Aussi bien dans le monde du travail que dans leurs relations personnelles, des Camerounaises atteintes de cette anomalie génétique ont décidé de faire de leur différence un motif de fierté
Si la loi protège les albinos des atrocités commises ailleurs contre eux, ils n'en demeurent pas moins en marge de la société, des Camerounaises atteintes de cette anomalie génétique, ont décidé de faire de leur différence un motif de fierté.
Quelques dizaines de paires d’yeux, scrutent, de la tête aux pieds, Lisette Emmanuel.
Des regards tantôt curieux, tantôt méfiants, où la gêne se mêle à la suspicion mais qui semblent glisser sur la jeune femme, sans jamais l’atteindre.
Lisette est camerounaise. Elle est jeune et jolie. Dans sa longue robe noire ornée de motifs africains, et du haut de ses chaussures compensées qui encadrent des pieds fins, elle avance, le port altier, sans jamais baisser les yeux, vers ceux qui la dévisagent en silence.
«Je ne suis pas comme les autres, je le sais», lance-t-elle, avec malice. «Je suis albinos et malvoyante, et je l’accepte !», ajoute la jeune étudiante en marketing, avant même qu’on l’interroge.
Au Cameroun, comme Lisette, de nombreuses femmes albinos, appelées, avec ironie, «blanches», assument de plus en plus leur différence et revendiquent même leur particularité physique, malgré les fortes discriminations –et parfois les violences- dont elles sont victimes.
L’albinisme est une anomalie génétique caractérisée par une dépigmentation cutanée, capillaire ou oculaire, due à la carence ou à l’absence de production de la mélanine, le pigment qui donne leur teinte à la peau, aux yeux et aux poils. Les personnes touchées par cette anomalie sont le plus souvent abandonnées par leurs parents ou leurs proches et éprouvent de nombreuses difficultés à s’intégrer dans la société.
A Douala, capitale économique du Cameroun, on évalue à quelques milliers le nombre d’Albinos, dont 70% seraient originaires de la région de l’Ouest, selon des études menées par le professeur Robert Aquaron de la faculté de médecine Aix-Marseille, en France.
Et ce sont les femmes qui subissent le plus de discrimination, aussi bien dans le monde du travail que dans leurs relations personnelles, confient les concernées.
Marie Madeleine Waffo est la présidente de l’Association des femmes albinos du Cameroun (AFAC). Rencontrée à Douala, elle revendique la particularité des centaines d’adhérentes qu’elle côtoie. «Ces femmes sont des reines et valent de l’or», et, surtout «elles se battent comme des lionnes et son de véritables combattantes», dit-elle fièrement.
Pourtant, souligne Waffo, leur combat est rude et elles se retrouvent très souvent seules. «Il est d’ailleurs rare de trouver des femmes mariées», dans le rang des albinos», avoue-t-elle, citant «peut-être trois ou quatre femmes», sur quelques centaines d’adhérentes.
Abandonnée à l’hôpital par son père noir de peau qui ne supportait pas d’avoir un enfant albinos, Ruth Medi Modi, la cinquantaine entamée, a grandi sous les injures et les moqueries de ses camarades.
Quand elle a atteint l’âge adulte, elle a eu «la chance», de rencontrer un «beau» jeune homme noir, avec qui elle a eu quatre enfants, tous noirs, raconte-t-elle. Mais sa «chance» n'a pas duré et elle, est, une fois de plus, abandonnée en raison de la couleur de sa peau et de la pression de la société.
Ruth a été ensuite contrainte d’abandonner son métier d’enseignante à cause des problèmes de vue liés à son albinisme. «J’ai souffert pour élever toute seule mes enfants. J’ai vendu du bois de chauffe et fait plusieurs autres petits métiers, mais ça n’a jamais été simple compte tenu de mon teint. Aujourd’hui, je continue à me battre pour les envoyer à l’école», assure-t-elle.
Stéphanie Massimo elle, travaille dans une imprimerie. Chaque jour, elle lutte pour être la meilleure employée. Son patron a fini par lui faire confiance et la respecter, parce qu’elle a prouvé qu'«en dépit de sa peau, elle avait de l’intelligence», relate-t-elle.
Mais malgré leur engagement, le quotidien de Ruth, Stéphanie comme celui de leurs autres «sœurs» est loin d’être simple, avouent-elles. «Nous sommes souvent traitées de Guenguerou, qui signifie albinos, mais aussi déchets/chose», murmure Ruth.
«Quand j’entends ça, j’ai très mal», surenchérit Ange Djougo, un autre membre de l’association camerounaise, rencontrée par Anadolu.
«Avant, j’avais même honte de sortir de chez moi, tant on me regardait avec mépris. Je passais mes journées à pleurer. Mais tout cela, c’est terminé désormais. Grâce à l’AFAC j’ai réussi à m’accepter et même à devenir fière de ce que Dieu m’a donné», dit-elle.
Regroupées au sein de l’Association des femmes albinos du Cameroun, ces «blanches» malgré elles, se réunissent, une à deux fois par mois, pour se donner du courage, apprendre à se sentir «belles et fières» et bénéficier de conseil d’ordre médical.
«L’albinos, à la différence du Noir, ne doit pas s’exposer au soleil, sinon il contracte des maladies de la peau qui peuvent, dans de nombreux cas, se transformer en cancer», explique Marie Madeleine Waffo.
«D’ailleurs, nous avons déjà sept cas recensés et nous manquons d’argent pour les soigner. C’est pourquoi, pour prévenir de cette situation, nous échangeons des astuces qui permettent de bien protéger la peau du soleil», dit-elle.
A l’occasion de la journée mondiale des albinos qui se célèbre chaque 13 juin, l’association AFAC organise une série d’activités parmi lesquelles l’élection Miss et Misters albinos du Cameroun : une première!
«Il n’y a jamais eu de candidats albinos lors des élections de Miss Cameroun. Nous voulons montrer que la femme albinos est très belle et peut concurrencer les autres. J’espère que ce sera l'occasion de sensibiliser des âmes de bonne volonté qui pourront, par la suite nous aider à construire au Cameroun, un centre d’accueil pour les albinos où, ceux et celles abandonnés ou en difficulté pourront venir y apprendre un métier ou simplement y rester», déclare Marie Madeleine Waffo qui espère que le gouvernement entendra également son «cri».
Car, si la loi camerounaise protège les albinos, et qu'ils ne peuvent subir les atrocités vécus par les albinos de Tanzanie ou du Malawi (victimes de meurtres rituels et dont les organes sont utilisés dans des pratiques magiques) ils n'en demeurent pas moins en marge de la société.
Du haut de ses 8 ans, Karina, espère, quant à elle, faire partie du changement. «Maman m’a dit que j’étais une belle blanche et que mes camarades qui se moquent de moi sont de méchantes petites filles mal élevées et jalouses.
Moi, je veux me battre pour devenir ministre et prouver aux autres que les albinos sont très intelligentes».