Culture of Monday, 29 January 2018

Source: lemonde.fr

Alain Ngann, le photographe camerounais qui rend aux albinos leur dignité

Des albinos de plus en plus persécutés et traqués dans le monde Des albinos de plus en plus persécutés et traqués dans le monde

Esthétique épurée, fondus de blancs, de sépia et de gris clairs, travail sur la lumière pour un rendu délicat… le photographe camerounais Alain Ngann donne à ses modèles des airs d’anges. Rien ne vient perturber l’œil qui se laisse aisément séduire par la sérénité se dégageant de ces très grands portraits de 1,5 mètre sur 2, exposés au sein de la Galerie MAM à Douala.

Rien. Ou peut-être tout. Si l’on n’y prend garde, on aurait vite fait de se laisser happer par la beauté en apparence lisse de ses photographies et ne pas porter notre attention sur le regard de ses modèles, mélange de défi, de fierté et d’un troublant questionnement : vous qui nous regardez, qu’allez-vous donc oser dire de nous désormais ?


Les clichés sélectionnés pour l’exposition « Un-Différence », visible à Douala jusqu’au jeudi 1er février, ont été réalisés dans le cadre d’une campagne humanitaire. Directeur d’une agence de communication, fortement influencé par le travail d’Annie Leibovitz, Alain Ngann a choisi de rendre aux albinos de son pays leur dignité sans craindre de choquer en montrant l’incroyable beauté de ces corps nus à la peau immaculée le 13 juin 2016 à l’occasion de la Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme.

« La polémique n’a pas tardé », reconnaît-il. Ce qui n’est sans doute pas pour déranger cet admirateur du photographe provocateur Olivero Toscani, qui fit la renommée de la marque Benetton. « On nous a reproché de montrer des albinos “trop beaux”. Les Camerounais étaient choqués de voir des peaux nues qui se touchent, s’enlacent.

Beaucoup estimaient qu’on n’avait pas besoin d’exposer ces photos car il n’y avait pas de problème ici », explique-t-il. Et pourtant, au Cameroun comme ailleurs sur le continent, nombreux sont ceux qui ignorent que l’albinisme est une maladie et non une malédiction.

« Les gens ont tendance à banaliser la situation alors qu’il est difficile pour nous de monter dans un taxi, d’être au contact des autres, renchérit le musicien Shamir Sunshine qui a accepté de se faire photographier. Les railleries, les vexations font partie de notre quotidien. Personne ne veut se marier avec nous. On est dans le déni en disant que nous exagérons. Mais je pose une question : comment se fait-il qu’il n’y a pas d’albinos dans le nord du Cameroun alors qu’on en voit sur tout le reste du territoire national. Que fait-on d’eux à la naissance ? »

Couleurs primaires
Beaucoup de Camerounais atteints d’albinisme contactés par Alain Ngann ont d’abord refusé de participer à ce projet, craignant d’être mis à l’index. « De manière générale, lors des campagnes de sensibilisation, on a tendance à montrer une Afrique misérabiliste. Je n’aime pas ça. Je voulais au contraire redonner leur dignité aux personnes qui sont venues dans mon studio et travailler avec les émotions qu’elles dégagent. En fait, je ne parle pas d’albinisme car ce n’est pas le sujet. Mais d’humanité », insiste le photographe qui a accompagné ses modèles en leur proposant une préparation psychologique pour leur permettre d’affronter le regard des autres mais aussi leurs propres peurs.

« Grâce à Alain, confie l’une des modèles, Lisette Waffo, visage poupin, voix de porcelaine, je suis plus sûre de moi. Il m’a redonné confiance en moi et il a prouvé que l’on pouvait utiliser des albinos dans des campagnes publicitaires. Depuis, j’ai été contactée pour participer à des réclames pour des cosmétiques. » « En nous présentant sous notre meilleur angle, rajoute Shamir Sunshine, Alain Ngann a puisé les lumières tapies en nous et les a révélées. Ce travail permet que nous nous construisions nos propres modèles ; ce qui est fondamental pour acquérir une force mentale à toute épreuve ! »

Architecte de formation, Alain Ngann est un photographe autodidacte. Né à Douala en 1975, il a monté son agence de communication après avoir abandonné ses études en France. Mais il a toujours été soutenu par son père : « Il avait compris qu’il y avait quelque chose en moi qui devait sortir et que, contrairement à mes cinq frères et sœurs qui avaient tous eu de bons cursus et de bons diplômes, j’avais besoin d’autre chose », analyse-t-il aujourd’hui.

Ce quelque chose, on le perçoit davantage dans des œuvres où il joue avec les couleurs. Peaux noires sur fond sombres où explosent l’expressivité et le mouvement. Les corps sont parfois bâillonnés, emprisonnés par des bandelettes blanches, mais recouverts de pigments verts ou primaires qui dynamisent les modèles. Une manière de rappeler à quel point nous sommes parfois enfermés dans des apparences étouffantes alors que tout cela n’est que « #justacolor », comme le clamait la campagne de sensibilisation de 2016 sur les réseaux sociaux.