Culture of Tuesday, 4 April 2017
Source: cameroon-tribune.cm
Une étreinte si forte, qu’elle ne laisse aucun espace entre les deux corps enlacés.
L’exercice n’a rien de sensuel, mais n’est pas innocent non plus. C’est « l’exploration du soi », comme l’appelle Christian Etongo, artiste camerounais, expert de la performance.
Du 29 au 31 mars dernier à l’Institut Goethe à Yaoundé, il a partagé avec 20 apprenants ses connaissances en cette discipline artistique si particulière, au cours d’un atelier d’initiation. Cette formation baptisée « Perform’Action Live Art » n’a rien de trop formel.
Chaque artiste, chaque être humain a sa perception de la vie, et donc de la performance. Christian Etongo leur donne les clés pour rester eux-mêmes, sans calculs ni a priori.
« Ne sortez pas de votre identité. En performance, on ne joue pas de rôle sinon on est dans une autre forme d’art », dit-il. Artistes confirmés ou émergents, et des enseignants d’art participent à cette expérience inédite. Gabrielle Badjeck est l’une d’entre-eux. « Je suis venue vide, pour absorber tout ce que je peux de positif, me nourrir de cela pour améliorer mes performances », avoue-t-elle.
La rencontre est couverte par le thème : « L’autre ». La perception de l’autre, ce qu’on pense de lui au premier regard, aux premiers mots échangés, est scrutée durant les trois jours de cet atelier.
En entame de jeu, Christian Etongo s’est livré, peignant les lignes de son parcours. La performance, il la découvre par le biais de plasticiens comme Salifou Lindou, Francis Sumegne, Joël Mpah Dooh ou Barthélémy Toguo.
Dans ce concept de « performance » qu’ils abordent de manière ponctuelle au gré d’un vernissage, Christian Etongo voit une source d’inspiration. Il l’adapte en basant ses recherches sur les rites traditionnels.
L’art de la performance a le don de susciter la curiosité, l’étonnement, parfois le dégoût chez le public. L’artiste-performeur, pour défendre une cause et enclencher le questionnement, s’exprime grâce à un langage visuel que les hommes peuvent voir et juger.
Il doit pouvoir donner de sa personne. Le choc est souvent immense. Des artistes comme la Serbe Marina Abrahamovic ou le Nigérian Jelili Atiku, que Christian Etongo croise au fil de ces escales artistiques à travers le globe, marquent cet univers d’une empreinte écarlate depuis plusieurs années.Christian Etongo, lui, est le pionnier d’une génération, qu’on espère longue, de performeurs camerounais.
Cet atelier se déroule en prélude du « Perform’Action Live Art », du 29 novembre au 2 décembre prochain à Yaoundé, le premier festival consacré à l’art de la performance au Cameroun initié par Christian Etongo.
L’actualité du performeur est vaste. Ses prestations sont attendues du 11 au 26 mai prochain à Mannheim en Allemagne pour le festival « Supercopy », puis en septembre au « Live Art » de Vancouver au Canada, et à Bandjoun Station à l’Ouest en novembre.
Vendredi dernier, l’atelier s’est achevé avec une restitution-spectacle « Diagnostic 2 ».
Christian Etongo: « Nous poussons le public à la réflexion »
Qu’est-ce qui fait de la performance un art hors du commun ?
La performance, c’est un ensemble d’actions de la vie quotidienne. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de mise en scène ou de codes définis comme dans les autres formes d’art.
Mais seulement, nous prenons dans les autres arts pour exprimer ce que nous avons à faire. Ceux qui décident l’art ont classé la performance comme une catégorie artistique.
Parce qu’elle n’a pas de codes, de règles, la performance devient un art compliqué, bizarre, pour lequel la compréhension populaire est difficile, car les actions sont soit improvisées, soit sorties de l’ordinaire. En général, les actions de la performance sont celles de la vie.
Qu’apportez-vous de particulier à ce domaine artistique ?
Je travaille sur le rite « tsô » qui est un rite de purification chez les bétis.
Tout simplement parce que je pense que, comme dans la culture béti, pour conjurer le sort et laver les fautes, il faut faire ce rite. Du coup, je me dis qu’au-delà du message que l’artiste passe, il doit poser des actes pour conjurer le mauvais sort.
Je trouve qu’il y a trop de crimes, de catastrophes... Comment peut-on arriver à les résoudre en s’inspirant de la culture béti ?
Pour purifier l’humain, il faut passer par là. C’est ma contribution à un monde meilleur.
On a parfois l’impression que la performance est faite pour choquer. Pourquoi ?
Quand je fais une performance, je ne cherche pas absolument le sensationnel.
En réalité, au début de ma carrière, quand je cherchais encore ma voie, mes recherches allaient dans ce sens-là. Aujourd’hui, je ne suis pas vraiment dans l’étonnement, mais dans le questionnement.
Le but de la performance c’est d’amener l’autre à revoir sa place en tant qu’être humain dans notre existence, à se poser des questions. Pour tous les publics, c’est ce que nous recherchons.
Assister à une performance, c’est comme assister à un deuil ; on réfléchit à sa propre mort, car il a fallu ce deuil pour nous faire réfléchir. Avec la performance c’est pareil.
C’est avec les RAVY que le public camerounais découvre la performance. Pensez-vous que ce festival a changé la vision de cet art ?
Les Rencontres d’art visuel de Yaoundé (RAVY) qui comportent un volet performance ont contribué à vulgariser notre art au Cameroun, à faire connaître les artistes.
Il m’a révélé en tant que performeur. C’est un énorme coup de pouce pour tout le travail que nous faisions derrière. Cela a permis de susciter l’engouement auprès des artistes qui veulent découvrir ce que c’est ou l’approfondir.
Pour cet atelier, nous avons eu une cinquantaine de candidatures, mais nous n’avons pu en retenir que vingt, alors que nous en voulions dix au départ.
Pour aller plus en profondeur, du 29 novembre au 2 décembre 2017, j’ai initié le « Perform’Action Live Art » qui est le premier festival dédié uniquement à la performance au Cameroun.
Et cet atelier est en prélude à ce festival.