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Opinions of Dimanche, 16 Juillet 2017

Auteur: ebugnti.wordpress.com

13 questions sans réponses sur le décès de Mgr Bala

Les semaines qui arrivent seront chargées pour les uns et pour les autres Les semaines qui arrivent seront chargées pour les uns et pour les autres

Aucune mort n’aura été autant commentée et amplifiée que celle de Mgr Bala, évêque sans histoires de Bafia. Évêques du Cameroun et Pouvoirs Publics s’affrontent par communiqués interposés, sous le regard inquiet et attristé des citoyens. Une tragédie dont on se serait volontiers passé, mais qui ne s’achèvera pas sans conséquences pour les uns et pour les autres.

Pour le Procureur de la République, Mgr Bala est mort probablement des suites de noyade, dès lors que les experts d’Interpol n’ont décelé aucune trace de violence. En conséquence de quoi le corps est remis à l’Eglise, même si, ajoute-t-il, les enquêtes continuent.

Pour les évêques, le corps qu’ils ont formellement reconnus sur les berges de la Sanaga était bien celui de leur confrère. Ce corps portait des marques de violence apparentes. L’évêque de Bafia est mort assassiné.

Enrendant public leurs communiqués, les deux parties soumettent leurs conclusions à l’analyse critique de l’opinion. Explorons les limites du Communiqué du Procureur de la République.

Destrois autopsies, le PR n’a publié aucun rapport. Un rapport d’autopsie n’est pas un secret-défense et il est habituel qu’après une mort violente, les médecins légistes ou le PR lui-même donnent un point de presse pour expliquer les raisons qui ont provoqué la mort. Dans le cas de la disparition subite de Mgr Bala, trois autopsies (2, 22 et 29 juin) ont été conduites par trois collèges de médecins. Aucun rapport n’a été rendu public, sinon les maigres conclusions auxquelles sont parvenus les médecins étrangers ayant pratiqué le dernier examen anatomopathologique : mort (probable) par noyade.

Le président ne daigne pas nommer les médecins qui ont pratiqué la première ni la seconde autopsie. Est-ce parce qu’il ne s’agissait « que » de « médecins locaux » dont les compétences et le savoir-faire sont discutables ? Et dans ces conditions, pourquoi a-t-on fait appel à des experts dont on doute de l’expertise puisqu’on ne dit même pas à quelles conclusions ils sont parvenus ?

Logiquement, si on récuse le premier collège, la transparence dans une affaire criminelle de cette nature oblige à souligner de manière publique les limites et les erreurs de la première autopsie. Ce qui permet de faire appel à une seconde équipe de légistes plus qualifiés, lesquels portent la contradiction à leurs confrères et proclament « leur vérité » dans un rapport d’autopsie dont l’économie est présentée à l’opinion publique au cours d’une conférence de presse.

Il faut croire que les « médecins locaux » anonymes n’ont rien su faire correctement. Mais nous ne savons pas ce qu’ils ont fait ni ce qu’ils n’ont pas fait. Toujours est-il qu’ « il a été décidé de recourir à l’expertise internationale via Interpol ». Le PR n’a pas répondu à trois questions essentielles : Pourquoi n’a-t-il pas publié les trois rapports d’autopsie ? Pourquoi n’a-t-il pas, dans son communiqué, cité nommément les médecins qui constituaient le premier et le deuxième collège de légistes locaux ? Pourquoi a-t-il été décidé de recourir à Interpol ?

Paul Biya prend à son compte une conclusion ambiguë de la part des médecins légistes internationaux : probabilité que la mort ait pu être provoquée par noyade. Le fait que le noyé examiné par les légistes ne présentait pas de signes de violence ne signifie pas grand-chose dans un cas criminel. Ici, deux hypothèses auraient dû/pu être envisagées et produire leurs effets par une conclusion définitive. Dans la première hypothèse, il aurait été utile d’envisager une cause criminelle : le noyé aurait pu être étouffé, chloroformé ou empoisonné avant d’être jeté à l’eau. Aucune trace n’aurait été visible sur son corps, mais les organes que sont le cœur, les poumons et autres abats en auraient gardé des souvenirs. Or le communiqué du PR ne le dit pas, s’en tenant uniquement à cette formulation curieuse : « (…) ils ont relevé l’absence de toutes traces de violence sur le corps du défunt… ». En conformité avec cette hypothèse, on aurait écarté la mort naturelle par noyade ou validé l’assassinat déguisé en noyade.

La deuxième hypothèse aurait été de s’assurer que la noyade était délibérée et que Mgr Bala, pour une raison mystérieuse, a voulu attenter à ses jours. « L’examen approfondi » auxquels se sont livrés les médecins d’Interpol aurait pu l’attester de façon formelle et leur conclusion n’aurait laissé aucune place au doute. Le Procureur aurait ainsi conclu son Communiqué et son enquête sur un suicide. Au lieu de quoi, il laisse planer un doute inadéquat qui pourrait se traduire par : « Je ne sais pas exactement de quoi l’évêque est mort mais je penche fortement pour un suicide probable. Malgré tout, je continue les enquêtes ».

C’est là qu’interviennent les évêques qui prennent le contre-pied de ce qu’affirme le PR. Ils rejettent la totalité de ses conclusions. Le corps qu’ils ont vu est bien celui de leur confrère. Ce corps portait des « marques de violence ». C’est ce qui explique l’utilisation de l’adverbe « brutalement assassiné » utilisé dans leur premier Communiqué de presse.

Dans le premier attendu de leur Communiqué du 10 juin, ils exigent trois choses : que les circonstances l’assassinat et les mobiles qui l’ont provoqué soient clairement spécifiés ; que ses assassins soient nommément désignés et jugés. On ne peut être plus clair. Voilà le PR renvoyé dans les cordes.

Les évêques sont exaspérés par la désinvolture avec laquelle les Pouvoirs Publics traitent les affaires liées aux meurtres crapuleux des hommes et des femmes d’Eglise et particulièrement de la manière dont celui de Mgr Bala est traité. Qu’ils aient été informés des conclusions de l’autopsie par « voie de media » échappe à tout entendement. D’autant plus qu’ils n’ont pas été prévenus de ce que deux autres autopsies avaient été pratiquées, « alors que les évêques du Cameroun attendaient les conclusions de l’autopsie du 2 juin 2017 ». Il faudra bien que le PR ou ceux qui lui donnent les ordres leur expliquent l’intérêt de ces multiples examens légaux et finissent bien par produire le rapport de la première autopsie.

En affirmant que « la certitude morale des évêques repose, entre autres, sur le fait que le corps qu’ils ont vu et reconnu au bord de la Sanaga et à la morgue de l’Hôpital Général de Yaoundé et qui était bien celui de Mgr JMB Bala portait des marques de violence », les prélats mettent sérieusement en doute l’identité du corps qui a été autopsié par les deux médecins étrangers. Ils disent en fait : « Nous avons vu un corps supplicié. L’homme que nous avons reconnu comme étant notre confrère n’avait rien d’un noyé. Faites donc examiner tous les corps que vous voulez par qui vous voulez mais ne nous faites pas avaler des sottises ».

Le PR affirme dans son Communiqué que « (…) le corps de Mgr JMB Bala a été remis ce jour (4/7) aux autorités de l’Eglise catholique au Cameroun aux fins d’inhumation ». Les deux personnalités de la Conférence Episcopale Nationale du Cameroun en première ligne depuis ces tristes évènements sont NNSS Samuel Kléda, Archevêque de Douala et Président de la CENC et Jean Mbarga, Archevêque de Yaoundé, Province ecclésiastique dont dépend le diocèse de Bafia. Dans leur Communiqué, les évêques disent n’avoir pas reçu le corps de leur confrère. Et ils accentuent la pression en refusant de recevoir n’importe quel corps. « Elles (les autorités de l’Eglise) attendent que ce soit fait après identification de la dépouille ». Voilà le PR encombré d’un corps qu’il prétendait avoir remis à qui de droit.

Si l’Eglise du Cameroun a vécu ces dix dernières années en bonne entente avec les Pouvoirs Publics, celle-ci vient de prendre l’eau. L’affrontement actuel ne présage rien de bon. Les camps sont retranchés sur leurs certitudes et le premier à abdiquer perdra surement la face devant l’opinion publique, constituée pour l’occasion des citoyens et des chrétiens qui observent ce qui se passe avec attention. Jusqu’ici, c’est mezza voce que les évêques disaient leurs désaccords avec les décisions que prenaient le gouvernement. Le nonce Pierro Pioppo peut se réjouir d’avoir cassé la résistance d’un groupe qui n’était déjà pas particulièrement farouche.

Mais il doit bien se mordre les doigts et se demander ce qu’il a bien pu faire au bon Dieu pour que les assassins de Mgr Bala ternissent sa sortie de la scène diplomatique camerounaise, à quelques jours de l’annonce de sa nouvelle affectation. Un cadeau dont il se serait volontiers passé. Son départ est considéré au sein de la Conférence épiscopale comme la libération des énergies et de la parole libre des évêques longtemps bâillonnés par ses remontrances intempestives.

Les évêques ne reviendront pas sur l’assassinat de leur confrère. Ils n’ont qu’une parole et mal leur en prendraient de se dédire. Se sachant soutenus par l’ensemble des fidèles et de tous les citoyens de plus en plus choqués par ces assassinats à répétition qui ternissent l’image du pays même à l’étranger, nos prélats vont devoir jouer serré pour qu’enfin justice soit rendue. Si jusqu’ici leur désir de justice semblait ne prendre en compte que la disparition de leur confrère, il faut désormais prendre en considération le fait que l’exigence concerne les dénis de justice dans leur ensemble.

La dépouille mortelle de Mgr Bala attend d’être portée en terre dans la dignité et avec les honneurs dus au rang de cet homme dont la vie était discrète, fraternelle et conviviale. Comment pourrait-il trouver le repos si on ne sait pas qui la lui a ôtée et pourquoi ? Ce corps inerte rendu sans l’être va devenir un cauchemar pour ce pays. Après trois passages de médecins légistes, il ne doit plus rester grand-chose à examiner, si tant est que les médecins d’Interpol aient eu accès au corps de l’évêque.

Le Procureur de la République, jusqu’ici seul représentant de la légalité et des Pouvoirs Publics et principal interlocuteur (par communiqués interposés), sera bien en peine de soutenir ses allégations sans publier les noms et les conclusions des deux premières autopsies. Que contiennent-elles qu’il veuille cacher aux Camerounais ? Quels intérêts peuvent-ils contraindre un homme aussi puissant à biaiser et à couper les cheveux en quatre ?

Les Pouvoirs Publics savent-ils que la crédibilité de la Justice camerounaise, déjà écornée par toutes ces affaires scabreuses non élucidées, sortira en lambeaux ? Le Président de la République acceptera-t-il que des individus sans foi ni loi profitent de leurs positions dans les couloirs de l’Etat pour mettre à mal les bonnes relations qu’il entretient avec le Saint Siège depuis tant d’années ? Que fera-t-il ? Que dira-t-il ? Comment procédera-t-il pour obliger ceux qui doivent répondùre aux questions que les Camerounais se posent sur le meurtre de l’évêque de Bafia à le faire ?

Les semaines qui arrivent seront chargées pour les uns et pour les autres. Pour le marteau et pour ceux qui sont sur l’enclume. L’Assemblée Plénière de la Conférence des Evêques de l’ACERAC s’achève dans deux jours. Nos invités nous laisserons entre nous. Il faudra alors que nous nous expliquions, peut-être comme nous ne l’avons vraiment jamais fait.