation des prix des biens et services consécutive à l’augmentation du prix du carburant et à la nécessité d’un effort de guerre fiscal, augmentation du coût de l’éducation –pension et fournitures scolaires-, augmentation du prix du logement).

- Notre croissance n’est pas faite à partir des infrastructures durables. Observons les routes qui sont construites ça et là, elles commencent à se détériorer à partir de la 1ère année de livraison ; de même pour les bâtiments publics (d’ailleurs au niveau des universités on observe que les amphis récemment construits sont plus vétustes que les amphis construits du temps de Ahidjo). Ainsi au lieu d’augmenter la quantité des nos infrastructures au fil des années, on se retrouvera entrain de les refaire à chaque fois.

- La stratégie gouvernementale de production repose essentiellement sur le capital, au détriment du facteur travail et pire encore au détriment de la recherche-développement (qui est l’élément à incorporer dans le capital et le travail pour une production optimale). Notre recherche manque de moyens et les pauvres moyens qui y sont alloués sont mal gérés ; notre recherche est banalisée, et ses résultats ne sont pas pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques.

Par exemple en faisant un tour dans un centre d’étude et de recherche en économie et gestion d’une grande université publique de Yaoundé, l’on constate à un point c’est même risible, que la bibliothèque n’a aucun ouvrage récent (comme la plupart des bibliothèques de nos universités), les conférences y sont organisées de façon irrégulière à cause des considérations tribales et claniques entre les chercheurs (c’est d’ailleurs ce qui ronge toute l’administration publique camerounaise).

De plus, la plupart des chercheurs en économie qui pourtant touchent leurs primes de recherche ne collaborent et ne présentent jamais leurs travaux dans ce Centre de grande réputation. On parle alors de quelle émergence même ? Continuons…- L’absence de dynamisme du Chef de l’Etat et de son gouvernement est un énorme problème car l’émergence ne peut s’acquérir qu’avec une administration dynamique à la tête d’une économie dynamique. Même la Guinée Equatoriale avec ses travers à côté de nous l’a compris.

- La mauvaise planification et programmation de la démarche vers l’émergence. En fait, le DSCE, programme et planifie sur 10 ans (de 2010 à 2020), alors qu’en est-il des 15 années restantes (2020 à 2035). Ceci est d’ailleurs la principale preuve de l’enfumage du 1er vendeur du concept «Cameroun émergent à l’horizon 2035 »

- Notre démarche depuis 2010 ne parvient même pas à être en accord avec le DSCE. Et on va de cacophonie en cacophonie, en adoptant un plan d’urgence fumeux et mal monté financièrement, ce qui crée des réticences auprès des banques censées le financer.

- Des contrats et conventions de pillage signés avec les partenaires français, chinois, etc. car aucune ne nous a permis d’avoir depuis une simple usine de montage, ou même une industrie.

- Des choix de stratégie économique inappropriés (on veut faire des choses compliquées sans avoir réussi les choses simples). Alors qu’il est su de tous que le Cameroun possède un avantage comparatif en agriculture et donc qu’il devrait s’en servir comme moteur pour son émergence, on constate que les dirigeants préfèrent engloutir des milliards dans des choses qui ne nous profitent pas du tout comme Camair co. Par exemple 40% de la production agricole est perdue (se gâte) à cause du manque des moyens de conservation ou d’accessibilité aux marchés. En d’autres termes nous consommons et vivons avec 60% de notre production agricole, sans compter qu’une bonne partie de ces 60% est exportée. Si on cesse de perdre 40% de notre production on aurait des marché abondamment approvisionnés, ce qui réduirait les prix, améliorerait le pouvoir d’achat des ménages, tout en permettant aux camerounais de bien se nourrir.

- Les besoins nouveaux en énergie électrique se situent autour de 1000 méga watt, alors que les projets encours de réalisation ne vont apporter qu’au plus 600 MW. Lorsqu’on veut être émergent, il faut avoir une production énergétique qui va au-delà des besoins actuels, ce qui va permettre aux industries de se développer sans qu’il n’y ait des problèmes de délestage qui plombent l’économie de plusieurs milliards par jours.

A la réalité, si on se met à égrainer le chapelet des lacunes économiques de notre pays, on y passerait au moins toute une journée entière, il vaut mieux s’arrêter ici, et observer l’émergence chez les autres...