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Culture of Saturday, 23 March 2024

Source: www.camerounweb.com

'L'art est un puissant moyen de dénonciation des maux'

L'art comme moyen de lutte contre les maux sociaux L'art comme moyen de lutte contre les maux sociaux

Vous avez initié un vernissage depuis le 12 février dernier. Qu’est-ce qui motive un tel projet qui devra s’étendre jusqu’au 23 mars prochain ?

Nous avons constaté que beaucoup de personnes ignorent leur identité. Mais ce n’est surtout pas de leur faute. De fait, il y a eu une rupture durant la période de colonisation, la traite négrière lors de laquelle des Africains ont été forcés d’aller travailler en Amérique ; des faits historiques qui ont institué la situation actuelle d’ignorance de l’identité par certains. Nous avons donc organisé cette exposition pour que toute personne se retrouvant dans une telle situation puisse se remémorer, se poser la question : d’où je viens ? Quelle est mon identité ? À quel peuple j’appartiens ? Évidemment, l’exposition ne se limite pas sur l’identité qui est juste une partie de la collection. Le thème principal étant intitulé « Labyrinthe » qui consiste à organiser une suite d’expositions en arts visuels, pour relever les difficultés que rencontrent les populations au quotidien. Le projet Labyrinthe englobe ainsi la photographie, la peinture, le dessin, le stylisme-modélisme, des vidéos, etc. C’est donc pour dire qu’après l’exposition sur l’identité, en peinture contemporaine, il y a plusieurs autres qui suivront avec pour thèmes, entre autres : « Au-delà des cicatrices » pour travailler avec des femmes qui subissent des violences basées sur le genre ; « l’ABC » qui est une exposition sur les maux qui minent l’école dans le Septentrion en particulier. Nous pouvons utiliser l’art pour dénoncer ces fléaux, notamment l’accès à l’eau potable, la pauvreté, l’analphabétisme, les problèmes basiques des populations globalement, etc. Dans cette mouvance, nous ne nous sommes pas simplement arrêtés sur la peinture sur toile, mais nous avons accompagné cette exposition des discours sur conférence. Pour une première fois, nous pouvons dire que nous avons réussi puisque que nous avons eu plus de 300 visiteurs qui sont venus voir les œuvres que nous avons exposées à l’Alliance française de Ngaoundéré. Il faut préciser que c’est l’Alliance française qui nous a donné l’opportunité d’exposer ces œuvres en nous accompagnant avec la logistique. Nous tenons vraiment à leur exprimer toute notre gratitude. L’exposition a commencé le 12 février 2024 et continue jusqu’à ce jour, pour s’arrêter vers le 23 mars prochain.

Aborder la question de l’identité à travers un vernissage interpelle-t-il particulièrement un public ?

Ce vernissage est tout public. De fait, chacun de nous doit se poser des questions sur son identité à travers des questions : qui suisje ? J’appartiens à quel peuple, quelle ethnie ? Réévoquant les faits historiques et leurs conséquences fâcheuses, on peut déjà indiquer que la génération qui est venue après s’interroge. Nous avons donc voulu revisiter cette identité à travers nos œuvres contemporaines, revisiter l’art africain ancien, pour permettre à tout ce monde de retracer ses liens généalogiques par exemple. Et nous avons décidé d’expérimenter la peinture sur toile, ayant constaté que dans la région de l’Adamaoua beaucoup de personnes ignorent l’impact de la peinture. De fait, quand on parle de peinture, nombreux sont-ils à penser au portrait, au paysage ; ils ne voient pas d’autres éléments et messages cachés derrière ces œuvres et représentations. Étant donné que la peinture ne se limite pas à la représentation, on a donc voulu explorer et présenter cette partie cachée et ignorée par le public. Nous avons ainsi préféré une exposition contemporaine et pas une exposition moderne.

Quelle place occupent les arts visuels dans l’Adamaoua, et au Cameroun en général ?

C’est un peu compliqué de répondre à cette question parce que posée au public, à 80 %, il ne pourra dire mot. Vous comprenez que le public ignore déjà ce que c’est que l’art, à plus forte raison ce qu’est l’art visuel. Par exemple, le portrait d’une personne n’est pas simplement sa représentation physique ; c’est une présentation morale marquée par des couleurs et des symboles, et donc, porteurs de messages. Mais il faut souligner que la question de l’identité est bien plus étanche. Et l’art visuel étant très consommé dans notre société, nous l’avons mis à contribution pour aider les uns et les autres à reconquérir leur identité. On peut évidemment utiliser plusieurs autres disciplines pour communiquer sur l’identité.

D’où tirez-vous les financements pour de telles initiatives ? En avez-vous suffisamment ?

Nous collectionnons de part et d’autre. Je ne travaille pas seul. C’est donc l’occasion de rendre hommage à mes collègues, artistes contemporains Kegne Yvan, Kouotou Leroy et Alex Pluton. Nous demandons des appuis pour pouvoir nous faire connaître. Pour une première, c’était une idée personnelle. Nous avons d’abord voulu lancer un jet pour certainement inciter d’autres personnes à s’intéresser au projet. Après la peinture contemporaine, nous allons explorer la photographie, l’installation artistique, la performance artistique, le dessin, la sculpture, la céramique, le cinéma, entres autres. Nous restons donc ouverts à toute proposition de partenariat et d’accompagnement.

Les régions septentrionales ont-elles réellement une identité ?

L’Adamaoua, le Nord et l’Extrême-Nord ont une identité qu’elles ignorent. Ces régions ne sont pas en marge de la mouvance camerounaise et africaine en la matière. A la suite de cette initiative, nous allons créer des plateformes pour permettre continuellement aux peuples encore ignorants de leur identité de la découvrir. C’est d’autant facile aujourd’hui qu’avec son smartphone, on peut prétendre à tellement de découvertes. Au-delà des galeries donc, nous voulons associer tous les médias traditionnels et sociaux numériques pour refaire intégrer dans la conscience collective l’identité. De fait, il faut aimer sa culture, ce qu’on fait et soi-même. Déjà, si on ne s’aime pas soi-même, c’est compliqué d’aimer ce que les autres font, et donc, aimer l’art. Quand on jette un regard panoramique, on constate qu’un l’Indien est ancré dans sa culture et son art, le Français pareillement ; mais au Cameroun, on se définit beaucoup plus par l’identité des autres. Si nous commençons à aimer ce que nous produisons, ce sera facile d’aimer les productions artistiques et de consommer l’art comme il le faut.