Gageons qu’il la gardera si les choix de ses jurés demeurent toujours objectifs et imperméables aux influences de divers groupes de pression.
Succès incontestable donc, traduit par ce foisonnement de personnalités, de créateurs connus et moins connus, de jeunes de tous horizons, qui se croisent dans les allées du palais des Congrès de Yaoundé, soit pour échanger avec les professionnels, soit pour espérer glaner une récompense.
A vrai dire, le mérite premier de cette cérémonie, c’est d’amorcer à travers les lauriers distribués, un retour aux sources des talents camerounais expatriés dans les domaines de la musique, des téléfilms et de l’humour, et de redonner confiance en eux-mêmes à ceux qui exercent au Cameroun dans des conditions moins idylliques.
Pendant longtemps, les plus grands ont en effet été contraints de s’expatrier pour trouver enfin une reconnaissance, et les opportunités que celle-ci ouvre. C’est le cas de Manu Dibango et de Were Were Liking, pour ne citer qu’eux.
Aujourd’hui, même si leur retour aux sources ne s’entend pas littéralement, nos talents exilés regardent désormais avec bienveillance leur terre natale, ragaillardis par le soutien et l’admiration qu’ils y suscitent.
Ce n’est pas un mince exploit, au regard de la configuration de la diaspora artistique camerounaise, forte de personnalités de poids et d’influence. C’est sans doute pour réaffirmer cette reconnaissance officielle que le gouvernement lui-même a décidé d’honorer tout spécialement les ténors de la culture camerounaise lors du dernier Festival national des arts et de la culture.
Pourtant, ce succès ne serait pas si évident sans l’adoubement apporté aux Canal 2 Or par la première dame du Cameroun, Chantal Biya, par le biais de sa présence régulière, attentive et patiente, aux premiers rangs des invités, depuis quelques éditions.
Cette présence remarquée, ajoutée à celle du Premier ministre, représenté cette fois-ci par le ministre de la Communication, et à celle du ministre des Arts et de la Culture, est une forme de caution de l’institution étatique à une manifestation qui, au-delà du spectacle festif, agit comme un stimulant à la créativité artistique, un appui de choix aux artistes et aux entrepreneurs culturels.
Cet engagement a aussi permis de renforcer le caractère international de l’événement, car pour les célébrités africaines du show-bizz, nominées par le Jury ou désignées pour recevoir un hommage spécial pour l’ensemble de leur carrière, la présence de Chantal Biya est déjà une gratification.
A n’en pas douter, le professionnalisme de ce grand événement culturel donne à tous les Camerounais une belle leçon qui claque comme un coup de fouet : l’organisateur n’était pas une entreprise publique, mais privée ! En somme, l’Etat-providence est bien derrière nous.
Place à l’initiative privée, soutenue lorsque cela s’avère nécessaire par les mécènes et les sponsors. Partout dans le monde, l’industrie culturelle génère d’énormes sommes d’argent. A titre d’illustration, Nollywood, à deux pas de chez nous.
Pourquoi l’Etat et les créateurs n’essaieraient-ils pas de convaincre les investisseurs camerounais et étrangers de parier sur l’art ? Il faut tout de même reconnaître qu’il y a des conditions préalables à la ruée des investisseurs dans ce domaine, telles que la création des écoles d’art dramatique ou de musique. Il y a aussi un grand besoin d’infrastructures culturelles, mais aussi d’éducation des citadins à une culture des loisirs. Sans compter le pouvoir d’achat.
Ces défis et cette vision, le gouvernement en a bien conscience, et les prend en compte selon l’agenda politique et les prévisions budgétaires. Mais on ne le dira jamais assez : les initiatives privées peuvent aussi s’y épanouir, quitte à demander des garanties ou des facilitations fiscales à l’Etat. Cela n’exempte pas la puissance publique de ses propres responsabilités, dans ce domaine comme dans d’autres.
A ce propos, le ministre des Arts et de la Culture annonçait récemment dans nos colonnes la seconde édition du concours littéraire national pour les jeunes auteurs, dans le but de faire émerger une nouvelle pépinière de plumes, mais pas seulement.
Tout compte fait, la création artistique joue ici, comme le sport, un rôle irremplaçable, celui de rempart contre la pauvreté et l’oisiveté, mais aussi contre l’intolérance et les intégrismes de toute nature. Peut-on s’étonner alors que les Jeunes aient choisi cette occasion unique de remise des trophées aux artistes pour envoyer des signaux forts ?
Loin de se laisser griser par l’euphorie du spectacle de samedi, ils ont fait passer aux Camerounais des messages d’unité et de confiance, les mettant en garde contre les divisions et les conflits. En se réjouissant des lauriers de créateurs gabonais et centrafricains, ils ont exprimé leur solidarité avec tout le continent.
Hasard de calendrier : alors que les artistes passaient ces messages en direct à l’Afrique, une délégation de pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU séjournait au Cameroun, pour s’entretenir avec les plus hauts responsables de l’Etat, évaluer les ruines de Boko Haram et la facture de la veille sécuritaire, de même que celle de la reconstruction humaine et économique.
Drôle de hasard qui braquait les projecteurs d’un côté, sur l’activité créatrice et les efforts des jeunes artistes et musiciens, et de l’autre, sur les conséquences de la folie meurtrière de Boko Haram, qui aura partiellement désintégré les acquis économiques et sociaux, et laissé la jeunesse locale dans le désarroi.
Au moment où l’Etat a décidé de faire renaître par de lourds investissements cette terre blessée, souhaitons qu’il ne se limite pas à rebâtir les écoles, à relancer les activités économiques et à reconstruire les bâtiments. Osons espérer que cette région du pays vive un vrai renouveau culturel.
Afin que les jeunes retrouvent l’envie de rire et de fraterniser, et dépassent ainsi les traumatismes subis.
Oui, la culture, comme un rempart, comme un ferment d’unité.Et comme un filon, un bon filon.