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Culture of Saturday, 24 March 2018

Source: lefiltre-magazine.com

Locko: un pont oui, mais vers où ?

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Ce que j’aime chez Locko c’est qu’il est un véritable artiste. Un artiste qui tend volontairement vers un professionnalisme duquel il ne démord pas. Il sort des singles, il sort un EP, il fait des featurings, il sort un album, il essaye de créer une véritable connexion avec son public, etc. Rien de plus normal certains diront sûrement et avec raison. Sauf que dans le contexte camerounais, le fait est assez rare pour être relevé. Proposer un album au public reste une mise en danger respectable quelles que soient les circonstances. La sortie de “The bridge“ est donc une bonne occasion de s’arrêter un moment pour analyser la situation dans laquelle la musique de Locko se trouve actuellement.

Contrairement à ses prouesses vocales, la musique de Locko n’a pas beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Il semble s’être installé, peut-être par la force des choses, dans un cocon bien confortable duquel il n’a pas encore envie de sortir. Pourtant le titre de son premier album, “The bridge“, m’avait donné l’impression qu’il avait entamé une transition de son style actuel vers quelque chose de nouveau ou alors qu’il entreprenait désormais de faire coexister différents aspects de son univers musical. L’album aurait donc représenté un pont entre diverses facettes de sa musique, entre diverses niches de son public. Je me suis trompé sur toute la ligne.



“The bridge“ est un recueil de jolies chansons mais en tant qu’album il est assez médiocre. Parce que comme beaucoup commencent à le réaliser, il ne suffit pas de regrouper ensemble de belles chansons pour obtenir au final un bon album. C’est à travers “Skyzo“, son premier projet long format qu’il a posé les bases de cette fusion de Rnb, afropop avec des touches de rythmes traditionnels du Cameroun. Le tout est savamment orchestré et ce mélange invasif de français, anglais, pidgin et patois vient par une mystérieuse prouesse d’équilibriste s’imbriquer de façon étonnamment parfaite dans ce gigantesque puzzle qu’est une chanson de Locko. La formule fonctionne donc les tubes s’alignent sans interruption. De “Supporter“ à “Danse avec moi“, en passant par “Thank you lord“, le succès est au rendez-vous. Sauf qu’il faut garder à l’esprit que les attentes du public face à un single diffèrent de lorsqu’on a entrepris de se lancer dans la démarche artistique que représente la conception d’un album.

Ce que cet album peine à faire dans son ensemble, c’est de communiquer. Cela est peut être dû à une direction artistique confuse au départ ou tout simplement à l’absence de cette dernière. Il est très difficile de comprendre ce qu’ils ont essayé de dire avec cet album et c’est bien ce que je déplore le plus. Il s’est écoulé deux ans entre son premier EP et son premier album mais au lieu de témoigner d’une évolution dans sa vie (nouvelle célébrité, nouveaux points de vue sur la vie, expériences amoureuses, réflexions spirituelles,etc) on dirait plutôt qu’au contraire il régresse du point de vue du contenu des chansons.



On est passé de “Skyzo“, un projet de dix titres qui aborde des sujets divers et pour la plupart ancrés dans une réalité à laquelle le jeune Camerounais qui a déjà eu à faire avec les monts, merveilles et déceptions des relations amoureuses peut s’identifier, à un autre beaucoup plus long mais qui n’est finalement qu’une succession édulcorée de sérénades à la gent féminine. Le tout dans un phrasé qui n’est pas sans rappeler les dragues qui débouchent sur des amourettes pendant les années lycées. Alors ok, je ne m’attends pas à être face aux histoires de débauche sexuelle plus ou moins retors de chanteurs comme Singuila ou The Weeknd mais quand même… Cet album déborde de bons sentiments et le sujet de l’amour y est malheureusement traité de façon superficielle.

Et parlant de Singuila justement, je me suis fait une fausse joie quand au début de “Dilemma“ j’ai cru avoir affaire à une des histoires un peu “tordues” dont il a le secret tant la chanson semble écrite par lui. Le titre est un storytelling qui relate un samedi où Locko voulait juste un coup d’un soir avec une groupie. Enfin un peu de testostérone stupide dans ce disque ! Oui, sauf que la joie fut de courte durée parce que dès le premier refrain il nous annonce qu’il est tombé amoureux d’elle. Je n’aurais certainement aucun soucis avec ce côté lisse et gentillet de Locko qui est dépeint tout au long de l’album si je ne l’avais pas connu différent de cela. Ou est passé le gars qui disait “Sorry si t’es bé-tom dans mon ré” ?

Le seul moment de l’album qui a véritablement capté mon attention est le titre “Ashouka“. Il dénote complètement avec le reste du disque et c’est vraiment rafraîchissant. J’en suis arrivé à me dire que j’aurais certainement pété les plombs si l’album avait commencé par lui tant il y a une véritable proposition artistique qui y est faite. Je l’aurais bien vu là, le fameux pont.

Juger cet album est difficile pour moi parce que je n’arrive pas à déterminer ce qu’ils ont essayé de faire. Je ne sais pas où sa musique va. Est-ce une façon de repositionner Locko auprès d’une cible plus jeune ? Tout porte à croire que oui même si j’espère vraiment me tromper parce qu’il bénéficie d’une telle sensibilité artistique que le maintenir ou l’insérer de force dans ce carcan pop afro constituerait un gâchis énorme. Locko est hyper talentueux et le travail qu’il a abattu ces dernières années est perceptible lorsqu’on l’écoute chanter. Ce qui semble cruellement lui faire défaut par contre, c’est une véritable direction artistique.