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Opinions of Saturday, 12 September 2015

Auteur: Mouna Mbonu

André Marie Mbida, le premier ministre Rebelle

Ainsi présenté, André Marie Mbida n’apparait pas dans toute sa dimension. Il faut relever qu’il avait travaillé pour le Trésor Camerounais, avait été agent d’affaires avec à l’époque, des revenus mensuels qui se situaient entre 500 000 et 1 000 000 de FCFA.

C’est dire que l’homme disposait d’un pouvoir d’achat le mettant à l’abri du besoin. Mais pourquoi avoir embrassé la politique ? C’est la question que beaucoup d‘observateurs se posent encore aujourd’hui. Etait-ce par conviction ou dans le but de s’enrichir ?

Traiter André Marie Mbida d’opportuniste serait une erreur monumentale. Il aura été le contraire de ce que d’aucuns pensent. Il était tout dévoué à la cause des travailleurs et des paysans du Cameroun. C’est en ce sens qu’il créé le mouvement traditionnel de promotion culturelle dénommé Anacsama.

Et c’est à cause de son militantisme qu’il claque la porte du Bloc Démocratique Camerounais (BDC) alors qu’il venait d’être élu député à l’Assemblée Territoriale du Cameroun (ATCAM) pour fonder le Comité de Coordination du Cameroun (COCOCAM).

Sa rupture d’avec le BDC de Louis-Paul Aujoulat aurait pour origine des soupçons de trahison de ce dernier à l’endroit d’André Marie Mbida qui ne l’aurait pas supporté.

Mais Abel Eyinga, de regrettée mémoire, lui pensait que l’origine de la rupture entre Aujoulat et Mbida était le fait que Mbida avait réussi à se faire élire à l’Assemblée nationale Française et qu’Aujoulat avait été battu par lui. Une possible affaire de jalousie.

Il avait écrit dans son ouvrage « Élu malgré tout Mbida tire les conséquences de l'attitude du laïc missionnaire en rompant définitivement avec lui, avec l'organisation des "aujoulatistes" aussi: le BDC ».

Et à la suite de la répression sanglante de la réunion de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) convoquée par Félix Rland Moumié, l’administrateur colonial Roland Pré avait ordonné l’arrestation massive des militants de ce parti dont il avait auparavant décidé de la dissolution.

C’est alors qu’André Marie Mbida se fait remarquer au cours d’une campagne pour l’amnistie des prisonniers politiques en s’appuyant sur un bulletin ronéotypé dénommé NKU (Le Tam-Tam).

Lors des élections législatives du 02 Janvier 1956, dans la troisième circonscription, il se présente comme le défenseur des petits et propose entre autres actions, le relèvement du prix des produits d’exportation essentiels, cacao et café, et la suppression des intermédiaires qui défavorisent les petits planteurs.

Il défend également les fonctionnaires et les chefs autochtones ou coutumiers qu’il propose de rémunérer et demande une évolution des institutions. Il propose une épuration des cadres dans l’Union française et revendique « un acheminement progressif du Cameroun vers son autonomie, et plus tard vers son indépendance ». Lors de ces élections législatives, il bat Charles Assalé et Louis-Paul Aujoulat.

Le 23 décembre 1956, l’Assemblée Législative du Cameroun (ALCAM) remplace l’Assemblée Territoriale du Cameroun (ATCAM) et des élections législatives sont organisées. Les candidats étant autorisés à se présenter en leur propre nom, Mbida et ses camarades y prennent part et sont élus.

Ils créent alors le groupe parlementaire dénommé les Démocrates Camerounais (DC), qui deviendra plus tard le Parti des Démocrates Camerounais dont le Docteur Louis- Tobie Mbida, son fils préside les destinées depuis le retour du multipartisme dans les années 90. Auréolé par cette victoire, André Marie Mbida va poser des actes de bravoure qui seront vite interprétés comme des actes de provocation.

Des actes de bravoure et quelques faits marquants

En septembre 1957, de passage à Paris, il présente le Cameroun comme un Etat-pilote en Afrique. Il affronte ouvertement les Français et décide de mettre un terme à la ségrégation raciale qui prévaut dans les grandes villes et que l’écrivain Eza Boto décrie fort opportunément dans son ouvrage Ville Cruelle.

Il invite par ailleurs les colons à retirer de leurs cafés, les affiches qui portent la mention « interdit aux chiens et aux Noirs ». Et tout colon accusé de racisme était aussitôt expulsé du territoire Camerounais sur son ordre. On dit d’ailleurs qu’il avait expulsé en quelques mois plus de Français qu’il n’y en a eu en plus de 50 ans d’indépendance.

Ancien séminariste, il s’en prend également au clergé et demande la Camerounisation de celui-ci et on lui attribue l’initiation du mouvement qui conduit à la désignation des curés Camerounais dans diverses paroisses, ce qui lui vaut la haine de Monseigneur Graffin, Evêque de Yaoundé. Enfin, on peut relever que le 12 Janvier 1958, il crée le Parti des Démocrates Camerounais à Abong-Mbang à l’Est du pays. Un comité directeur est élu pour la circonstance, un programme politique adopté de même qu’une devise « Dieu-Patrie-Justice-Egalité » et un emblème, le « coq vigilant et courageux ».

Mais le fait le plus marquant de cet homme politique aura été le refus de conduire le Cameroun vers « une certaine indépendance ». Les administrateurs Français verront aussitôt en lui un politicien intelligent et courageux et décideront de mettre un terme à sa carrière politique qui ne venait que de commencer. Il confirmera cette position lors de l’une de ses envolées. « Pendant 51 ans, vous n’avez pas formé de gens, à présent vous voulez vous en aller : pas question ». Des faits qu’il confirmera le 27 février 1959, devant la Quatrième commission des Nations Unies, en même temps que le rejet de l’Union Française.

C’est encore lui qui introduit à l’Assemblée Législative du Cameroun (ALCAM) le 24 Octobre 1957, un projet de loi portant création de l’emblème du Cameroun et le 26 Octobre 1957, le projet de loi portant adoption de l’hymne officiel, l’ancien « Chant de ralliement » des élèves instituteurs de l’Ecole Normale de Foulassi et de la devise du Cameroun « Paix-Travail-Patrie ».

Et ceci en contradiction avec les dispositions coloniales du statut du 16 Avril 1957 sur l’autonomie du Cameroun qui voulaient que l’Etat sous tutelle du Cameroun ne devait disposer d’aucun de ces signes de souveraineté. André Marie Mbida rendait-il à la France ce qu’elle-même avait fait des dispositions des Nations Unies du 19 Décembre 1946 qui imposait à l’administration Française de laisser flotter le drapeau des Nations Unies sur les bâtiments administratifs au Cameroun ?

Last but not the least, le 15 Février 1958 à Paris, André Marie Mbida rompt son affiliation au groupe socialiste SFIO. La goutte d’eau qui fait déborder le vase et le Haut- Commissaire de la République Française corrompt des députés Camerounais parmi lesquels un certain Njoya Arouna mais également Ahmadou Ahidjo avec 200 000 FCFA pour qu’ils retirent leur confiance en Mbida. La suite, on la connait.