À cinq mois de l'élection présidentielle prévue pour octobre 2025, le climat politique en Côte d'Ivoire reste tendu. La Commission Électorale Indépendante (CEI) a publié ce mercredi la liste électorale définitive avec 9 millions d'inscrits.
Les quatre figures majeures de l'opposition qui étaient provisoirement absentes de la liste, sont définitivement radiés selon la Commission électorale indépendante.
Tidjane Thiam du principal parti d'opposition PDCI, Laurent Gbagbo, ancien chef d'Etat du PPA-CI, Charles Blé Goudé du COJEP et Guillaume Soro sont éliminés de la course à la magistrature suprême en Côte d'Ivoire.
Par contre l'ancienne première dame, Simone Ehivet Gbagbo et Affi Nguessan restent sur la liste communiqué ce mercredi.
Qui sont les exclus ?
Les quatre figures de proue de la politique ivoirienne écartées de la présidentielle d'octobre 2025 sont notamment Charles Blé Goudé, ancien ministre, Laurent Gbagbo, ex-président de la République, Guillaume Soro, ancien président de l'Assemblée nationale et Tidjane Thiam, haut fonctionnaire international et président du PDCI.Ces personnalités constituent les poids lourds de l'opposition, et donc de sérieux adversaires politiques pour le parti au pouvoir.
Charles Blé Goudé
Parmi les personnalités écartées de la liste figure Charles Blé Goudé, ancien ministre de la Jeunesse sous Laurent Gbagbo.L'ancien "Général de la rue" comme il se faisait nommer, appelait la jeunesse à se battre pour le président Laurent Gbagbo lors de la crise politico-militaire intervenue en Côte d'Ivoire de 2002 à 2011.
Poursuivi par la Cour pénale internationale qui l'avait accusé d'avoir joué un rôle dans les violences meurtrières et incité à la haine fin 2010 et début 2011, il a finalement été acquitté en 2019.
Cependant, dans la même année, la justice ivoirienne l'a accusé d'« actes de torture, homicides volontaires et viol » pour son rôle dans cette crise postélectorale de 2010-2011. l'homme qui a 54 ans aujourd'hui, a été condamné à 20 ans de prison, dont 10 ans de privation de ses droits civiques et 200 millions de francs CFA de dommages et intérêts.
C'est sur la base de cette condamnation que la Commission électoral indépendante l'a retiré de la liste électorale le 17 mars dernier, même si entre-temps il a demandé une amnistie au président Alassane Ouattara pour se présenter à cette élection présidentielle.
Malgré ce passif, le fondateur du Congrès panafricain pour la justice et l'égalité des peuples (COJEP), mouvement qu'il a créé en 2019 avant son retour en Côte d'Ivoire en 2022, reste une figure dans le paysage politique dans le pays.
C'est en tant que Coordinateur général d'une coalition de l'opposition qui rassemble notamment l'ancienne première dame, Simone Ehivet Gbagbo, Tidjane Thiam du principal parti de l'opposition PDCI, que Charles Blé Goudé a tenu un meeting le 31 mai dernier à Yopougon, une des communes de la capitale, Abidjan.
Il a appelé les Ivoiriens à la cohésion, à la paix et à l'unité, tout en se projetant vers l'avenir où il incarnera le nouveau dirigeant plus jeune.
Laurent Gbagbo
Ancien président de la République (octobre 2000 - avril 2011), également condamné par contumace par la justice ivoirienne après avoir été acquitté par la Cour pénale internationale (CPI), est lui aussi écarté de la course à la présidentielle d'octobre 2025.S'il a pu échapper à l'accusation de crime contre l'humanité dans les événements post-électoraux de 2010-2011 portée contre lui par la justice internationale, celle de son pays l'a au contraire condamné à 20 ans de réclusion, en appel, pour "braquage" de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) pendant la crise de 2010-2011.
Déjà en décembre 2022, la Commission électorale indépendante (CEI) avait rejeté la demande de Laurent Gbagbo de s'inscrire sur la liste électorale. L'institution chargée d'organiser les élections dans le pays a invoqué sa condamnation à 20 ans pour "casse à la BCEAO".
"Non, non et non, je ne laisserai pas mon nom sali sans me battre. Je suis encore debout !", avait-il déclaré en 2023, après avoir déposé un recours au bureau de la CEI.
Entre-temps, le président Alassane Ouattara l'a gracié, mais pas amnistié. Ce qui l'empêche d'être inscrit sur la liste.
L'ancien chef d'Etat ivoirien reste une personnalité incontournable dans le pays, malgré ce passé. Bien qu'il soit radié de la liste électorale, le Parti des Peuples Africains-Côte d'Ivoire (PPA-CI), sa formation politique l'a investi à Abidjan le 10 mai 2024 pour être son candidat à cette élection.
C'était devant plus d'un millier de ses partisans devant l'hôtel Ivoire d'Abidjan que Laurent Gbagbo a déclare : "J'accepte d'être votre candidat".
Il avait promis mettre fin à la corruption dans le pays, rehausser le système de santé, mettre fin à l'endettement.
Guillaume Soro
Ancien Premier ministre et président de l'Assemblée nationale, Guillaume Soro vit aujourd'hui en exil et fait l'objet de plusieurs condamnations judiciaires.Il a annoncé sa candidature le 31 décembre 2024, depuis son exil à travers une visioconférence. Cet ancien chef de la rebellion avait pourtant collaboré avec le président Alassane Ouattara, devenant son premier ministre, puis président de l'Assemblée nationale.
Les deux hommes se sont brouillés. Guillaume Soro a été accusé plus tard d'avoir préparé une insurrection civile avec ses partisans en 2019. En 2021, la justice ivoirienne l'a condamné par contumace à la prison à perpétuité pour « atteinte à la sûreté de l'Etat ».
Guillaume Soro reste toujours visé par un mandat d'arrêt international émis par la justice ivoirienne.
Avec cette condamnation, la CEI a jugé juste d'invalider sa candidature pour la présidentielle d'octobre prochain.
Tidjane Thiam
L'ancien PDG de Credit Suisse et figure montante du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), a été jugé inéligible par la justice le 22 avril dernier.Après avoir officiellement renoncé à sa nationalité française en février 2024, M. Thiam espérait se présenter à la présidentielle. Mais un tribunal d'Abidjan a estimé qu'il avait perdu sa nationalité ivoirienne en 1987, lorsqu'il avait acquis celle française, et que sa réintégration était trop tardive pour figurer sur la liste électorale.
Il a qualifié la décision de « vandalisme démocratique », affirmant qu'elle priverait « des millions d'Ivoiriens de leur droit de choisir librement leur président ». À peine une semaine plus tôt, le 17 avril, Thiam avait été officiellement désigné comme candidat du PDCI à l'élection présidentielle.
« Ce n'est pas une surprise que cette décision intervienne alors que notre soutien dans l'opinion publique ne cesse de croître, » a-t-il déclaré.
Thiam, qui est revenu en Côte d'Ivoire en 2022 après deux décennies de carrière internationale, avait été vu comme un potentiel successeur au président Alassane Ouattara.
Sa candidature offrait une alternative centriste et technocratique, capable de poursuivre le développement économique du pays tout en proposant un changement politique.
Son parti, le PDCI, est considéré comme le principal de l'opposition en Côte d'Ivoire en raison du poids qu'il représente dans le pays.
Tidjane Thiam a été élu à 99% par son parti pour le représenter à la présidentielle d'octobre 2025.
Des radiations définitives selon le président de la CEI
La radiations de ces figures importantes de la liste électorale fait l'objet des débats depuis plusieurs mois en Côte d'ivoire. Les principaux partis d'opposition demandent une révision de la liste électorale et la réintégration des candidats exclus.Pour Kuibiert Coulibaly,président de la CEI, la procédure prend "en moyenne 6 à 7 mois" ce qui la rend impossible sans "compromettre la tenue de l'élection du président", le 25 octobre.
M. Coulibaly a appelé au respect des décisions de justice pour "clore tout désaccord" et faire de la Côte d'Ivoire "un Etat de droit".
En avril dernier, Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam ont suspendu leur participation aux instances de la CEI pour non transparence du processus en cours.
La population de la Côte d'Ivoire est estimée à 30 millions d'habitants. La moitié a moins de 18 ans. La liste électorale définitive comporte cette année 8,7 millions d'électeurs.
Selon la décision rendue ce mercredi, aucun de ces quatre candidats ne pourra se présenter à l'élection présidentielle, ni même voter.
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Indignation au sein dela classe politique de l'opposition
« Ma radiation de la liste électorale par la Commission électorale indépendante est un exemple triste mais révélateur de l'abandon de la démocratie par la Côte d'Ivoire», a déclaré Tidjane Thiam après avoir appris la décision finale de la commission.Et d'ajouter : « Ces attaques contre la démocratie doivent cesser et le gouvernement doit garantir des élections libres, équitables et inclusives en octobre. C'est le souhait de tous les Ivoiriens et seul un processus électoral équitable garantira une véritable stabilité en Afrique de l'Ouest ».
Son avocat, Me Mathias Chichportich a informé ce mercredi que le leader de l'opposition a déposé une plainte auprès du Comité des droits de l'homme des Nations Unies.
« Cette action vise à contraindre l'Etat ivoirien à prendre toutes les mesures nécessaires pour que l'élection présidentielle se déroule dans des conditions équitables, inclusives et démocratiques », a indiqué l'avocat.
Pour ce dernier, priver le leader de l'opposition de ses droits politiques par une décision arbitraire, discriminatoire et sans appel constitue une violation grave des engagements internationaux de la Côte d'Ivoire.
« Le Président Tidjane Thiam est plus que jamais déterminé à faire respecter le droit du peuple ivoirien à choisir librement ses représentants ».
Une élection sans véritable opposition ?
Les exclusions de Gbagbo, Soro, Blé Goudé et désormais Thiam font planer le spectre d'un scrutin sans véritable adversaire de poids face au RHDP, le parti au pouvoir.Pour le Congrès panafricain pour la justice et l'égalité des peuples (COJEP), dont Blé Goudé est le fondateur, la décision est inacceptable.
« On veut empêcher Charles Blé Goudé d'aller à l'élection présidentielle de 2025. Il faut que le gouvernement arrête de donner l'impression qu'il choisit ses adversaires » a déclaré Me Serge Ouraga, porte-parole du mouvement.
Si le président Ouattara, aujourd'hui âgé de 83 ans, choisit de briguer un quatrième mandat, il pourrait le faire sans réelle contestation politique.
« Toutefois, comme on l'a vu avec l'exemple du Sénégal et du Pastef, certains partis peuvent réagir en mettant en avant de nouvelles figures », observe Jean-François Régis Adoupo.
« Des figures alternatives existent déjà au sein des grands partis. Jean-Marc Yacé, le maire de Cocody, a affronté Tidjane Thiam lors de l'élection interne du PDCI. Yasmine Wognin est également une voix importante. Et Jean-Louis Billon, qui avait déjà annoncé sa volonté de se présenter, reste un profil crédible. »
Du côté du COJEP, M. Adoupo souligne que « même si Charles Blé Goudé est exclu, il a indiqué qu'il pourrait soutenir une autre figure du parti pour porter sa vision politique ».