BBC Afrique of Sunday, 3 August 2025

Source: BBC

Sénégal : que retenir du Plan de Redressement Économique et Social présenté par Ousmane Sonko ?

Ousmane Sonko Ousmane Sonko

Le Premier ministre Ousmane Sonko a dévoilé vendredi un nouveau plan de relance économique pour le Sénégal (PRES), s'engageant à financer 90 % de cette initiative à partir de ressources nationales et à éviter tout endettement supplémentaire.

Ce plan, qui vise à stabiliser les finances de ce pays d'Afrique de l'Ouest qui a commencé à produire du pétrole et du gaz l'année dernière, intervient alors que le Sénégal est confronté à des difficultés financières et à une surveillance accrue en raison de déclarations erronées concernant le montant réel de sa dette.

Le plan de redressement économique et social visant à réduire les dépenses publiques et à augmenter les recettes, s'inscrit dans une " vision de refondation économique, adossée à la souveraineté nationale, à la justice sociale et à la transparence dans la gestion des ressources publiques."

Il a pour objectif de ramener le déficit budgétaire à 3 % du PIB d'ici 2027, contre 12 % en 2024.

Il prévoit notamment la fusion et la réduction des institutions publiques, ce qui, selon les estimations du gouvernement, pourrait permettre d'économiser environ 50 milliards de francs CFA, ainsi que la suppression des exonérations fiscales dans certains secteurs, en particulier dans l'économie numérique, largement non imposée.

Les leviers identifiés pour générer des ressources internesLe PRES repose sur trois piliers fondamentaux : la souveraineté économique, l'équité sociale et la rationalisation de la dépense publique. Il s'articule autour de mesures concrètes telles que :

Parmi les mesures annoncées figurent la réduction des charges et du train de vie de l'Etat, la réduction des coûts des voyages à l'étranger, la taxation de niches de financement "sous-fiscalisées" comme le numérique, le "mobile money", les jeux de hasard et en ligne, ou le foncier.

La renégociation des contrats dans le pétrole, le gaz et les mines, la réduction des frais d'eau et d'électricité dans l'administration publique et un ciblage des bénéficiaires des subventions dans l'énergie font aussi partie des volets de ce plan.

Le Premier ministre a évoqué la réorientation du budget de l'État vers les services essentiels (éducation, santé, formation professionnelle) et la fin des dépenses superflues et protocolaires. Il a également plaidé pour un dialogue économique ouvert et permanent avec les acteurs du secteur privé, afin de bâtir une économie résiliente et inclusive.

Un catalogue de 37 mesures structurantes

Le gouvernement entend appliquer rigoureusement les droits de sortie, traquer les fausses quittances et lutter contre toutes les formes de fraude fiscale. Ces actions, selon le Premier ministre, permettront de mobiliser davantage de recettes sans recourir à un endettement excessif.

« La lutte et la compression de la fraude vont générer des ressources », a-t-il affirmé.

Ousmane Sonko a indiqué que 37 mesures sont actuellement en cours d'évaluation pour accompagner le redressement économique du pays.

Relance sectorielle et soutien à l'économie nationale

Des secteurs clés sont visés pour bâtir une économie souveraine, performante et inclusive :

Promotion de l'agriculture, de l'élevage, de la pêche, des industries légères, du numérique, du BTP, du textile et du tourisme.

Valorisation du foncier national et mobilisation de l'épargne locale.

Appui au développement du secteur informel, notamment pour renforcer l'emploi des jeunes et des femmes

Souveraineté financière

Le plan dit "Jubbanti Koom" est majoritairement financé à 90 % par des ressources nationales, limitant ainsi l'endettement public. L'objectif est de mobiliser 5 667 milliards de FCFA sur la période 2025–2028, issus notamment de nouvelles recettes fiscales, du recyclage d'actifs et de financements non adossés à la dette.

Pour redresser l'économie sénégalaise, il mise sur un financement majoritairement endogène avec une batterie de mesures sur trois ans.

Le chef du gouvernement a aussi évoqué une réduction de la taille de l'État et une meilleure optimisation des dépenses, ou encore un appel public à l'épargne qui a déjà commencé ces derniers mois.

Remaniement du gouvernement

Ousmane Sonko a annoncé pour bientôt un remaniement majeur du gouvernement dans le cadre du Plan de redressement national.

Une équipe réduite et experte, soutenue par le président, sera chargée des ministères clés.

Cette gouvernance agile vise à renforcer l'efficacité, optimiser les ressources et accélérer les réformes économiques. Le choix des ministres repose sur leurs compétences pour garantir transparence et rigueur dans la gestion publique.

Le Sénégal autorise l'importation de véhicules jusqu'à 10 ans

Le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncé l'autorisation d'importer des véhicules âgés jusqu'à 10 ans au Sénégal.

Cette mesure, dévoilée lors de la présentation du Plan de Redressement Économique et Social, allège une réglementation auparavant jugée trop stricte.

Elle vise à rendre les voitures plus accessibles aux ménages, stimuler le marché de l'occasion et mieux répondre aux réalités économiques.

Le gouvernement cherche ainsi à adapter ses politiques aux besoins quotidiens des citoyens tout en préservant l'intérêt général.

A l'origine, le Sénégal avait pris cette mesure pour limiter l'âge des véhicules importés dans le but de réduire la pollution atmosphérique et de garantir un parc automobile plus sûr. Cette politique s'est progressivement ajustée au fil des années, en fonction des contextes économiques, sociaux et politiques.

Historiquement, en 2000, le président Abdoulaye Wade avait fixé une limite stricte à 5 ans. En 2012, son successeur Macky Sall avait relevé cette limite à 8 ans, avant de la ramener à 5 ans en 2019. Toutefois, face à une forte pression populaire, la limite a été à nouveau portée à 8 ans, illustrant les tensions entre impératifs environnementaux et réalités économiques et sociales.

Visa électronique payant

Ousmane Sonko a annoncé l'instauration d'un visa électronique pour certains pays, une décision visant à renforcer les recettes de l'État et à moderniser la gestion des frontières.

Les demandes de visas électroniques pour les non-Africains et les pays africains qui exigent le visa pour les ressortissants sénégalais, seront désormais soumises à un paiement préalable obligatoire. Cette mesure vise à simplifier et sécuriser la procédure.

Ce qu'en dit l'opposition

Présenté comme une feuille de route pour sortir le Sénégal de l'asphyxie économique, le plan de redressement du Premier ministre Ousmane Sonko suscite de vives critiques de l'opposition.

Deux voix se sont particulièrement élevées ce vendredi : celles de Thierno Bocoum, ancien député, et de Abdou Mbow, figure du groupe parlementaire d'opposition Takku Wallu Sénégal.

Tous deux dénoncent une stratégie basée avant tout sur la pression fiscale, jugée déconnectée de la réalité économique du pays.

« Le Premier ministre, ancien inspecteur des impôts, semble reproduire un réflexe professionnel mal adapté au rôle de chef de gouvernement », déplore Thierno Bocoum sur sa page Facebook.

« Il fait de la fiscalité l'outil principal d'un redressement qui devrait d'abord passer par l'investissement, la confiance et la stimulation de l'activité productive. »

Selon le Rapport d'exécution budgétaire du premier trimestre 2025, l'investissement public a chuté de 30,3 % par rapport à la même période en 2024. Pendant ce temps, le gouvernement ambitionne de faire passer le taux de pression fiscale de 16,9 % à plus de 20 % du PIB, sans accompagnement massif de politiques de relance.

« Cela signifie que l'État investit moins mais prélève plus », résume Thierno Bocoum.

Au lieu d'un plan ambitieux d'injection de capitaux dans les secteurs stratégiques — agriculture, industrie, numérique, emploi des jeunes — le gouvernement semble avoir opté pour une stratégie de mobilisation fiscale accrue. Une orientation qualifiée d'« économiquement contre-productive » par les deux hommes.

« Les gens vivent au jour le jour. Toutes ces taxes annoncées seront répercutées sur des consommateurs qui sont déjà en mode survie. Nul ne sera épargné, même les quelques abonnés à Netflix », fustige de son côté, Abdou Mbow, député de l'APR, parti de l'ex président Macky Sall.

« Une véritable stratégie de redressement doit passer par la reconstruction des moyens de subsistance, l'amélioration de l'accès au financement et aux marchés, la relance des investissements productifs », écrit Abdou Mbow.

« Ce qu'on nous a présenté, c'est du PowerPoint en lieu et place de politiques publiques solides. » conclut Mbow.