Dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) plafonne à 36 270 FCFA par mois, où des milliers de fonctionnaires attendent des mois leurs arriérés de salaire, et où les hôpitaux manquent de médicaments de base, les chiffres qui circulent sur les avantages financiers des élus de l'Assemblée nationale donnent le vertige.
Et soulèvent une question fondamentale : à quel prix finance-t-on la représentation nationale au Cameroun ?
Selon des informations largement relayées dans l'opinion publique et attribuées à des sources internes, un député ordinaire bénéficierait dès son élection d'un crédit véhicule de 10 millions de FCFA et d'une prime mensuelle de 3 300 000 FCFA.
À titre de comparaison, un enseignant titulaire avec 20 ans d'ancienneté gagne environ 250 000 FCFA par mois. Un député « ordinaire » toucherait donc l'équivalent de plus de 13 salaires d'enseignant chaque mois, avant même de compter les autres avantages.
LE BUREAU DE L'ASSEMBLÉE : UN EMPIRE DANS L'EMPIRE
Mais c'est au sommet de la hiérarchie parlementaire que les montants atteignent des sommets vertigineux.
Crédits d'achat de véhicules pour les membres du bureau :
Secrétaires : 45 millions FCFA
Questeurs : 50 millions FCFA
Vice-présidents : 55 millions FCFA
1er Vice-président : 60 millions FCFA
Président de l'Assemblée nationale : 70 millions FCFA
Et ce n'est pas tout : tous les membres du bureau recevraient également un Toyota Prado neuf, véhicule dont le prix catalogue dépasse largement les 30 millions de FCFA.
Prime d'installation en début de législature :
Chaque membre du bureau toucherait 13 millions de FCFA pour « s'installer » dans ses fonctions. Une somme qui représente plus de 350 fois le SMIG mensuel.
Crédits d'entretien de véhicules (montants annuels) :
Secrétaires : 20 millions FCFA
Questeurs : 28 millions FCFA
Vice-présidents : 21 millions FCFA
1er Vice-président : 30 millions FCFA
Président de l'Assemblée nationale : 40 millions FCFA
Indemnités pour congés :
Secrétaires : 20 millions FCFA
Questeurs : 28 millions FCFA
Vice-présidents : 30 millions FCFA
1er Vice-président : 35 millions FCFA
Président de l'Assemblée nationale : 40 millions FCFA
L'ENTRETIEN DES RÉSIDENCES : UNE LIGNE BUDGÉTAIRE À PART
Le Président de l'Assemblée nationale disposerait d'une enveloppe annuelle de 250 millions de FCFA pour l'entretien de sa résidence. Les questeurs, eux, toucheraient chacun 190 millions de FCFA par an pour la réfection de leurs logements.
Des montants qui, à eux seuls, pourraient financer la construction de plusieurs écoles ou centres de santé dans les zones rurales.
APRÈS CHAQUE VOTE DU BUDGET : LA PRIME DE DÉCEMBRE
Autre révélation troublante : après l'adoption du budget de l'État en décembre, les membres du bureau se verraient attribuer des primes exceptionnelles :
Président de l'Assemblée nationale : 50 millions FCFA
1er Vice-président : 30 millions FCFA
2e Vice-président : 25 millions FCFA
Questeurs : 20 millions FCFA chacun
Une pratique qui pose une question éthique majeure : peut-on décemment récompenser ceux qui votent le budget avec l'argent de ce même budget ?
LA COMMISSION DES FINANCES : UN PARTAGE OPAQUE
Selon les informations en circulation, chaque fin de mois, 40 millions de FCFA seraient alloués au fonctionnement de la Commission des finances. Mais au lieu d'être répartis entre les 20 membres de la commission, cette enveloppe serait partagée entre le Président de l'Assemblée nationale et 5 membres privilégiés, à l'insu des 15 autres membres.
Si ces allégations sont avérées, elles constitueraient une violation grave des principes de transparence et d'équité qui devraient régir le fonctionnement d'une institution aussi stratégique.
UNE OPULENCE QUI INTERROGE
Ces chiffres, qu'ils soient totalement ou partiellement exacts, soulèvent des questions de fond sur la gouvernance publique au Cameroun :
1. Transparence budgétaire : Pourquoi ces montants ne sont-ils pas clairement publiés et justifiés dans les documents budgétaires accessibles au public ?
2. Équité sociale : Comment justifier de tels privilèges dans un pays où plus de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté ?
3. Efficacité législative : Ces avantages se traduisent-ils par une production législative de qualité, un contrôle rigoureux de l'action gouvernementale, et une représentation effective des citoyens ?
4. Moralité publique : Quel message envoie-t-on aux jeunes Camerounais quand la fonction publique apparaît comme un enrichissement personnel plutôt qu'un service à la nation ?
LA COLÈRE POPULAIRE : UN RESSENTIMENT QUI MONTE
La conclusion du document qui circule est aussi brutale que révélatrice : « Vous comprenez pourquoi ces gens ont tué les Camerounais lors de la crise post-électorale ? »
Cette phrase, attribuée à N'Zui Manto et relayée sur les réseaux sociaux, traduit un sentiment profond d'injustice et de trahison ressenti par une partie de la population. Elle suggère que ceux qui bénéficient du système sont prêts à tout pour le préserver, y compris à réprimer violemment toute contestation.
Vraie ou exagérée, cette perception nourrit la défiance croissante entre les institutions et les citoyens.
QUE FAIRE ?
Face à ces révélations, plusieurs mesures s'imposent :
Publication obligatoire et détaillée de tous les avantages financiers des députés et membres du bureau de l'Assemblée nationale, dans un souci de transparence démocratique.
Audit indépendant des dépenses de l'Assemblée nationale par la Cour des comptes ou un organisme international, avec publication des résultats.
Révision du statut des élus, pour aligner leurs avantages sur les réalités économiques du pays et les standards internationaux.
Débat national sur la rémunération des élus, impliquant la société civile, les syndicats, les partis politiques et les citoyens.
Sanctions exemplaires en cas de détournement ou d'abus constatés.
CONCLUSION : LE PRIX DE LA DIGNITÉ NATIONALE
Le Cameroun ne peut pas continuer à financer une classe politique dans l'opulence pendant que le peuple survit dans la précarité.
La démocratie a un coût, certes. Mais elle ne doit pas avoir le prix de la dignité nationale.
Si ces chiffres sont exacts, ils ne révèlent pas seulement un scandale financier. Ils exposent une fracture morale profonde entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés.
Et dans cette fracture, c'est la légitimité même des institutions qui se fissure.









